Diego GUGLIERI DON VITO 

La recherche artistique de Diego Guglieri Don Vito oscille entre peinture et écriture. Elle s'organise autour d'un univers connu comme étant La Collision Miami Fauve. Sa pratique de la couleur est une peinture légère et sensible, nourrie par une poétique de la précision. L'imagerie qui en découle est une délicate invitation à pénétrer au-delà du support peint pour embrasser du regard un espace dans lequel la couleur est matière. Les oeuvres qu'il présente dans ses textes comme étant des fragments issus de Miami Fauve plantent dans ses expositions un décor ambivalent oscillant entre réalité et fiction.

« Miami Fauve est une collision entre deux temps et deux lieux, deux époques et deux pensées : entre l'Estaque, précisément « le port de l'Estaque » peint par George Braque en 1906 (un tableau donc) et l'imaginaire fantasque d'un Miami des années 1980 : glamour, luxueux, coloré, plein de cocaïne et de néons.
Ces deux univers (au sens large) cohabitent en Miami Fauve. Ils se superposent, se reflètent et se complètent en même temps : cela est rendu possible par les propriétés de la collision. Ces propriétés, je ne les connais ni ne les comprends toutes, je les étudie et les approfondis de jour en jour. » *


Dans son processus de travail, l'artiste commence par créer un espace pour « inviter » ses peintures.

« Les peintures ont chacune leur caractère : certaines sont timides, d'autres prennent toute la place » **. Le travail est nourri de l'intimité que l'artiste entretient avec ses pièces. Cette proximité remplie de douceur se retrouve au sein des titres au potentiel poétique, qui se réfèrent à des notions de temps - le temps qui s'écoule, le temps qu'il fait.

« Nous peindrions des espaces entiers, les recouvrant du sol au plafond. (...) Je voudrais réaliser une peinture plus grande encore que l'univers. Finalement c'est ce qui relie toutes mes productions entre elles chacune est une partie d'un ensemble plus grand qui les contient toutes. » **

Il suit une double formation entre Genève et Lyon, sort diplômé en 2016 de l'École nationale supérieure des Beaux-arts de Lyon, l'artiste est lauréat du Prix Art Contemporain Isère / Moly Sabata en 2019, et reçoit en 2021 une bourse d'Aide à l'Installation de la Direction Régionale d'Art Contemporain Provence Alpes Côte d'Azur pour l'installation de son atelier à Marseille. En 2022, il reçoit le soutien de Mécènes du Sud pour la réalisation de son projet Le second Voyage.

Magalie Meunier
Texte pour l'exposition collective Dans la nuit Fauve, Maison du Livre, de l'Image et du Son, Villeurbanne, 2022

* Extrait de correspondances au sujet de la Collision Miami Fauve, Lyon (2017-2020)
** in La communauté, Bavardages. Correspondances entre Julie Digard et Diego Guglieri Don Vito réalisées de juillet 2020 à décembre 2021. https://bavardagelacommu.wixsite.com/bava






La Communauté - Bavardages
Extraits de correspondance avec Julie Digard, 2020-2022
Texte complet disponible
ici


J'aime son odeur et le contact de mes mains sur ses murs

Lorsque je passe la porte de mon atelier, en arrivant je retrouve ce white cube de 15 m2, parfaitement rangé (la faible surface ne permet pas vraiment le désordre ! ) et en la refermant derrière moi je sais que je peux être totalement seul pour les 10 prochaines heures. Mon atelier est en sous-sol, il n'y a qu'une petite fenêtre ne permettant pas vraiment de voir l'extérieur, ce qui renforce le sentiment d'être dans une forteresse. Cela coupe également tout rapport au temps, si je ne regarde pas l'heure une fois dans l'atelier je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis mon arrivée. Avant toute chose, je me change et passe mes habits de peintre : un short noir et ce sweet à capuche vert que je dois être la seule personne au monde à apprécier. À cet instant, le travail commence vraiment.

Ce que je fais dépend des projets en cours, parfois il faut écrire, d'autre fois faire des esquisses ou préparer un support à peindre, envoyer des dossiers de candidatures. Chaque tâche a ses propres rituels, par exemple lorsque j'écris je porte des bouchons d'oreilles car le moindre son me distrait.

La rencontre de ma peinture

Je te décris ma façon de faire exactement comme elle se déroule. En me relisant je me dis que c'est si précis que cela en devient abstrait. Tant pis, je préfère rendre justice à ce rituel et t'en faire le récit complet. Chaque fois, je procède exactement de la sorte : je secoue vigoureusement le pot de peinture, à la manière d'un shaker à cocktail, pendant une à deux minutes. Je pose le pot sur mon plan de travail et le laisse reposer pendant deux à trois minutes. Durant ce temps-là, je prépare le pot en verre qui recevra la peinture diluée : couvercle ouvert, chinois de cuisine posé dessus. J'ouvre ensuite le pot de peinture qui a été secoué avec un couteau américain, afin de ne pas tordre le couvercle. Je prélève la quantité de peinture voulue à la seringue : cela permet de mesurer au millilitre le dosage et de ne pas faire de gouttes ou de coulures sur le pot (je ne supporte pas les pots sales et pleins de peinture, petite maniaquerie de ma part). Je vide le contenu de la seringue dans le chinois posé sur le second pot. Cette opération permet de filtrer les petites particules de peinture sèches qui se seraient mélangées dans la peinture liquide : si elles passaient dans le pistolet celui-ci se boucherait, ou projetterait des gouttes sur le tableau que je suis en train de peindre. Ce sont deux choses que je ne souhaite pas voir se produire. Ensuite, avec la même seringue, je prélève de l'eau claire, la quantité nécessaire pour obtenir la dilution correcte. Je vide son contenu dans le chinois, cela permet de rincer la peinture qui reste accrochée et la récupérer dans le pot dilué. Je lave de suite le chinois et la seringue que je range piston tiré ; sinon elle aura tendance à se bloquer. J'attrape une petite baguette en bois qui me sert de spatule et je bats vigoureusement le pot de peinture dilué pour obtenir un mélange homogène. C'est assez drôle car quand il est réussi il est appétissant : on aimerait le goûter, mais je ne le fais pas, et je ne le conseille pas. Je vérifie que mon mélange est correct : lorsque je lève la spatule, la peinture doit couler en un filet fin et régulier. Si le filet est trop important la peinture est trop diluée, si la peinture tombe en une série de plusieurs gouttelettes elle n'est pas assez diluée. Je racle la spatule sur le bord du pot pour récupérer l'excédent et dépose la baguette alignée avec les autres (une par couleur) à cheval sur une baguette supplémentaire, le tout sur une feuille de papier de façon à ne pas salir mon plan de travail.

Cette description ressemble beaucoup à une recette de cuisine ; comme tu le sais j'ai passé beaucoup de temps à faire la cuisine dans des restaurants semi-gastronomiques, et beaucoup des gestes et habitudes me sont restés : garder un plan de travail propre et bien rangé, prendre soin de son matériel, nettoyer dès que possible. J'aime que la dilution des couleurs se déroule de la même façon que si elle avait lieu dans un labo (terme qui appartient aussi au champ lexical de la cuisine).

La rencontre de ma peinture (suite)

Derrière l'apparente rigidité de ces habitudes se cache une pénétration progressive dans la douceur. Elle se révèle avec l'esquisse et prend place dans mon carnet. J'aime masquer les marges de mes esquisses : cela donne une spatialité à ces peintures : la délimitation nette, de ce qui est peint et ce qui ne l'est pas, donne l'impression de regarder un tableau accroché sur un mur blanc. Je commence à peindre le plus souvent à l'aérographe. Cette phase-là est très libre, elle laisse place à beaucoup de ressenti vis-à-vis de la peinture. J'aime dire que c'est le moment où les couleurs font connaissance entre elles, et où je fais connaissance avec elles. Les couleurs ont chacune leur caractère : certaines sont timides, d'autres prennent toute la place, il y en a qui facilitent les relations entre les autres et certaines qui ne peuvent s'entendre entre elles. C'est un peu comme le début d'une soirée où les invités commencent à discuter, parfois l'ambiance met du temps à prendre, il faut trouver le dosage, comme le bon moment où on commencerait à baisser la lumière. Ce que je cherche à ce moment c'est à être surpris, qu'il se passe quelque chose : qu'il commence à y avoir peinture. Que celle-ci commence à se révéler. Cela demande d'essayer des choses, de recommencer, de laisser les couleurs se rapprocher, parfois de les pousser à se mélanger un peu. Je cherche à être séduit.

Une peinture plus grande que l'univers

Pour continuer dans le champ lexical culinaire, je dirais que la façon dont j'aimerais déléguer mon travail est celle d'un chef dans sa cuisine (ou un chef d'atelier pour parler peinture) : j'aimerais avoir une équipe d'une vingtaine de personnes que je pourrais former à la préparation des couleurs. Leur formation serait longue et je serais intransigeant. Je choisirais des personnes habiles, mais sans expérience, afin qu'elles puissent s'imprimer entièrement de l'expérience que je leur proposerais. Nous n'explorerions pas seulement la technique que requiert la préparation des couleurs, nous apprendrions à les aimer et nous parlerions de nos ressentis vis-à-vis d'elles. Je voudrais qu'à la fin nous soyons tous reliés par cette même sensibilité, cette chose qui n'a pas de nom, qui s'écrit en couleurs seulement et s'exprime au travers de ma peinture.

Nous peindrions tous, nous peindrions tout, des espaces entiers, les recouvrant du sol au plafond. Nous serions un seul et même corps, celui des peintres de la Collision. Bien entendu, il faudrait que nous soyons invités à réaliser d'immenses projets d'expositions pour justifier une équipe d'une telle ampleur.

À vrai dire, j'ai une ambition très simple à énoncer et même temps complètement démesurée : je voudrais réaliser une peinture plus grande encore que l'univers. Finalement, c'est ce qui relie toutes mes productions entre elles, chacune est une partie d'un ensemble plus grand qui les contient toutes.

Comme tu le sais, personne ne m'a commandé d'exposition de cette envergure et mon équipe se résume, pour l'heure, principalement à moi-même. C'est aussi la force de l'écriture, elle permet de nommer l'irréalisable, de donner forme à cette peinture infinie.






Miami Fauve Collision : 45e Rugissant
Marie de Brugerolle, 2019
Publié dans le cadre de l'exposition Views From Miami Fauve, disponible dans le Virtual Dream Center 3.2



La Collision de Miami Fauve est une oeuvre en extension, le rêve d'un monde dont un artiste nous fait prendre conscience.

Elle pré-existe à son auteur, Diego Guglieri Don Vito qui en est l'inventeur au sens de découvreur. Tel Vasco de Gama ou Magellan, Diego G. Don Vito, a rencontré la Collision Miami Fauve en 2017. Cent ans après Fontaine de Marcel Duchamp, et 111 ans après Le Port de l'Estaque par Georges Braque, Diego Guglieri Don Vito passe le seuil d'un univers où la couleur est une dimension spatio-temporelle. Un monde construit par les chocs permanents de particules en mouvement, dont la fluidité serait bloquée dans un « double effet Venturi ». Imaginez un monde coincé dans le goulot d'une bouteille, entre deux tubes, et dont la fluidité est accélérée par l'effet Venturi (1), de manière mécanique. Imaginez ensuite la forme globale de cette bouteille, dans la logique du « hangar décoré » signalée par Roberto Venturi (2).


UNE NATURE DIFFRACTÉE : Learning from Miami Vice vu à la télé à Marseille.

Prenons une carte postale d'un tableau Fauviste et laissons-là au soleil sur la nappe en plastique de la table de la cuisine, à Marseille. Quelques temps plus tard, les coloris auront pris une teinte jaunie, comme passée au filtre « bonne mine » de votre appareil photo ou téléphone portable. Miami Vice était une série télévisée américaine des années 80, avec Don Johnson et Philip Michael Thomas (respectivement Inspecteur Sonny Crocket et Ricardo Tubbs), sur fond de trafic de drogue et prostitution, le long des canaux de la ville de Floride.
Juste après le Scarface de Brian De Palma (1983), la série aux couleurs de la mode post-disco (pastels rose, mauve, jaune fluo), est contemporaine des première années Sida.
La vue de l'Estaque, 1906 par George Braque, peint un monde par touches colorées. Il dira que cela correspondait bien à ses 23 ans. Les couleurs n'existent pas, ce sont des longueurs d'ondes et leur perception est à la fois mécanique, due à notre système optique, et culturelle. Par exemple les Grecs n'utilisaient pas le terme « bleu » mais une variété de déclinaisons de « verts ». La couleur varie selon la longueur de l'onde, du bleu profond au jaune, du plus court au plus long. Le rose « Miami » serait une longueur d'onde assez étendue. Selon le nombre de cellules photosensibles dont notre rétine est tapissée, les photorécepteurs perçoivent la clarté (grâce aux bâtonnets) ou les couleurs (grâce aux cônes).
Lorsqu'un obstacle (objet ou ouverture) se place sur la trajectoire d'une onde, celle-ci se diffracte. Les atomes diffractés ont un mode opératoire similaire aux ondes. Le monde de Miami Fauve est de nature fluide/diffractée et oblique. En cela elle est structurellement reliée à notre époque.
La nature diffractée des ondes lumineuses qui induisent la couleur rejoint la diffraction qui caractérise le mode de vision contemporain. On glisse le doigt sur la tablette, on tapote sur l'écran de l'iPhone tout en cherchant une application sur l'ordinateur de la maison. Tous les supports sont potentiellement reliés, connectés, en co-présence. L'immédiateté potentielle crée une convergence plausible : nous serions tous ensemble.


SF-SFUMATO : LE PRÉSENT COMME PASSÉ DU FUTUR.

Tous ensemble mais où ? Quel est l'espace-temps, le lieu, l'endroit commun, d'une mémoire partagée (car il n'y a pas de lieu sans mémoire) ? Un froissement temporel, comme si deux plaques tectoniques s'étaient rencontrées, créant une convergence spatio-temporelle dont le signe est la convection colorée (passage de teintes froides à chaudes). Cet espace existe, en parallèle au notre, dans un tableau fractal. Il n'est pas utopique, il est une nouvelle topique. On y entre par un seuil qui dérive du rêve ou de la projection. L'auteur a entamé des correspondances (il en est à la 45e) afin d'en savoir plus sur la forme de son invention. Une oeuvre dont la forme serait déléguée ? De la même manière que Claire Bishop parle de « performance déléguée » (3).
Cette forme, c'est un plan dans lequel on peut évoluer de façon virtuelle et qui conjugue une esthétique post moderne (le Miami des années 80) et les coloris de la période Fauve de Georges Braque. Plus précisément les coloris d'un fauvisme atténué par un filtre « perroquet ».
La conjonction du début de la modernité et de sa forme performée par une esthétique du filtre produisent cette utopie hybride, Sim City arrêtée dans une archéologie du futur, en carte-postale. C'est le propre de la science-fiction que de faire paraître notre présent « passé ».

Diffractées par une ouverture possible, un passage de plan, vers une autre dimension, les couleurs sont la dimension additionnelle. Ici non décorative mais structurelle, la couleur est un vecteur pour passer un seuil. Un film nous donne des clefs. D'abord paru en feuilleton en 1972, Stalker, des frères Strougatski (1977), est le roman dont Andrei Tarkovski fera un film en 1979. Le sous–titre, « pique-nique au bord du chemin », est une clef importante pour comprendre la question du seuil. Les extra terrestres ayant infiltré la terre de façon discrète, ils ont laissé des traces, des zones de contacts. Les « stalkers » sont des personnes qui viennent piller des objets dans ces zones. Ils sont à la fois collecteurs et transmetteurs. Ils peuvent passer des seuils. Le propre du seuil c'est qu'on l'éprouve. On doit en faire l'expérience pour le passer, et on ne sait qu'on l'a passé qu'en le passant.
Ainsi la « collision » dont il est question ne relève pas du brutal accident, mais de la diffraction visuelle, qui crée des moments de rencontres entre des univers différents. Le toucher, le son, les odeurs, seront des étapes complémentaires de la construction de ce monde parallèle. Les particules colorées sont des fractions de temps qui dérivent, s'agglutinent pour faire forme : point, ligne, plan. Le sfumato pictoriel entérine cette évidence quantique : passé, présent, futur sont des concepts relatifs. Les temps se « cosmosent » en strates parallèles, qui parfois, se rencontrent lors de collisions perceptives. L'image de la bouteille de Venturi est là pour évoquer ce moment d'accélération, créant des tourbillons où les rencontres anachroniques deviennent possible. C'est ce que provoque Diego G. Don Vito : les images de l'Estaque de Braque, et celles de Miami sont réactivées dans un autre contexte : le présent où nous sommes. Le sfumato qui permet de flouter les espaces « entre » est formé de millions de micros particules qui s'accélèrent pour aider à passer un sas, un passage, le seuil/rideau de la pellicule colorée.


ÜBER-OBJET : LA COLLECTION COMME OBJET, L'OBJET COMME RESTE.

Un hyper-objet est un dispositif dont la forme peut-être un système. « Entities that are massively distributed in time and space that we humans can only see or deal with little pieces of them at a time—they might not even look as if they're present or real, especialy if we find that we are inside them or are parts of them as being a part of the biosphere. » dit Timothy Morton. (4) Cette définition pourrait s'appliquer aux objets « sentimentaux » collectés et collectionnés par l'artiste Caroline Saves avec laquelle Diego G. Don Vito a inventé le projet Cleptomanie Sentimentale (5). Pour ce projet, D. Guglieri Don Vito conçoit un espace pour recevoir des objets. Les cimaises roses, le plan du bar, les supports d'exposition, reçoivent les oeuvres glanées. Ici aussi il s'agit de concevoir une enveloppe, qui est plus qu'un module neutre d'exposition mais se lit comme le dispositif qui « fait exposition ».
C'est la collection dans son entier qui devient l'hyper-objet de ce système, grâce à la structure inventée par Diego Guglieri De Vito. De même, lorsqu'il réfléchit avec François Dehoux lors d'une résidence de recherche (6) et invente W, un cube blanc qui est un module pour expositions temporaires, il imagine une forme générique qui correspond aux attentes pratiques et symboliques de ce que l'on définit en tant qu'exposition contemporaine. C'est une réponse à l'überisation du monde et particulièrement du système de l'art contemporain, qui sous prétexte de « mort de l'auteur », dénie souvent aux auteurs leur nomination même. Le « cube » blanc, inventé par Brian O Doherty (en 1976), est un espace dédié aux oeuvres, qui les délocalise et les sépare du cadre habité par l'histoire du musée. À cette dramaturgie aseptisée qui correspond à la dernière étape du modernisme, l'artiste répond par une forme « spécifique » qui elle-même symbolise l'exposition comme oeuvre. Au temps linéaire et chronologique du musée classique, le musée imaginaire de Diego G. De Vito rejoint la vision dynamique d'un Lazlo Moholy Nagy et son projet de musée holographique. Les peintures téléphonées de celui-ci (Telephon Bilder, 1922-23) dont les coloris varient selon l'éloignement, furent une des premières oeuvres réalisées par délégation à l'aide d'un téléphone. Selon L. M. Nagy, l'analphabète de demain sera celui qui ignore la photographie. On pourrait replacer cette affirmation dans le contexte actuel et parler d'analphabète informatique. Cependant le contemporain ne se résout pas au medium, et c'est ce qu'implique le titre même du projet : Fauvisme et Miami, un mouvement du début du 20e siècle et une cité dont l'architecture post-moderne a suscité de nombreux fantasmes. La conjonction des deux structures répond à un dépassement des genres. À l'attente générique du récit historique (composition sur toile par touches) de l'urbanisme post-moderne (esthétique de citations), La Collision Miami Fauve répond par un dépassement de la téléologie moderniste. Il ne s'agit pas d'une filiation du Fauvisme à Miami, de la toile peinte à la toile/web. La structure même du plan ou du récit historiciste est dépassée pour céder la place à un pluralisme de possibles.
À la surface décorative des architectures post Las Vegas des années 80 au sampling « grunge » de Seattle des années 90, répond l'ambiant des années 90. La vaporwave des années 2000 génère une esthétique décorative, une forme de design d'espace qu'on pourrait analyser comme un éclatement fractal du formalisme moderniste. Un cube, oui, mais « translaté » en quelque sorte d'un univers parallèle à son actualisation dans le territoire de l'exposition (W, IAC, 2019).
C'est un objet littéralement, au sens où il est « projeté » d'un espace parallèle, La Collision Miami Fauve étant sa « matrice » en quelque sorte. Les objets que fabrique Diego G. Don Vito sont à la fois méta-matériel, ils dépassent la question de l'existant pour rejoindre celle du potentiel, protéiforme et virtuel. Le virtuel étant entendu non pas comme inexistant mais comme valide selon un point de vue. Comme les fractales ou les polysphères, ou encore les Aleph, ils prennent forment sensibles selon l'angle de vue. C'est en quelque sorte une vision latéralisée qui opère des crystallisations aux croisements de chemins. De ce monde rêvé, sortent des objets, comme de « la Zone » de Stalker. Ils sont extrudés de la Collision pour être utilisés dans le réel.


LA COULEUR EST UNE DIMENSION

Passer du plan à deux dimensions à celui de la troisième dimension, c'est l'histoire de la sculpture. Imaginer la couleur en tant que dimension c'est ouvrir la question de la perception des ondes. L'histoire de l'art moderne convoque la quatrième dimension, celle du temps, dans le récit (Proust) et dans les arts (Marcel Duchamp). Cependant la dimension du temps n'est pas une dimension physique. Pour calculer un espace en 4D on imagine une entité voulant passer d'un plan à un autre, cela est expliqué sur les sites de sciences physiques et on parle par exemple d'hypercube, un objet de dimension 4 dont le 4e axe de coordonnées est nommé W (le nom de l'objet « white cube ») de Diego G. Don Vito. Cependant un hypercube est un groupe de 8 cubes, lorsqu'on voit un cube, on ne perçoit donc qu'un des côtés de ce polygone.
On pense évidement à FlatLand et à son impact sur l'art moderne, de Duchamp à Cointet en passant par Larry Bell. FlatLand est un monde à deux dimensions où des entités rêvent de passer en 3D. C'est aussi une critique de la société de castes Victorienne par Edwin A. Abbott. (7) Lors de la rébellion des classes Isocèles, ceux–ci décrètent la Couleur, en tant que seconde nature, supprimant le besoin de distinction aristocratique, inventant une Innovation Chromatique, facteur d'égalité.(8) Celle-ci fut précédée d'une Révolte des Couleurs et suivi Loi de Coloration Chromatique, avant d'être matée. Duchamp a lu FlatLand et cela aide à comprendre le Le Grand Verre (1915-23) par exemple. La forme des Moules Maliques a été établie à partir des Stoppages Etalons (1913-14) qui sont produits par le fait de lâcher des fils d'une hauteur d'un mètre sur la toile. Puis les points de placement sont déterminés au hasard par un lancer d' allumettes sur le verre.


{SET} ET RE-SET

Si la couleur est une dimension, elle serait de l'ordre du symbolique, non de la physique. Ce développement symbolique des espaces produit une révolution dans la perception des structures et correspond à ce que l'extrusion apporte au virtuel : une probabilité d'existence parallèle, non moins réelle que la nôtre. Elle a le mérite d'ouvrir une nouvelle porte Utopique, à partir de la notion de passage et de projection colorée. Diego Guglieri Don Vito parle de la Vaporwave et on peut penser que la scène musicale de Portland des années 2010 fut important pour cette musique. Une musique d'ascenseur, de reprises d'épisodes de séries, qui utilise le fragment. Si l'on peut repérer une critique du capitalisme post-cyberpunk dans ces pratiques flottantes et circulant sur internet, c'est leur modus operandi qu'il est structurellement intéressant d'observer. La signification historique de ce nouveau genre, c'est son incapacité à fixer le canon d'un genre. Et en cela, parce que l'attente générique n'est plus un élément de validation, il inquiète la théorie du style. Il l'inquiète mais ne la détruit pas, il en modifie les présupposés. Prenons les conséquences de cette collision aléatoire, soit la rencontre du Fauvisme et de Miami sur fond de Flatland, pour un nouveau pari esthétique.


RIEN N'AURA LIEU QUE LE LIEU : LE CUBE BLANC EST UN DÉ SANS HASARD (SANS POINT)

S'il nous faut toujours des points pour tracer des droites, quelque soit le nombre de dimensions, il en faut aussi sur les faces des cubes pour devenir des dés.
Le cube W, hypercube solitaire qui a perdu les 7 autres côtés-cubes, est blanc. Il représente cette page blanche d'avant l'écrit dans le livre, son « avant-propos ». C'est une surface de projection potentielle. Par une stratégie oblique de distraction, Diego G. Don Vito fait glisser des objets de l'hyperzone vers notre monde. Par là il nous fait prendre conscience de la liberté et rend supportable la réalité. Il rend palpable, artistiquement, le symptôme de notre civilisation finissante : l'absence d'autonomie des formes en dehors de la perception humaine.


(1) Giovanni Battista Venturi (1746-1822), physicien Italien. L'effet Venturi décrit la relation entre la vitesse d'un fluide et la pression exercée sur celui-ci.
(2) Roberto Venturi, Learning from Las Vegas ; MIT , 1972.
(3) Claire Bishop, Artificial Hells, 2012, Verso.
(4) Tim Morton, Hyperobjects, Philosophy and Ecology after the End of the World.
(5) Cleptomanie Sentimentale, exposition collective, Fondation Saves, Lyon, 2018.
(6) W, cube blanc (203 x 203 x 203, bois) Artistes en résidence (Clermont-Ferrand) en Juin 2018. Il sera produit à l'IAC en juillet 2019 et montré à Clermont Ferrand (chez Artistes en résidence) en Septembre 2019.
(7) Flatland, Seely & Co. 1884. Il est notable que l'édition d'Arion press de 1980 présente un préambule de Ray Bradbury.
(8) Flatland IX De la loi de coloration universelle, p 52.53 . ©2012 Zones Sensibles.







Cleptomanie Sentimentale, compte rendu d'exposition
Caroline Saves et Diego Guglieri Don Vito, exposition de la collection Saves, Lyon
10.03.2018 - 17.03.2018
Publié sur le site de la revue Point Contemporain, 2018
voir


Dès l'entrée de l'immeuble, au numéro 6 de la rue du marché, le ton est donné : aucun doute possible, il s'agit bien ici d'une exposition publique. Loin des projets curatoriaux dits « d'appartement » souvent proches de « l'entre soi », la collection Saves ici présentée par Diego Guglieri Don Vito invite le spectateur à la découverte des pièces qui la composent dans un cadre domestique ouvert. Il s'agit d'une collection personnelle que Caroline Saves et Diego Guglieri Don Vito tentent de lire dans son ensemble, avec l'éclairage permis par un accrochage géographiquement et temporellement défini réalisant alors un « état de collection ». Dans cet appartement, si le parti pris d'un accrochage de type « muséal » est défendu, l'espace n'en reste pas moins un lieu de vie dépouillé de sa fonctionnalité et des traces d'occupation de sa propriétaire. Ainsi, le bar sert de surface et la fenêtre de support.

Cet espace apparaît toutefois « habité » tant l'architecture du lieu comme le dispositif scénographique sont caractérisés. Le carrelage en damier et l'unique meuble laqué, loin de représenter une véritable contrainte permettent d'insister sur l'aspect intimiste d'une exposition de collection accrochée chez sa propriétaire. Chaque pièce trouve ici sa place : sur une cimaise montée pour l'occasion, derrière une poutre, dans une alcôve, en haut d'une porte.

Les oeuvres, nombreuses, sont toutes potentiellement mobiles : elles se transportent pliées dans une poche, roulées dans un sac, ou glissées entre les pages d'un livre. Ces formats invitent à fantasmer leurs histoires parfois chaotiques : de la pièce échangée à celle dérobée dans une exposition, en passant par celle vouée à une destruction certaine et pourtant glanée dans le recoin d'un atelier. Tout ici évoque la fictive petite boite en fer contenant un trésor jusqu'ici jalousement gardé secret.

On y découvre entre autre sérigraphies et peintures de Charlotte Denamur, sculptures en cire d'Amandine Arcelli, tirages photographiques de Léa Mercier et cloches en plexiglass de Florent Frizet.

En exposant ces pièces, Diego Guglieri Don Vito évoque la notion inhérente au projet de réhabilitation : la question du statut de chacune de ces productions, se pose ici avec évidence. Si pour Caroline Saves qu'importe le statut, leur valeur est éminemment sentimentale, elles sont pourtant ici titrées, réévaluant la place qu'elles occupent, ou qu'elles pourraient occuper dans une pratique artistique. Est-il possible d'y voir, peut-être en négatif, quelques indices sur l'essence d'un travail ? Ou est-ce l'exposition en elle-même qui ferait « oeuvre » ?

Peut-être est-ce ici la force de cette proposition qui se situe à la frontière entre le public et le privé, l'accrochage muséal et les spécificités d'un appartement, l'oeuvre exposée et la tentative d'atelier.

Un anonyme serait tenté d'y risquer un rapide manifeste sur post-it...


L'exposition Cleptomanie Sentimentale réunit les oeuvres des artistes Amandine Arcelli, Bruno Rey, Charlotte Denamur, Diego Guglieri Don Vito , Eleni Riga (HD KEPLER), Florent Frizet, Léa Mercier, Lisa Algayer, Lucie Douriaud , Manon Vargas , Marie Clerel , Maxime Delhomme, Sabine Leclerq, Théo Massoulier, ainsi que des apparitions surprises.