Nihâl MARTLI 

«Pour Nihâl Martli, peindre est l'occasion de se glisser dans la peau de divers avatars, généralement féminins, afin de mieux affronter l'histoire (la grande, celle de l'art, la petite, celle de sa vie). Les personnages dont elle s'empare ou qu'elle crée constituent, peut-être, le masque de pudeur derrière lequel abriter certaines audaces, mais ils sont avant tout un moyen de faire porter sa voix au plus loin.»
Josué Rauscher

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Avec la peinture, j'essaie de faire exister ma propre histoire dans l'Histoire. Souvenirs et réalité du temps présent se mélangent, la peinture me mène dans une vie parallèle et me laisse parfois là-bas (pour un temps).

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D'une certaine façon, je peux dire que j'ai commencé par être muraliste et cela remonte à mon enfance. Nous habitions, ma famille et moi, un genre de logement de fonction, sur l'île de Chypre, dans la zone militaire. Mes parents avaient repéré mon goût pour la peinture et m'encourageaient dans cette pratique (durant laquelle je les laissais tranquilles), ils m'alimentaient régulièrement en gouaches, crayons de couleur, papier... Mais mon engouement dépassait déjà leurs espérances; j'avais en effet repéré les pans de murs dissimulés par le mobilier et, jour après jour, deux années durant, j'oeuvrais discrètement et souvent dans la demi-pénombre à un vaste projet in-situ (en me faufilant sous les canapés, derrière les armoires, etc.). Deux années d'une besogne secrète, sans pouvoir juger de l'ensemble de ma production, sans même un peu de recul, dans l'attente du jour du dévoilement qui serait aussi le jour du déménagement. Je jouais dans le jardin avec ma soeur quand survinrent les cris, les hurlements, les appels “Nihâl ! Nihâl !”. La curiosité fut plus forte que la peur et, disposant de quelques minutes de netteté seulement (avant que les larmes ne brouillent tout) j'entrais contempler MA PREMIÈRE EXPOSITION !


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Les femmes qui jouent leur biographie m'intéressent beaucoup. J'aime leur attitude de défi face à la réalité du monde, leur ambiguïté.

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Aux autoportraits que je réalise se mêlent des portraits des membres de ma famille, de ma famille imaginaire (par exemple les écrivains que j'aime) ainsi que des personnages proprement fictifs.
To autoportraits that I paint blend the portraits of the members of my family, of my imaginary family (for example the writers that I Iike) as well as the characters completely fictive.
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Parmi les choses qui m'intéressent dans la série de grands portraits* : la diversité (et la liberté) des gestes et des textures, la quête d'une plus grande présence (du personnage, de la peinture), d'une plus forte intensité. Ce sont les plus grandes figures que j'ai peintes à ce jour**, elles font suite à une série de dessins (mine de graphite sur papier) amorcée l'été 2007 (autoportraits et portraits de famille). Comme il y a moins d'enjeux narratifs dans ces peintures, je les peins de façon plus décontractée, plus libre, j'y tente peut-être des choses plus risquées, elles constituent actuellement mon “laboratoire” de peinture par lequel surgissent de nouvelles questions : Faut-il ou non laisser apparaître le blanc de la toile ? Qu'est ce qui change quand je peins plus grand que nature ? D'où provient l'aspect monumental : du format lui même ou du fait que la figure remplit pleinement le cadre ? À quel moment peut-on dire d'une peinture en cours qu'elle est terminée ? Etc.
* réalisés en 2007 et 2008
** 15 janvier 2008

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Avant mon premier séjour en France*, mes peintures étaient assez narratives. Je les considérais comme des autoportraits, mais je pense maintenant je qu'elles sont davantage des mises en images de ma propre histoire fantasmée. Ce séjour a été l'occasion d'essayer de nouvelles façons de travailler : en oeuvrant simultanément sur plusieurs peintures, en modifiant les rapports d'échelle (ce qui me permet de changer le geste de peindre), en débordant davantage de la notion d'autoportrait, en m'écartant par moment des aspects narratifs pour aller vers une plus grande immédiateté.
* 2006/2008

For Nihal Martli, to paint is the opportunity to slide into the skin of diverse avatars, generally feminine, in order to face history in better and richer ways (The great one Art History, the small one Herstory). The characters that she appropriates or that she creates are drawing the mask of modesty behind which to shelter a certain boldness, a manner to carry her voice further.

Josué Rauscher

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In a way, I can say that I began as a muralist and this traces back to my childhood. We were resident, my family and me, in a quartering, a kind housing benefit for military personnel, in the island of Cyprus, in the military zone. My parents had tracked down my taste for painting and encouraged me in this practice (during which I was leaving them peaceful); they were feeding me regularly with gouaches, coloured pencils, paper ... But my keen interest was already exceeding their expectations; I had indeed found out sections of a wall hidden by the furniture and, day after day, for two years, I was working discreetly and often in the half-twilight in a vast project in - situ (by creeping under sofas, behind cupboards, etc.). Two years of a secret job, without being able to judge my whole production, without any backward step, in the expectancy of the day of unveiling which would also be the day of relocation. I was playing in the garden with my sister when arose the shouts, the roarings, the calls “Nihâl ! Nihâl ! ”. The curiosity was stronger than the fear and availing only few unclouded minutes (before my tears blurred everything) I began to meditate on MY FIRST EXHIBITION!

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Women who enact their biographies interest me so much. I like their attitude of challenge against the reality of the world, their ambiguity.

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With painting, I try to maintain my own story within the entity of History. Memories and the reality of present time are blending, painting leads me into a parallel life and sometimes leaves me over there (for a while).