Cathryn BOCH 

Vues de l'exposition Reverse, Galerie Papillon, 18 mai – 18 juillet 2019
Crédit photos Jean-Christophe Lett
 
 
  Sans titre 2019
Tapis de sol, cartographie maritime, couture machine, couture main
161 x 90 x 25 cm

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  Sans titre 2019
Houla hoop, photographie aérienne Matthieu Colin, carte topographique sur calque, couture machine, couture main
100 x 100 cm

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  Sans titre 2019
Rideau porte à lanières plastique,
vue aérienne, tirage numérique sur plastique, barre en bois, couture machine, couture main
200 x 81 cm

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Sans titre 2019
Plastique, cire, fil de cuivre, couture machine sur papier poncé
149,5 x 158 x 25 cm

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Sans titre 2019
Image de presse, tirage photo numérique, collage, barre en bois, couture machine
214 x 115,6 x 35 cm

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«Je pars de là où je suis pour rencontrer le monde».1

Juin 2018. Symbole des difficultés de l’Europe à appréhender le défi migratoire, l’Aquarius se voit refuser l’accès aux côtes maltaises et italiennes. Le bateau et ses 629 migrants – hommes, femmes, enfants, secourus en mer – restent bloqués plusieurs jours sans pouvoir accoster, avant que l’Espagne ne décide finalement de les accueillir. Le silence de la France se fait alors assourdissant.
Octobre 2018. Malgré les protestations des habitants, les arbres centenaires de la place de la Plaine à Marseille sont détruits pour laisser place à un ruban de murs protégeant des travaux, symptôme de la gentrification de la cité  phocéenne.
Novembre 2018. Deux immeubles de la rue d’Aubagne dans le quartier de Noailles à Marseille, s’effondrent, provoquant la mort de 8 personnes. Ce drame met en lumière la vétusté de l’habitat dans les quartiers populaires de Marseille.
  Habiter la frontière. Habiter un immeuble, un quartier, une ville. Habiter un pays, un monde. Habiter un corps. C’est habitée par ces événements tragiques, ces tensions sociales, que Cathryn Boch commence à l’automne 2018 une résidence de recherche et de création au 3bisF – lieu d’arts contemporains situé dans le Centre Hospitalier psychiatrique Montperrin – où sont réalisées les oeuvres présentées aujourd’hui à la Galerie Papillon. Très intense sur le plan physique comme  émotionnel, la résidence est l’occasion pour l’artiste d’entamer un nouveau chapitre, mue par l’urgence d’apprivoiser son quotidien, d’exorciser ces drames. Une urgence de créer qui répond à l’urgence sociale, écologique, humanitaire que nous vivons et qui nous habite. "Mes dessins sont à l’image de mon quotidien. Ce sont des strates. Ils attendent de se constituer petit à petit, ils se chargent du monde qui les entoure. C’est une approche de mémoire et de présent absolu".2

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Sans titre 2019
Carte IGN, peinture, cire, calque topographique, carton, fil de fer, images de presse, henné, couture machine, couture main
160 x 70 x 25 cm

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Sans titre 2019
Carte maritime Méditerranée, carte topographique, collage papier, plastique, balle, fil de fer, épingles
91 x 41 x 22 cm

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Sans titre 2019
Photographie aérienne Matthieu Colin, carte topographique, plan urbanistique plastifié, greffe de cartographie, vue aérienne colorisée sur plastique, calque de couleur, couture machine, couture main, citation Jacques Rancière
113 x 282 x 15 cm
 
 

Sans titre 2019
Carte maritime Méditerranée, carte topographique, papier poncé, image de presse, élastique plastique orange, bouée de bateau, châssis en bois, clous en bois, couture machine, couture main
124 x 215 x 11 cm

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Sans titre 2019
Feuillet d'atlas, plastique orange, couture machine
57 x 50 x 7 cm
 
 

Sans titre 2019
Carte topographique sur calque plastique, image de presse, carton sucré, couture machine, couture main
51 x 30 x 10 cm

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Sans titre 2019
Image de presse, bonnet de bain, couture machine
30 x 23 x 12 cm
 
 
Sans titre 2019
Carte topographique sur calque plastique, image de presse, carton sucré, couture machine, couture main
51 x 30 x 10 cm

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Sans titre 2019
Image de presse, moquette, bois compressé, couture machine, couture main
Recto-verso
43 x 87 cm

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Sans titre
2019
Grand plastique vert, plastique, collage, images de presse, bois compressé, couture machine, couture main
Recto-verso
70 x 59 cm

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Sans titre
2019
Carte maritime, image aérienne Fos-sur-Mer, bois compressé, couture machine
53,5 x 74 cm

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«Je pars de là où je suis pour rencontrer le monde».1

Juin 2018. Symbole des difficultés de l’Europe à appréhender le défi migratoire, l’Aquarius se voit refuser l’accès aux côtes maltaises et italiennes. Le bateau et ses 629 migrants – hommes, femmes, enfants, secourus en mer – restent bloqués plusieurs jours sans pouvoir accoster, avant que l’Espagne ne décide finalement de les accueillir. Le silence de la France se fait alors assourdissant. Octobre 2018. Malgré les protestations des habitants, les arbres centenaires de la place de la Plaine à Marseille sont détruits pour laisser place à un ruban de murs protégeant des travaux, symptôme de la gentrification de la cité  phocéenne. Novembre 2018. Deux immeubles de la rue d’Aubagne dans le quartier de Noailles à Marseille, s’effondrent, provoquant la mort de 8 personnes. Ce drame met en lumière la vétusté de l’habitat dans les quartiers populaires de Marseille.

Habiter la frontière. Habiter un immeuble, un quartier, une ville. Habiter un pays, un monde. Habiter un corps. C’est habitée par ces événements tragiques, ces tensions sociales, que Cathryn Boch commence à l’automne 2018 une résidence de recherche et de création au 3bisF – lieu d’arts contemporains situé dans le Centre Hospitalier psychiatrique Montperrin – où sont réalisées les oeuvres présentées aujourd’hui à la Galerie Papillon. Très intense sur le plan physique comme  émotionnel, la résidence est l’occasion pour l’artiste d’entamer un nouveau chapitre, mue par l’urgence d’apprivoiser son quotidien, d’exorciser ces drames. Une urgence de créer qui répond à l’urgence sociale, écologique, humanitaire que nous vivons et qui nous habite. "Mes dessins sont à l’image de mon quotidien. Ce sont des strates. Ils attendent de se constituer petit à petit, ils se chargent du monde qui les entoure. C’est une approche de mémoire et de présent absolu".2

Il y a dans la démarche artistique de Cathryn Boch une profonde proximité avec la Gestalt thérapie, pour qui l’acte créateur se définit comme la capacité à transcender la lutte quotidienne pour la survie. Gestalt, qui se traduit par "forme" au sens de prendre forme, s’organiser, se construire, est une approche thérapeutique centrée sur l’interaction constante de l’être humain avec son environnement. C’est donc en lien avec son environnement, avec son lieu de vie, que l’artiste travaille à partir de cartes de la ville de Marseille : du quartier de Noailles, de la place de la Plaine, de cartes maritimes de la M diterranée, de vues aériennes de la région. Carrefour méditerranéen où se tissent des liens profonds et sensibles entre la France et l’Europe, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, Marseille est une ville frontière, une ville ouverte, un port d’accueil, qui tend peu à peu à se fermer sous la pression des débats vifs et brûlants sur la crise et l’accueil des migrants. Métaphore de cet entre-deux géographique, un rideau en plastique bleu transparent est envahi de fils, comme pour trouver un passage, une voie, une issue à ces débats tendus entre deux polarités : hospitalité et hostilité. Une tension puissante et poétique cultivée par l’artiste dans ses oeuvres à la fragilité exacerbée. Tension de la matière malmenée, percée, pliée ; tension du fil noué ; tension de l’oeuvre en suspens, comme sur le point de se disloquer, de se démembrer. Tension d’un monde secoué par différents séismes : crise migratoire, montée des extrêmes, guerres, réchauffement climatique… La terre sombre, les continents s’érodent dans les dessins de Cathryn Boch, où la récurrence du jaune et de l’orange nous alerte sur le délabrement du monde. Ces couleurs vives, inédites dans le vocabulaire plastique de l’artiste, agissent comme des signaux d’alerte, des balises, soulignant les tensions, les désillusions, d’un monde qui s’étiole,à l’image des cartes poncées, cousues, raccommodées, dans un intense corps à corps, dans un nécessaire mouvement de la pensée. Dans cette lutte pour dompter la matière, apprivoiser le monde, l’artiste s’attaque pour la première fois au plastique pour dire l’urgence des terres polluées, des mers noyées, des corps contaminés. Dans un équilibre fragile, le papier des cartes se fissure, les points de couture se délitent sous le poids de la rondeur d’un ballon, sous la tension d’un cerceau. Les é ments en plastique utilisés induisent un rapport au corps, à l’espace, au mouvement dans un aller-retour permanent entre le macrocosme des cartes et le microcosme des corps. Un mouvement particulièrement prégnant dans les oeuvres récentes qui gagnent en volume, débordent du cadre, se détachent du mur, pour conquérir l’espace, jouer avec les vides. Entre le dessin, la sculpture et l’installation, les oeuvres déploient des lignes de fuite, qui les connectent à l’espace, au spectateur. Ainsi, au mouvement du corps de l’artiste en lutte, répond celui du spectateur, invité à faire un pas de côté, afin de changer de point de vue. La transparence des papiers est aussi privilégiée, le verso des dessins dévoilé, brouillant la frontière entre devant et derrière. La frontière est un espace paradoxal, à la fois marginal et central, espace de fermeture et de rencontre. Pour l’autrice Léonora Miano, elle "évoque la relation. Elle dit que les peuples se sont rencontrés, quelquefois dans la violence, la haine, le mépris, et qu’en dépit de cela, ils ont enfanté du sens".3 Cathryn Boch, qui est née en Alsace de parents venant des deux pays, porte en elle ce paradoxe des frontières mouvantes, qu’elle tisse, défait, ligature, comme pour capturer, dompter des forces obscures. Par ce geste répétitif, hypnotique du lien, du point de couture, l’artiste s’inscrit dans une longue tradition de pratiques rituelles pour conjurer le mauvais sort. Ici, le mal exorcisé par cet enchevêtrement de fils est celui qui habite la cartographie : instrument et matrice de l’idéologie impérialiste, coloniale, capitaliste, patriarcale. La science de la cartographie s’est développée au 19e siècle parallèlement à l’entreprise coloniale. En ce sens, elle cristallise les rapports de force, les conquêtes. En parcourant des cartes topographiques, maritimes… de sa machine à coudre, Cathryn Boch traverse avec l’aiguille des territoires, dans un mouvement paradoxal de déchirure et de lien, pour réparer les dommages, suturer les plaies de l’Histoire, reconquérir des territoires colonisés, exploités. Son processus créatif de l’ordre de la blessure et du soin, de la déchirure et de la suture, cultive l’ambivalence, la tension entre violence et beauté, ruine et sublime. Entre l’archéologie d’un territoire et l’autopsie d’un corps malade, l’artiste fouille les entrailles des cartes et des corps, dont la violente beauté n’est pas sans rappeler l’émotion et le tourment ressenti face au Boeuf écorché (1925) de Chaïm Soutine. Par assemblage, agrégat, Cathryn Boch dessine des contre-géographies, personnelles, intimes, fictionnelles, charnelles, à travers un maillage de territoires en mutation où "greffer serait affirmer des possibles pour faire naître un monde".4 Par cette expérience affective de la géographie, l’artiste affirme un ailleurs intime, comme une méditation profonde, un cheminement intérieur pour articuler une relation entre soi et l’Autre, entre soi et le Monde.

Sonia Recasens
Critique d’art & commissaire d’exposition
Avril 2019


1 Entretien avec Cathryn Boch, avril 2019
2 "Cathryn Boch dans les entrailles du dessin", Philippe Piguet, in Art absolument, mai/juin 2015, p.88-91
3 Léonora Miano, Habiter la frontière, L’Arche, Paris, 2012, p.25
4 Cathryn Boch, Une approche de la nécessité d’un processus créatif, 2016

 
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