Cathryn BOCH 

Vues de l'exposition Des luttes invisibles, centre d'art 3bisf, Aix-en-Provence, 2023
Crédit photos Jean-Christophe Lett
 
 
 
  Paille naturelle, image satellite sur vinyle, tissus, couture machine couture main, 180 x 90 cm
2022-2023

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Je vis à Marseille depuis 2014. Dans mon parcours j’ai été de résidences en résidences, un nomadisme d’atelier pour répondre à la nécessité d’un espace de travail mais aussi pour renouveler des expériences d’exploration de territoires avec les préoccupations sociales, politiques, écologiques qui s’y inscrivent. Marseille est la ville qui m’a retenue le plus longtemps et c’est ici que mon travail prend le risque de s’inscrire précisément dans la singularité d’un territoire. Marseille est cette ville frontière, qui concentre mes recherches sur les questions de déplacements en Méditerranée, de migrations empêchées et d’hospitalité. […]

Je trace des lignes, je dissèque, je greffe, je relie, je raccommode, j’envahis les surfaces de fils. En creux il y a le corps, c’est physique. La carte, le territoire, la frontière aussi c’est physique, parfois on s’y cogne, et souvent encore on y meurt. Dans l’épaisseurs de ces strates de coutures il y a de la transformation et de l’espoir, c’est une approche politique.

« ne pas se laisser dévorer par sa colère en faire quelque chose »… c’est ce que l’on peut lire sur l’une de mes dernières pièces.
La colère que je ressens face aux injustices, une colère face à toutes ces oppressions, ces violences, faites à nos corps, à nos environnements… et depuis quelques années précisément une colère face à la violence inouïe des politiques migratoires actuelles en Europe et en Méditerranée. Cette situation me bouleverse en tant que citoyenne, vivant à Marseille, au bord de cette mer Méditerranée. Cette situation me bouleverse parce qu'elle dit un profond dérèglement humanitaire, elle parle d'exclusion, elle parle de violence, elle parle de survie et cependant elle parle aussi de résistance, de luttes et d'espoirs. C’est surtout vers là que je dirige mon travail, à mettre en avant cette force immense de résistances, de luttes et d’espoirs, parce que justement des milliers de personnes tentent malgré tout de traverser, de trouver refuge en Europe, et 51% sont des femmes.

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Voile de bateau (recto verso), tarlatane, couture machine, 141 x 107 cm
2023

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Je vis à Marseille depuis 2014. Dans mon parcours j’ai été de résidences en résidences, un nomadisme d’atelier pour répondre à la nécessité d’un espace de travail mais aussi pour renouveler des expériences d’exploration de territoires avec les préoccupations sociales, politiques, écologiques qui s’y inscrivent. Marseille est la ville qui m’a retenue le plus longtemps et c’est ici que mon travail prend le risque de s’inscrire précisément dans la singularité d’un territoire. Marseille est cette ville frontière, qui concentre mes recherches sur les questions de déplacements en Méditerranée, de migrations empêchées et d’hospitalité.

Ma pratique d’artiste est essentiellement une pratique d’atelier. C’est un lieu très important pour moi. Il est ce point géographique à partir duquel mes expériences de pensée, de rencontres, d’explorations, sont possibles. Et c’est aussi la fabrique, ce lieu où je fais face. Le mouvement circule de l’extérieur vers l’intérieur, puis il s’ouvre à nouveau vers l’extérieur… et revient vers l’atelier. Il faut faire passer de la vie.
Souvent c’est une rencontre avec une émotion, quand je sens quelque chose de singulier et que j’ai été transformé…
Je ne sais jamais d’avance où je vais, j’engage mes recherches, frénétiquement, je saisie toutes sortes de nourritures : des lectures philosophique, sociologique, anthropologique, politique, des poèmes, des images, des matières, des cartographies, des manifestations, dans la rue, dehors - dedans, c’est partout en fait… Et la singularité peut se déployer, je peux l'explorer, voir où elle m’emmène, à quoi elle a ouvert…
Pour moi fabriquer, faire, doit agir de manière effective.
Et dans un rapport concret ici et maintenant, entre moi et ma machine à coudre, quelque chose de singulier se produit, mais qui ne convient jamais entièrement…

Oui parce que mon outil c’est une machine à coudre, avec elle et à partir de toutes sortes d’écritures de territoires, je fabrique des contre-géographies personnelles, des cartographies radicales, charnelles, militantes. Je trace des lignes, je dissèque, je greffe, je relie, je raccommode, j’envahie les surfaces de fils. En creux il y a le corps, c’est physique.
La carte, le territoire, la frontière aussi c’est physique, parfois on s’y cogne, et souvent encore on y meurt.
Dans l’épaisseurs de ces strates de coutures il y a de la transformation et de l’espoir, c’est une approche politique.

« ne pas se laisser dévorer par sa colère en faire quelque chose »… c’est ce que l’on peut lire sur l’une de mes dernière pièces.
La colère que je ressens face aux injustices, une colère face à toutes ces oppressions, ces violences, faites à nos corps, à nos environnements… et depuis quelques années précisément une colère face à la violence inouïe des politiques migratoires actuelles en Europe et en Méditerranée. Cette situation me bouleverse en tant que citoyenne, vivant à Marseille, au bord de cette mer Méditerranée. Cette situation me bouleverse parce qu'elle dit un profond dérèglement humanitaire, elle parle d'exclusion, elle parle de violence, elle parle de survie et cependant elle parle aussi de résistance, de luttes et d'espoirs. C’est surtout vers là que je dirige mon travail, à mettre en avant cette force immense de résistances, de luttes et d’espoirs, parce que justement des milliers de personnes tentent malgré tout de traverser, de trouver refuge en Europe, et 51% sont des femmes.

Les femmes sont absentes du grand récit des migrations, généralement invisibilisées, ou victimisées, évidemment, alors qu’elles font ce choix de refuser le destin qui leur est assigné, qu’elles traversent les frontières et construisent leurs propres trajectoires.
Dans mon projet « Des luttes invisibles » j’ai eu un besoin viscéral de montrer leurs forces, leurs résistances, leurs capacités à décider, à fabriquer du lien, à lutter ensemble.
Elles ont des ressources incroyables, elles manifestent, brandissent des pancartes, scandent des slogans, diffusent des lettres ouvertes dénonçant l’inhumanité de ce qu’elles vivent sur leurs parcours. Elle est là la cause des migrantes, c’est celle portée par les migrantes ellesmêmes sur la frontière devenue leur lieu de vie et de politique. Alors faire quelque chose de cette colère, qu’elle soit effective, je m’en retourne au geste, ces cartographies que je veux vivantes cultivent des connexions qui n’existent pas, elles sont transformatives, je conteste, je résiste, et je tente d’ouvrir des possibles…
Il s’agit de plusieurs voiles de bateau, sur lesquelles les images satellite des 46000 kilomètres du pourtour terre-mer de la Méditerranée sont transposées dans leur continuité géographique, à la toute limite des bords de la voile. Mes coutures prolifèrent à travers les données des cartes et envahissent l'espace pour se confronter à l’épaisseur des récits-trajectoires, témoin cartographique d’une frontière devenue infranchissable.
Ces cartographies créent un espace d’imagination géographique alternative. Les voiles sont découpées par pans de différentes tailles et présentées sous forme d’installation comme un parcours.

Des mots, des phrases, des citations ou des interpellations sont également présents. Ce sont des mots cousus, comme des alertes, des cicatrices ou de puissants cris d’espoirs. Ce sont des récits, des situations, relevées lors de mes recherches, qui me touchent, m’affectent et je veille à les transcrire, de sorte à ne jamais prendre la parole à la place de ces femmes mais à parler avec elles de ce que j’en ressens.

Aussi tout récemment je me suis rapprochée de Coco Velten et du collectif Sindiane (programme communautaire de soutien et d’accompagnement des migrant.e.s qui s’adresse aux femmes et aux personnes LGBT), pour développer et partager une expérience de création collective avec un groupe de femmes migrantes.
Avec elles je tente d’ouvrir un espace d’échanges à plusieurs voix sur leurs expériences migratoires et de fabriquer ensemble des cartographies sensibles et manifestes.

 
 
Voiles de bateau, images satellites du pourtour de la Méditerranée, tirage numérique sur plastique,
couture machine, couture main, installation structure en bois, peinture jaune
2022-2023
 
 
 
Voiles de bateau (recto verso), images satellites du pourtour de la Méditerranée (Libye), tirage numérique sur plastique,
couture machine, couture main, mots cousus, 190 x 170 cm
2023
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Voile de bateau, images satellites du pourtour de la Méditerranée (Turquie-Syrie), tirage numérique sur plastique, couture machine, couture main, 178 x 240 cm
2022
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Voile de bateau, images satellites du pourtour de la Méditerranée (Liban-Israël-Palestine- Egypte),
tirage numérique sur plastique, couture machine, couture main, 178 x 165 cm
2022-2023
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Voile de bateau, images satellites du pourtour de la Méditerranée (de la Croatie à la Grèce),
tirage numérique sur plastique, couture machine, couture main, 320 x 260 cm
2022-2023
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Gouache, couture machine, collage, tarlatane, papiers assemblés, 38 x 55 cm
2023
 
 
Tarlatane, plastique de serre, vinyle, ruban laine, couture machine,
couture main, 143 x 129 cm
2023
 
Tarlatane, voile de bateau, couture machine, 114 x 48 cm
2023
 
Voile de bateau, image impression sur vinyle,
couture machine, citation Hanna Arendt, 151 x 81 cm
2023
 
 
Texte de militantes Alarmphone, lettrage adhésif colé sur le mur, 213 x 40 cm
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Gouache, image imprimée, collage, tarlatane, couture machine, papiers assemblés, 32 x 49 cm
2023
 
 
  Voile de bateau, toile enduite,
image impression vinyle, couture machine,
couture main, 115 x 140 cm
2023

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Gouache, crayon, huile, tarlatane, couture machine, papier poncé, 21 x 70 cm
2023
 
Voile de bateau, image tirage numérique
sur vinyle, tissu, couture machine,
couture main, 88 x 111 cm
2023

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Texte du réseau Alarmphone, lettrage adhésif colé sur le mur, 213 x 130 cm
 
[…] Alarmphone c’est un réseau transnational de personnes qui luttent contre le régime européen des frontières. Il exige des passages de sécurité en Europe et la liberté de circulation pour tout le monde. Alarmphone ce sont des activistes et des membres de la société civile européenne et nord-africaine qui se mobilisent pour accompagner les migrantes et les migrants dans leur traversée de la Méditerranée.[…]

Alarmphone ce sont aussi des récits de terrain, à partir des expériences effectives des migrantes et des migrants.
C’est important de prendre soin d’une parole, c’est lutter pour qu’elle soit entendue. Ici précisément prendre soin des voix qui ne sont pas entendues.

Je crois qu’à travers leurs récits, j’ai pris conscience de la force politique des personnes aux frontières. Les migrantes et les migrants se politisent contre ce qui est pour elles et eux une injustice, une violence. Iels l'énoncent comme un conflit des droits humains avec des mots comme « liberté - respect - humanité ».
Dans mon projet « des luttes invisibles » je convoque une version située de l’expérience migratoire, un intérêt pour les femmes migrantes en tant que sujets politiques. Parce qu’elles représentent de 48 à 51 % des personnes sur ces routes et qu’elles sont généralement invisibilisées, évidemment. (Doublement invisibilisées). J’ai eu un besoin viscéral de montrer leurs forces, leurs volontés à décider, à fabriquer du lien, à lutter ensemble...



Extrait de la présentation lue lors de la table ronde
Art-Soin-Citoyenneté le 24 juin au 3bisf

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Je ne me définirais pas vraiment comme une artiste dont la pratique est dirigée vers le soin, même si dans la couture il y a ce geste de relier, ou de raccommoder… je suis cependant convaincue de l’effectivité de l’art à fabriquer du lien et de la pensée, autour d’engagements. En tant qu’artistes nous sommes souvent les premiers à trouver une forme de soin dans nos pratiques, et à la partager.
Dans l'exposition il y a cette pièce tout au début, une voile pliée sur laquelle on peut lire « ne pas se laisser dévorer par sa colère en faire quelque chose »…
Cette colère que je ressens face aux injustices, une colère face à toutes ces oppressions, ces violences, faites à nos corps, à nos environnements… Ici précisément une colère face à la violence inouïe des politiques migratoires actuelles en Méditerranée. Cette situation me bouleverse en tant que citoyenne, vivant à Marseille, au bord de cette mer Méditerranée. Citoyenne d’une Europe dont je n’approuve ni les actes ni les intentions sur les conditions d’accueil et de protection des migrants et des migrantes, parce qu’ils disent un profond dérèglement humanitaire.

Alors faire quelque chose de cette colère, qu’elle soit effective, je m’en retourne au geste, ces cartographies que je veux vivantes cultivent des connexions qui n’existent pas, elles sont transformatives, je conteste, je résiste, et je tente d’ouvrir des possibles…

Peut-être que c’est cela pour moi prendre soin…apprendre à penser les situations du point de vue des possibles, ce serait prendre soin des possibles… Le collectif Alarmphone est une belle réussite de possibles…
Alarmphone c’est un réseau transnational de personnes qui luttent contre le régime européen des frontières. Il exige des passages de sécurité en Europe et la liberté de circulation pour tout le monde. Alarmphone ce sont des activistes et des membres de la société civile européenne et nord-africaine qui se mobilisent pour accompagner les migrantes et les migrants dans leur traversée de la Méditerranée.

Peut-être pour moi c’est cela prendre soin…. AlarmPhone répond à cette colère justement pour ne pas se laisser dévorer… Après les terribles naufrages successifs de 2013 (le 3 octobre 366 personnes se noient près de Lampedusa, le 11 octobre ce sont 250 personnes qui se noient après avoir appelé à l’aide en vain), et le triste constat que les appels d’SOS auprès des garde-côtes, italiens, grecques, maltais n’avaient pas été pris au sérieux. Ces drames ont soulevé des questions essentielles : que ce serait-il passé si les personnes en détresse délibérément ignorées par les garde-côtes avaient eu la possibilité d'appeler une ligne téléphonique indépendante ? N'est-il pas possible de donner plus d'efficacité aux appels de détresse en impliquant immédiatement la société civile ? Le réseau d’alarme alternatif est mis en place en octobre 2014, en coopération avec le projet Watch The Med. (plateforme de cartographie en ligne permettant de surveiller les décès et les violations des droits des migrants aux frontières maritimes de l’Europe)
Alarmphone a pris le chemin de l'agir, iels font pression sur les autorités, sur les États en temps réel, pour que les lois soient respectées, pour que les droits humains soient respectés.
Iels sont là en direct 24h sur 24 pour répondre à des personnes qui se trouvent en détresse en mer, iels sont là comme un soin premier, un soin ultime : celui de veiller sur ces milliers de personnes pour qu'elles ne meurent pas noyées en mer. C’est une forme immense d’espoirs.
J’avoue qu’Alarmphone m’a donné de la force…

Alarmphone ce sont aussi des récits de terrain, à partir des expériences effectives des migrantes et des migrants.
C’est important de prendre soin d’une parole, c’est lutter pour qu’elle soit entendue. Ici précisément prendre soin des voix qui ne sont pas entendues.

Je crois qu’à travers leurs récits, j’ai pris conscience de la force politique des personnes aux frontières. Les migrantes et les migrants se politisent contre ce qui est pour elles et eux une injustice, une violence. Iels l'énoncent comme un conflit des droits humains avec des mots comme « liberté - respect - humanité ».

Dans mon projet « des luttes invisibles » je convoque une version située de l’expérience migratoire, un intérêt pour les femmes migrantes en tant que sujets politiques. Parce qu’elles représentent de 48 à 51 % des personnes sur ces routes et qu’elles sont généralement invisibilisées, évidemment. (Doublement invisibilisées). J’ai eu un besoin viscéral de montrer leurs forces, leurs volontés à décider, à fabriquer du lien, à lutter ensemble.
Elles ont des ressources incroyables, elles manifestent, brandissent des pancartes, scandent des slogans, diffusent des lettres ouvertes dénonçant l’inhumanité de ce qu’elles vivent sur leurs parcours.
Elle est là la cause des migrantes, c’est celle portée par les migrantes elles-mêmes sur la frontière devenue leur lieu de vie et de politique.

Et enfin une dernière chose dans mon projet qui résonne par contagion avec Alarmphone et c’est tangible puisque je fabrique des cartographies.
Les activistes d’Alarmphone se servent des plateformes de cartographie numérique et de leurs fonctionnements pour s’approprier temporairement les frontières territoriales de l’Europe. Pour prendre des décisions en commun, dans le direct de leurs agirs, les cartes deviennent une sorte d’outil d’organisation qui mêlent les flux de données, de corps et de bateaux. Elles aident à identifier les moyens à mettre en oeuvre et le moment propice d’une intervention subversive.
Ces cartographies quotidiennes créent un espace d’imagination géographique alternative, ce que je tente de faire, ce que je propose à ma manière…

Dans le rapprochement du collectif Alarmphone avec mon travail, et en parallèle aux propos de notre journée Art Soin Citoyenneté j’aurais envie de poser cette question :
Comment faire tenir ensemble ces deux injonctions, du soin par la lutte ?

 
Table et images de ressources
2022-2023
 
Tissu coton jaune, tarlatane, image tirage papier, couture machine, couture main, 41 x 31 cm
2023
 
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