Muriel TOULEMONDE 


(Loin du plongeoir)
Lise Guéhenneux
Texte de l'exposition Petites victoires et grandes défaites, Centre d'Art Fernand Léger, Port de Bouc, 2024

[...] M. Toulemonde procède en observant le proche, le quotidien de ces personnages photographiés lors de rendez-vous sportifs qui ne tiennent pas du grand cirque médiatique. De même qu'elle rend hommage aux portraits de femmes visibles dans le corpus photographique vernaculaires de Port de Bouc, elle met au premier plan les postures féminines des sportives reléguées dans les dernières pages du journal L'équipe en remettant en circulation leur photographies grâce au support de la carte postale. « Petites victoires et grandes défaites » restitue la joie de faire équipe pour faire société... texte complet





L'image liquide
Hervé Thoby

[...] Entre les oeuvres consacrées aux chevaux et celles dédiées aux sportifs, Muriel Toulemonde pense les relations de l'homme et de l'animal à la fois en termes de réciprocité et de communauté, et à la fois en termes de performances individuelles. Elle décrit des comportements animaux dans leur milieu, en étend la lecture à l'espèce humaine, par les éléments sociologiques et culturels qu'elle y apporte. Elle développe une pensée sur l'humain par le truchement de la figure animale... texte complet





Notes de travail

La vue du mouvement donne du bonheur : cheval, athlète, oiseau.
Robert Bresson, Notes sur le cinématographe


Dessins

Renouant depuis quelques années avec la pratique du dessin, Muriel Toulemonde poursuit, avec cet autre medium, une expérimentation corrélant mouvement, espace et temps, de manière plus protocolaire : le dessin est effectué à deux mains simultanément, dans un procédé autant mental que physique. La symétrie, sans être une contrainte, arrive de fait, et révèle notre attachement à une forme d'équilibre naturel.
Le dessin advient comme inscription, ou enregistrement, la main de l'artiste devenant alors une sorte d'outil de mesure : un sismographe retranscrivant l'énergie du corps, mais aussi la projection mentale d'un trajet sur l'espace du papier.
La qualité et quantité des tracés, leur densité, leur colorimétrie déterminent l'aspect final du dessin sans le fixer dans une représentation explicite. Maillages, réseaux, cartes, circuits, cerveaux, organes, masques etc. sont autant d'interprétations ouvertes au regard et au sens de chacun.

Septembre 2020


Vidéos

Lorsque j'ai commencé à filmer, je restais assez longuement sur un motif, jusqu'à ce que, dans une forme d'enchaînement, comme autant de rouages d'une même pièce, l'un m'entraîne vers le suivant. Ainsi, du motif du corps en soins dans les cures thermales, je glissais vers celui du cheval dans les cliniques équines, puis vers l'entraînement des athlètes et enfin, vers l'apprentissage du sauvetage aquatique. Pour moi, l'impact visuel de ces différents environnements où je retournais plusieurs fois faire des prises de vue ne tenait pas tant à ce qu'explicitait la scène filmée ou photographiée, mais plutôt à ce à quoi elle pouvait renvoyer, à ce qu'elle donnait à voir en tant qu'image. En vidéo, le travail de post-production était avant tout un travail de réduction, d'extraction et d'étirement. Il s'agissait de raviver la force de l'image perçue sans lui assigner une signification définitive. La durée, le ralenti, la répétition me permettaient de me détacher de l'appréhension contextuelle d'une situation bien réelle pour l'ouvrir sur un ailleurs et sur un temps en suspend. Beaucoup des travaux de ce cycle sont des arrêts sur image, quelle que soit la durée de la vidéo, images qui, au sens propre, ont arrêté mon regard.
Il me semble à postériori que la vidéo La théorie des vagues, fillmée au laboratoire de mécanique des fluides de l'Ecole Centrale de Nantes, opère une transition. Le laboratoire scientifique, mettant d'emblée en perspective la question de l'observation et de la représentation, m'invitait à reconsidérer mon regard souvent immersif et sidéré. Ainsi le film, tout en suivant le mouvement hypnotique des vagues, fait aussi résonner différents niveaux de perception et de description du phénomène ondulatoire.
A la suite de ce travail, Le chantier et les travaux récents se réalisent un peu différemment. L'écart entre le vu et la vision se réduit. Le motif est moins ciblé. Le temps présent s'égrène sans zones éclusières.

Décembre 2015


Théorie des vagues

Le corps, appréhendé paradoxalement comme limite inéluctable et comme moyen de dépassement de soi, a été une figure centrale dans mon travail.
Dans cette perspective, les espaces dédiés au soin et au sport ont été mes postes d'observation privilégiés. Je cherchais le point au delà duquel le mouvement du corps rejoint une forme de grâce ou d'apesanteur. Je filmais les trajectoires des athlètes comme des segments tracés dans le flux de leur existence. Laissant libre cours à une quête mélancolique, je voulais capter ce qui s'échappe, retenir quelque chose de la perte.
Le mouvement et le flux (temporel, aquatique, technologique) ont été le vecteur par lequel j'ai approché le laboratoire de mécanique des fluides de l'Ecole Centrale de Nantes. Le Laboratoire, espace de simulation qui permet d'isoler, de répéter, de recréer le mouvement à des fins d'observation n'était pas sans lien avec les situations que je cherchais à mettre en place pour filmer les athlètes à l'entraînement : définir un espace scénique, une boîte, un écrin, qui s'apparente d'avantage à un réceptacle qu'à un décor, pour mettre en valeur la trajectoire et la gestuelle du corps. Tout comme les vagues filmées dans le bassin à houle, les athlètes ou les chevaux devant ma caméra étaient des corps sans lieu, des corps abstraits. Et comme pour ces corps, la puissance de l'élément aquatique, la sensualité du mouvement de la houle, m'apparaissaient d'autant plus fortement qu'elles se déployaient dans un espace contraint.

Notes, février 2013


Sauvetage aquatique

J'ai vu les figures très particulières « dessinées » par les couples répétant les gestes élémentaires du sauvetage aquatique. Rejoué dans et hors de l'eau, le corps à corps du couple sauveteur-noyé, génère d'improbables postures.
Détachées d'une situation de sauvetage réelle, ces scènes n'en gardent pas moins la trace d'un drame. C'est sur ce fond de gravité qu'elles révèlent la relation de deux corps qui se portent, se supportent, se soutiennent ou se maintiennent, dont on ne saurait dire lequel est la bouée de l'autre.

Notes, 2008


Athlètes

Atalante, héroïne grecque célèbre pour sa leste foulée, avait juré de n'épouser que celui qui la vaincrait à la course.
J'ai vu de jeunes sprinteuses à l'entraînement, une ceinture passée autour des hanches, reliée à deux courroies élastiques que l'entraîneur retient pendant la course. La situation d'un corps contraint était encore frappante. J'ai tenté de la mettre en tension avec la chorégraphie des corps, leur féminité, leur sensualité. Le sport est aussi, ici, prétexte à montrer un état intérieur, une concentration, le récit intime et solitaire de l'effort.

Notes, 2004


Flux

L'eau, décrit par G. Bachelard comme « l'élément mélancolisant » est un motif sur lequel je reviens sans cesse. C'est une matière, une substance, qui possède les mêmes qualités d'écoulement que le flux vidéo, ou que le temps.

Notes, 2002


Cliniques équines

Mon intérêt était centré jusqu'alors sur le corps humain en cure. J'observe les chevaux de compétition en situation de soins et suis frappée par la tension qui se joue entre la puissance de l'animal et sa situation de contrainte dans la clinique équine, par la confrontation du corps biologique (homme ou cheval) et de la technologique (appareils de la sphère médicale). Mon obsession pour l'entretien et le soin du corps se prolonge en une réflexion sur le déplacement des limites naturelles de la vie et des performances physiques du corps ; du pouvoir de la science et de la médecine dans le dépassement de ces limites.

Notes, 1999


Cure Thermales

Dans un centre de cures thermales et de soins esthétique, j'ai filmé et photographié les diverses situations de soin ; ces travaux, qui tentent de suivre l'incertaine frontière où se rejoignent les maux physiques et les peines mentales, témoignent aussi de l'étrange contradiction dans laquelle est pris notre corps. Tout en étant le réceptacle d'un stress continu dans les sociétés urbaines, il doit jouer un rôle croissant dans la construction de l'identité sociale (importance de l'apparence, modèles de corps sains, beaux, musclés etc....)
C'est dans la mesure où elles cristallisent l'espoir de résoudre ce conflit et de (re)trouver une identité corporelle que je m'intéresse à la croyance en ces cures variées et au renouveau de leur pratique, des plus ancestrales (bains, massages) aux plus modernes (offertes par les sciences et technologies de pointe).
Comme dans une médecine qui serait devenue religion, salut des corps et promesse d'éternité sont désormais accordés par le thérapeute ; pour soulager les douleurs intimes d'un organisme épuisé, on s'en remet, confiants, aux mains des masseurs, docteurs ou guérisseurs, voire aux soins performants de machines ultra - perfectionnées. Notre angoisse du temps qui fuit et de la mort qui approche a trouvé un nouvel expédient : la foi en cet autre, homme ou machine, qui va enfin s'occuper de nous et prendre en charge notre douleur. C'est au creux de cette relation entre donneur et demandeur de soins que s'ancre mon travail.

Notes, 1997