Céline GERMÈS 

Le Jour d'Après

Dans les années 1990, les clients des laboratoires photographiques découvraient parfois, glissé dans l'épaisseur des tirages, un papillon de couleur : « Cette photographie mérite un agrandissement. »
Céline Germès a fait sien cet avertissement. A l'origine de ses peintures, une image repérée sur le Net dont la qualité formelle mérite selon elle, une traduction picturale. Image de rien, circulant comme des millions d'autres sur les réseaux sociaux, révélant des scènes de foules qui toutes versent dans l'agitation culturelle et politique du moment ou bien paysage hanté par l'anthropocène. Ces photographies traitent aussi du temps qui glisse entre deux événements, de ses acteurs, communauté anonyme regroupée autour de ces nouveaux foyers (et pas de maison sans foyer, pas de sentiment d'appartenance à un groupe sans la brillance du feu) que sont les flashs des portables et les stries des fumigènes. On y voit aussi des routes improbables bordées d'arbres chétifs. Si cette somme est à rapprocher de ce que Roland Barthes nomma le spectrum, si utile à l'étude d'une époque, c'est d'un spectrum dévitalisé dont il s'agit, libérant des combinatoires, des séquences à l'origine souvent inidentifiable. Pour renforcer cette impossibilité d'historicisation, Germès débute d'ailleurs son travail par l'élimination pure et simple des visages et des corps, le recadrage des paysages et ce, grâce à un programme de retouche photo. Demeure alors, des sous-bois fantômatiques, des rues témoins de combustions spontanées, d'embrasements ponctuels comme s'il fallait bien qu'histoire se passe et que cette histoire s'empressait de faire l'économie de ses acteurs. On est bien loin alors de la peinture d'histoire telle que Robert Storr l'a définie dans son texte consacré à Oktober 18, 1977, la série de quinze tableaux de Gerhard Richter s'emparant du suicide de trois membres de la RAF, à la prison de Stammheim. On bien loin du paysage sublime romantique.
Chez Germès, les corps ont disparu (seules, les mains tendues vers le ciel retiennent son attention, des mains happées par le spectacle d'un concert rock signalant un sentiment, une agitation que les visages contemporains ne savent peut-être plus restituer) et si l'espace alentour est traité selon la technique hyperréaliste, c'est pour mieux apparaître dans sa nudité.

Le mot « empathie » revient souvent dans la bouche de Céline Germès, expression médiatique, mot-clé de la doxa contemporaine. On est frappé d'empathie pour les plus faibles à défaut de pouvoir modifier leur situation, de pouvoir agir sur le réel. Céline Germès n'est pas dupe, chez elle, ce sentiment doux-amer, ce désenchantement sont équilibrés par une suite de décisions radicales à l'endroit de ce qui demeure son champ d'action principal : la peinture et seulement la peinture. Ainsi chaque tableau nécessite une longue durée de réalisation, elle ne cède pas au spectaculaire des grands formats et ne comptez pas sur ses compétences techniques pour ajouter des motifs décoratifs, de vrais faux accidents (taches, frottages, etc) censés égayer la surface. De plus, la palette est réduite, volontairement éteinte ou recouverte d'un filtre comme ces photos surexposées... Lutter au cas par cas, tableau après tableau, ne pas se raconter d'histoires, c'est bien la morale minimum de ce projet et à l'heure où nombre d'artistes trafique dans les ruines de l'histoire, saturant l'espace iconographique de signes incléments, c'est déjà beaucoup. Pluie, vapeur, explosions se sont substituées aux êtres. La scène est dressée.

Stéphane Le Mercier






Céline Germès produit une peinture lente et minutieuse. Une multitude de fins glacis sont déposés sur la surface de bois jusqu'à faire apparaître l'image d'une disparition. Celle des corps humains dans ses premiers tableaux d'émeutes, révélant un paysage urbain enfumé. Plus récemment, celle du paysage lui-même. Cette peinture est fondamentalement photographique. Elle met en jeu des mécanisme optiques qui rappellent que tout paysage – et toute image – découle d'une opération de cadrage, d'une construction du regard, par le regard. Au départ, il y a une prise de vue, ou un arrêt sur image dans une vidéo amateure trouvée sur internet, ensuite recadrée et retouchée, avant d'être traduite en peinture. Les figures humaines sont soustraites, des objets ou des détails sont évacués. Cette opération bouleverse la fabrique initiale de l'image. En faisant du second plan le sujet du tableau, elle bouscule le statu quo établissant l'initiale hiérarchie entre le sujet et son décor. Un geste d'une puissance révolutionnaire insoupçonnée : celle d'une déconstruction radicale de l'image et la production d'une forme d'horizontalité poétique autant que politique.

Karin Schlageter
















Vues d'atelier