Anna TOMASZEWSKI 




Je développe un travail sculptural qui se décline sous différents médiums, tels que l'installation, le son, la vidéo, la performance. 
J'évoque l'éco fiction dans ma démarche. Elle se caractérise par la présence de non humain, autre que humain et de connexions non évidentes, non reconnues d'interactions primordiales, à travers des récits, des narrations, des fictions. Dans un certain sens, je me rapproche de l'ontologie animiste, une façon de voir le monde où chaque élément, chaque être vivant, chaque objet est doté d'une force vitale. Je m'inspire de l'entropie naturelle, de son activité productrice et transformatrice, au même plan que les formes qu'elle engendre. En observant son énergie de manière à comprendre le mouvement interne des formes, et en les intégrant dans des récits « incarnés », « incorporés », je dévoile des éléments microscopiques devenus ce que je nomme des « golden trash » .
Il en résulte une collection de fragments extraits de différents endroits, contenant un attribut paysager spécifique que je dévoile sous forme de réalités amplifiées : ceux-ci deviennent des catalyseurs d'espaces et de fictions.
Les paysages contenus ne sont pas seulement une toile de fond mais une matière qui ne peut être démêlée des réseaux dans lesquels ils émergent. Les paysages sont toujours en mouvement, en latence, un devenir intra-actif d'agencements infinis, un espace virtuel de tamisage des corporéités, dans lequel le corps n'est plus spectateur ni extérieur à la matière, il est entremêlé à elle.
L'hybridation des corps, des êtres passent par une horizontalité des statuts et des identités qui permettent l'apparition de nouveaux environnements, d'écosystèmes alternatifs.
La réalité devient fossile, une stratification de gestes inconnus et invisibles dont les fragments en sont les premiers témoins et révélateurs. Les énergies et les forces naturelles sont mises en avant comme des moteurs de fictions mais où paradoxalement le mouvement à l'intérieur des formes est souvent figé. La fossilisation constitue une catharsis silencieuse de la matière, à l'image des vestiges fossilisés de nos gestes humains, et de toutes les recherches récentes sur les roches et leur lien avec l'origine de la vie.
La surface fossilisée devient un espace de réincarnation, dans lequel la survivance, l'intercorporalité et le soin entrent en jeu.

Anna Tomaszewski



Anna Tomaszewski - à un moment donné, cela prend vie
Par Camille Paulhan, Feuilletons d'atelier, thankyouforcoming, 2022
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Thomas Hirat : Ce qui m'intéresse dans ta démarche, c'est la notion d'échelle car on est souvent dans du tout petit en terme de matière utilisée et quantifiable, il y a un parallèle entre cette toute petite utilisation de matière vers une grande représentation, c'est la confrontation de ces deux échelles qui est intéressante. Pourquoi et comment travailles-tu ces échelles ?

Anna Tomaszewski : Ma démarche part d'un travail de glanage du réel, celui-ci prend sens pour moi lorsqu'il est fragmenté, je trouve qu'il y a une force dans l'idée d'une partie extraite d'un ensemble. Je me pose aussi la question de savoir comment à partir de fragments reconstituer un monde, un espace, une sorte d'écosystème où les formes se répondent entre elles et coexistent par rapport à un contexte particulier. D'ailleurs la notion même d'écosystème regroupe toutes les échelles, de la Terre à la flaque d'eau, aux organismes vivants.

T : C'est ta façon de décrypter le réel, c'est à dire le petit détail qui est additionné ou retransposé permet une lecture et un décryptage.

A : Oui, voilà. Je pense aussi qu'à travers le jeu d'échelles, je pointe des choses invisibles en premier lieu, dans un microcosme.

T : Est-ce que tu privilégies des formes ou des couleurs pour retranscrire des univers ?
J'ai l'impression que tu choisis des couleurs qui sont très vivantes mais d'un point de vue naturaliste ; la couleur du bois, des végétaux, des différentes pierres, argileuses ou granitiques...

A : Exactement. S'il y a des couleurs vives que je récolte, un des paramètres important c'est celui du vivant au sens large. Il faut qu'il y ait une trace de transformation, de vie. Je peux m'intéresser autant à un fragment de plastique calciné qu'à un morceau de bois sculpté par la mer.

T : Qu'est ce qui t'a fait saisir ce morceau de plastique ?

A : J'ai déjà récolté du plastique brulé qui développait des nervures très particulières à sa surface, la forme devenait naturaliste car ses transfor- mations n'étaient pas voulues par l'homme. Je pense que ce que je recherche c'est cette part d'accident qui prend sens et qui peut acquérir une forme d'indépendance, une représentation qui se fait d'elle-même, presque magique, et qui permet le basculement dans une nature toujours renouvelée. Un geste que je sens juste est un geste qui échappe en partie à la volonté de l'homme, c'est celui-là que j'essaye paradoxalement de faire revivre dans mon travail, c'est à dire à inculquer à la forme un geste parallèle et non contraire à celui de la nature, et qui s'inspirerait de son énergie.

T : Est-ce que tu juges tes fragments comme des opportunités ou des tremplins ?

A : Oui, ce sont des potentialités qui sont là et qui tout d'un coup se réaniment et prennent sens dans un contexte particulier. Ce sont des objets dont l'existence est latente et qui peuvent reprendre vie lorsque je rencontre un espace dans lequel je vais développer une cosmologie particulière qui leur correspond.

Entretien avec Thomas Hirat dans le cadre du post-diplôme Kaolin, 2018-2019



J'ai découvert le travail d'Anna Tomaszewski au 61e Salon de Montrouge auquel je participais en qualité de membre du jury. L'oeuvre de cette artiste était pour moi une des vraies découvertes de cette édition. Elle présentait des oeuvres sculpturales dans un espace où seul le regard pouvait accéder. Il est souvent question de dispositifs au regard dans ses installations. La tension immédiatement perceptible de son travail tient moins dans l'installation des formes que dans les vides qui les sépare. Les formes génèrent de l'espace, multipliant les potentiels d'interprétation des matières, des échelles, des narrations. Anna Tomaszewski fait un travail de recherche qui, bien que motivé par la pratique et le contact avec la matière, n'en cherche pas moins des vibrations invisibles, des tensions toujours à la limite du basculement, vers la fiction, vers d'autres échelles, vers la possibilité d'une illusion. Le mouvement des corps, la danse, entrent également dans ses intuitions d'espaces. Depuis quelques temps, le travail d'Anna Tomaszewski a pris une ampleur nouvelle, intégrant dans sa pratique de sculpteur des dispositifs vidéo, ou même la performance. Son enquête permanente sur les secrets de la matière, l'ont naturellement conduit à l'étude des fossiles, traces de vie potentielles passées, qu'elle entend découvrir pour en donner une interprétation amplifiée dans des installations où le spectateur devient le centre ignorant, pris par la vision au vertige du basculement des échelles.

François Quintin, 2017



« (...) Le travail sculptural d'Anna Tomaszewski montre depuis ses débuts une grande attention pour la texture des surfaces, des objets et des matériaux qu'elle manipule, déplace et agence. Ce paradoxe est toutefois relatif puisque tant le travail photographique que la pratique de l'exposition induisent dans le même temps des processus de distanciation et de « dénonciation » du caractère artificiel des oeuvres, au-delà de leur aspect naturel. Cette conscience de l'artifice et celle de la représentation, et elle induit pour ainsi dire un processus d'extranéation - qui déplace et rend étranger à lui-même l'objet, dans sa texture particulière, sa dimension, son échelle, son espace et l'espace qu'il génère. Ce processus d'extranéation n'est pas seulement un processus de dédoublement (qui peut être feint comme dans le cas de la fausse ombre portée au sol) et de déplacement, mais d'ouverture de l'oeuvre à un devenir, à des possibles qui semblent dénoter, dans sa démarche, un désir de combattre les effets de réification - de chosification de l'objet et de clôture de sa signification - en accueillant et en augmentant les potentialités métaphoriques des objets et de leurs modes d'exposition. »

Tristan Trémeau

Extrait du catalogue de l'exposition Ma, Nice, 2015







Plus que de la sculpture, Anna Tomaszewski produit des espaces. Ou plus exactement, l'usage de la sculpture est chez elle prétexte à imaginer et déployer des environnements portés par l'idée même de paysage. C'est en même temps une sorte d'illusion métaphorique qui gouverne sa démarche, en ce que les objets mis en scène dans ses installations sont tous des copies d'objets collectés en extérieur, qui toutefois ne sont pas reproduits à l'identique mais en leur faisant subir de subtiles variations. Mis en espace avec une volonté de les agencer comme dans un environnement qui développerait la complexité et l'intégrité d'un écosystème autonome. Se joue ici, par-delà la problématique du mimétisme désormais mise en action à plusieurs degrés, une question du rapport entre l'image et le réel, d'autant plus qu'à travers les modifications effectuées par l'artiste les objets ont été quelque part travestis, se sont métamorphosés. Avec pour conséquence ultime que multiplier de la sorte les phases d'observation et les niveaux de lecture a pour effet de perturber le regard dans ce qui apparaît être au final un paradoxal vrai/faux trompe-l'oeil.

Frédéric Bonnet
Trois pas de côtés, Villa Arson, Nice, 2014



« Ma relation à la représentation est quasi inexistante, cependant le modèle naturel constitue pour moi une source d'inspiration », dit Anna Tomaszewski. Son travail de sculpture se revendique en effet comme « la création personnelle de formes qui pourraient exister dans la nature ». Passé le paradoxe apparent, cette démarche singulière révèle toute sa force poétique, et plastique, car Anna Tomaszewski, à force d'une observation quasi métempsychique du monde, parvient à capturer un peu de son énergie productrice et transformatrice pour engendrer des formes d'une beauté, et même d'une vérité confondantes.

Stéphane Corréard
Le sens de la vague, Galerie de la Marine, 2013



Anna Tomaszewski propose un travail in situ d'une grande finesse qui met à profit l'espace brut du Centquatre et constitue une des oeuvres les plus abouties de Jeune Création 2013, précisément parce que, à sa manière, son Ensemble d'accords s'engage vers l'impossibilité d'aboutir. En déposant avec une belle pudeur les éléments de son installation irréelle, qui mêle matériaux trouvés, créations plastiques camouflées en minéraux bruts et structures forgées, Anna Tomaszewski brouille les pistes de la création plastique et la condition même de ses éléments s'en trouve bouleversée. Tournée vers la question du simulacre, l'artiste travestit ses inventions en autant de formes ambiguës, aux allures d'objets naturels pour finalement dépasser la ligne de tension entre nature et artifice, entre vie et création. En faisant ainsi parler les silences du monde, de l'espace, Anna Tomaszewski joue des vides et des pleins pour donner naissance à un dispositif émouvant et intriguant qui se fond dans la lumière et se déploie à travers ses ombres.

G. B : L'opposition entre fer et matières minérales semble accentuer la stupeur de faire face à des sculptures qui ne ressemblent à rien d'autre qu'à un processus naturel. Comment choisissez- vous les matériaux de votre sculptures ?

A.T : Je travaille souvent avec des objets que je trouve, j'en fabrique moi-même, avec en tête cette idée du simulacre, du vrai et du faux. Je récupère donc souvent des choses qui sont fragmentées afin d'en constituer un langage formel, une sémantique. Créer en quelque sorte à la fois de petites entités et une vision globale de l'espace. J'intègre également dans mes installations de nombreux éléments, comme par exemple de la terre durcissante, qui semble être à mi-chemin entre le cru et le cuit ; je voulais qu'il y ait une fragilité due à la terre. Pour cette exposition particulière, ce n'est pas une pièce qui a à voir avec l'histoire du lieu ou son atmosphère, mais pourtant des choses apparaissent dans l'accrochage qui dépassent le projet que j'avais.

G. B : Les ombres par exemple ?

Oui les ombres intensifient cette idée du double, de la confusion du faux et du vrai. Je rajoute par exemple les tiges en métal qui viennent figurer, en marge des ombres réelles, celles que je crée moi-même. Viennent s'y mêler de nombreux reflets, également produits du hasard.

G. B : De fait, il semble que de nombreuses références émergent à la vue de votre ensemble, notamment une forme de prégnance de la minéralité.

Cette minéralité est liée à l'accrochage, à ce que j'ai ressenti dans l'espace du 104, où ce mur de pierre qui jouxte l'espace est très présent, avec une couleur très forte. De même, certains éléments peuvent faire penser à du corail. Malgré tout, je ne travaille jamais à représenter quelque chose en particulier, la ressemblance, même l'imitation, doivent venir après. Je ne pars pas d'une forme, d'une disposition première, il s'agit plutôt de quelque chose que j'ai pu observer dans d'autres formes.

G. B : Il y a quelque chose de très musical, peut-être précisément dans cette redistribution spatiale du silence, dans ce rythme secret.

Oui, cela renvoie aux échos, aussi bien dans le domaine musical que linguistique, c'est aussi une interprétation qui en découle. C'est effectivement rythmé et ce silence renvoie également vers quelque chose de l'ordre du vestige, de la ruine qui est recomposée. Il s'agit pour moi d'utiliser les éléments comme la structure d'une langue, des virgules ; des fragments, des mots avec lesquels j'essaie de faire des phrases.

G. B : Donc quand vous parlez de langage, il s'agit de quelque chose qui va se retrouver dans d'autres installations pour continuer à vivre ?

Absolument, il y a quelque chose de mobile dans ces éléments. C'est un ensemble mais on peut retrouver les même pièces qui reviennent dans un autre espace, différemment, comme des réalités inabouties, qui ont toujours un espèce de manque et que j'ai besoin de faire dialoguer autre part. À la manière d'un corpus « Ensemble d'accords » est une série globale. Ce n'est pas une installation, ce ne sont pas des pièces, c'est quelque chose qui évolue selon les espaces et qui, pendant l'instant présent de l'exposition, existe.

Entretien avec Guillaume Benoit pour Slash Magazine n°3 dans le cadre de Jeune Création 2013