Francine ZUBEIL 

Almere en vitrines 1999
16 photos format 220 x 96 cm, impression numérique sur transparent,
collées sur les vitres de De Paviljoens (pavillon hollandais de la Documenta 92), Almere, Pays-Bas
Vue d’ensemble de l’installation
Almere in windows
16 photos format 220 x 96 cm, digital print on transparent film glued onto the windowpanes of the De Paviljoens Dutch Pavilion at Documenta 92), Almere, Pays-Bas
Overall view of the installation

Almere en vitrines 1999
Les éditions de l’observatoire, Marseille
500 exemplaires
Publication réalisée à l’occasion de l’exposition
Almere achter glas
ACHK-De Paviljoens, Almere, Pays-Bas
Almere en vitrines
Les éditions de l’observatoire, Marseilles
Edition of 500
Publication realized for the exhibition
Almere achter glas
ACHK-De Paviljoens, Almere, Pays-Bas

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"En vitrine : les plasticiens et la mise en scène du privé et du public dans la ville"

L’exposition «En vitrines» d’Almere (1999), qui a eu lieu dans l’ancien complexe de la Documenta 92 «De Paviljoens, s’inscrit dans une démarche de la ville d’Almere, ville nouvelle et quasi-banlieue d’Amsterdam, qui, pour se construire une mémoire, invite régulièrement des artistes à donner la vision qu’ils en ont. Pour ce faire, F. Zubeil, invitée, va entreprendre un travail avec les habitants (agent de police, conseillers municipaux, élèves du collège, membres d’associations...) à qui elle demande de la guider dans leurs lieux préférés qu’elle photographie, ainsi que les habitants dont elle recueille systématiquement leurs paroles. Les photos vont être travaillées sur verre pour l’installation dans un des pavillons vitrés qu’elle nommera : «Installation en vitrines».

Cette installation consiste principalement en seize grandes photos en couleurs, imprimées en négatif sur des transparents, appliquées sur les vitres ; elles se laissent ainsi regarder de l’intérieur et l’extérieur ; «l’image rappelle la manière dont le néerlandais moyen applique un morceau de plastique mat et incolore sur les vitres de sa maison pour éviter que les passants ne voient à l’intérieur ; mais l’artiste veut aussi grâce à cette «vitrine» créer un lien entre l’intérieur du pavillon et son environnement social ; le pavillon s’ouvre ainsi à la ville, et à l’inverse, l’installation invite les habitants d’Almere à s’approprier le lieu». Pour reprendre les mots de l’artiste elle-même : «La vitre, lieu du passage du regard devient un lien social entre l’intérieur du musée et son environnement. Le spectateur, qu’il se trouve à l’extérieur ou à l’intérieur est impliqué, soit par un regard fugitif, une position du corps par rapport à l’espace architectural, soit par la réminiscence d’un souvenir, d’un fait ou d’une émotion». Cette collection de documents forme le point de départ de la mémoire d’une ville nouvelle. Ce sont les habitants d’Almere qui laissent dans leur paysage une trace indélébile et en font une page d’histoire, une histoire de gens et de lieux».
On le voit, l’intérêt pour nous de cette installation est également dans le travail que F. Zubeil fait sur ses matériaux de base : dans nombre de ses œuvres, la plasticienne perturbe les rapports intérieur-extérieur, privé-public, par le traitement qu’elle fait de la photo. La photo est en effet le plus souvent tirée en négatif sur des transparents, ; ce qui a pour effet de changer les couleurs et les formes, de les désubstantialiser. La photo est également brouillée, recadrée, elle subit un découpage qui retient de préférence une partie du corps, des mains, des jambes, une silhouette... «un détail d’une photo, un geste capté presque intime, donné à voir est agrandi au format d’une fenêtre» (alors que les photos ont été prises en situation de récit dans la ville, dans leurs lieux favoris), Il y a là comme un jeu sur l’ambivalence du montré-caché : l’identité singulière de l’individu, voire son intimité, qu’on offre au public pour une éventuelle identification, est quasiment effacée ; la réalité, traquée pendant le travail d’enquête, est métamorphosée; on n’est plus dans le documentaire, mais dans le témoignage d’un local transfiguré. Le support transparent, que l’artiste utilise dans de plus en plus d’œuvres (portes, vitres, vitrines, fenêtres...), aide à cette déréalisation; cette capacité de voir les lieux dans leur potentialités ludiques, subversives, de revoir les formes, les mobiliers au-delà de leur fonctionnalité, de voir la ville autrement subvertit le privé.

Cela suppose que nous revenions à la notion de privé que pourrait entendre l’usage de la photographie d’individus comme le fait cette plasticienne : est-ce la singularité de l’individu (la vie chez soi, son rapport aux autres et à la ville), ou est-ce la part intime de chacun, mais partagé par tous, un corps, un éphémère (transparence de la peau, des veines), qui serait également le commun, le destin commun, au-delà du destin local ; le négatif déréalise et atteint peut-être un caractère universel, comme celui du geste délesté que décrit F. Zubeil : «le négatif de l’image suspend les mains dans un envol, un geste à faire, un geste à prendre...».

Michèle Jolé, sociologue, in Revue Villes en parallèle, juin-juillet 2002 (Les villes et le rapport public/privé)