JE DANSE LE MIA
OÙ LE PRÊT-À-PORTER SE RÉVÈLE SUR-MESURE
Le Cliché
Si le monument de Marseille c’est son peuple, la ville s’apparaît à elle-même et s’expose aux yeux de tous en cultivant les images et les histoires. Marseille produit par là même des clichés qui sont ses représentants officiels, des costumes taillés sur mesure que n’importe qui peut endosser : on est fier d’être marseillais à Lille (1),on se fend le cœur à Lyon (2), on se prend pour un Mia à Strasbourg (3) !
Le cliché, parce qu’il est fabrication collective, signé et revendiqué par différentes personnes, est, à la différence des monuments architecturaux par exemple, l’espace et la conscience d’un anonymat à l’œuvre. Donc un lieu de résistance.
L’Anonymat
« Et ce qui est bien, c’est qu’à Marseille, notre morceau a fédéré les Mias. Avant, les Mias étaient séparés par la politique, la race, l’âge, toutes ces choses. On leur a fait un hymne. » Chill/I.A.M, Rock and Folk, mai 94.
Fédérateur, I.A.M l’est déjà à travers son nom : C’est à la fois un sigle, traversé par toutes les interprétations possibles à partir des trois lettres qui le composent et aussi le Je suis, signature universelle dans laquelle le nom propre se déclare impropriété (4). I.A.M est un anonymat.
« Ainsi, je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis ; en me choisissant, je choisis l’homme. » J.P. Sartre, L’existentialisme est un humanisme, éd. Nagel, 1970.
La Variété
Avec Je danse le Mia, I.A.M déjoue les barrières et les divisions en intégrant des formes musicales que les médias tendent habituellement à opposer. Ni tout à fait Rap, Funk ou même sketch humoristique, la chanson fonctionne sur le mode de la parodie, à cheval sur différents genres. Elle crée ainsi un espace, au-delà des oppositions Rap contre…, qui, parce qu’il n’est pas réservé, permet d’élargir le public potentiel de ces genres. I.A.M propose ici une interprétation via le Rap, de ce que pourrait être une certaine variété, entendue comme forme qui consomme toutes les autres. Cette fonction, que le Rock n’a plus depuis longtemps, le Rap d’I.A.M, à travers des chansons comme Je danse le Mia, l’exerce de manière exemplaire.
La Résistance
Par leur musique et leurs propos, I.A.M (comme l’OM par le football) représente Marseille de manière symbolique et vivante. En assumant certains des clichés qui sont la marque de fabrique de la ville, I.A.M. devient ambassadeur de celle-ci. Et c’est sur la légitimité de ce rôle que peut, dès lors, être envisagée la perspective d’une participation d’I.A.M sur la liste de
B. Tapie, évoquée par Claude Sicre : « (…) si Chill (IAM), Jali (5) se présentent, ils seront en contre-pouvoir à l’intérieur de sa liste ! Maintenant, il faut que Tapie veuille être contre-pouvoir et épouse Marseille, dont la vocation historique est d’être un contre-pouvoir à Paris ! »
C. Sicre/Fabulous Troubadors, Taktik, avril 94.
Notes :
(1) Formule paradoxale, puisque fier et marseillais sont frères ennemis; cette singularité du slogan des supporters de l’OM est plus une revendication symbolique que territoriale. Il existe ainsi des clubs de supporters de l’OM dans d’autres villes de France et on a pu voir dans le stade des spectateurs venus de Lille ou de Dunkerque clamer qu’ils étaient marseillais!
(2) Phrase de la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol : Marius, Fanny, César.
(3) « On est content, premièrement parce qu’on savait pas qu’il restait autant de Mias en France et on savait pas qu’ils étaient aussi actifs, il a suffit d’un morceau pour les réveiller… » Eric/I.A.M, ARTV, France 3, 1994.
(4) Akhenaton : « la première signification, c’est (en anglais), le concept de l’existence: on montre à travers le Rap qu’on existe; la seconde c’est Impérial Asiatic Men [influencé par la lecture du livre Civilisations Nègres et Cultures d’un écrivain sénégalais, NDLR], c’est d’ordre culturel et religieux : toutes les religions monothéistes ont un foyer de naissance en Asie que ce soit du Moyen-Orient à l’Orient; la troisième c’est Invasion Arrivant de Mars : l’invasion a démarré avec l’enregistrement de la K7. Ce soir, tu te trouves à l’An 01 de l’ère Martienne. À partir de janvier 91, ce sera l’An 02. L’heure de la première attaque aura sonné et ce sera très cruel (rires). Une ultime version existe : Indépendantistes Autonomes Marseillais, c’est un petit délire à nous. C’est pour nous démarquer un peu de la France et de l’esprit français. Parce qu’au 13e siècle, le Sud de la France n’appartenait pas à la France. On lit beaucoup sur l’histoire de notre région. » Chill/I.A.M, COMBO! #7, hiver 90/91.
(5) Jali, du groupe Massilia Sound System. |