Gilles POURTIER 

Le baiser d’Anne Bonny à Mary Read 2014
Diagonale 61, Marseille, production Technè


Dans son travail photographique, Gilles Pourtier c’est toujours intéressé aux protocoles formels, cherchant à mettre au centre de l’image ce qui serait périphérique, de façon frontale. Si sa filiation se trouve nettement du côté de la photographie objective allemande, sous un mode proche de l’inventaire sériel de Bernd et Hilla Becher, son goût pour la disparité des sujets et le jeu entre cadre formel et vitalité intempestive de ses sujets le rapproche parfois de Wolfgang Tillmans. Depuis, quelque chose a changé dans sa démarche et cette exposition marque un tournant décisif. Déjà dans le contexte de sa collaboration antérieure avec l’artiste Guillaume Gattier, il avait engagé un nouveau rapport à la fabrication, à la couleur et au langage, avec l’installation d’un étendard aux connotations politiques où les mots avaient une inscription matérielle au sein de la pièce, pour évoquer l’émigration comme une constante historique entre choix et non choix. Le matériel utilisé et l’usage politique de la couleur, inédits dans son travail, fonctionnent comme un préambule à son projet chez Diagonales 61.

Pour cette exposition, la photographie n’existe qu’en tant que déclencheur d’associations d’idées. Gilles Pourtier a commencé par choisir une image du film technicolor «La Flibustière des Antilles» de Jacques Tourneur (1951), inspiré d’un épisode historique où il est question de deux femmes pirates qui se travestissent en hommes pour infiltrer des réseaux qui leur sont interdits. L’ambiguïté de leur relation en fait d’elles les Thelma et Louise des mers au XVIII siècle. Le travestissement et le piratage sont des modalités de brouillage des genres, de renversement des logiques de pouvoir et d’infiltration des systèmes établis. Gilles Pourtier en fait sa stratégie pour s’attaquer à la grille de la vitrine de Diagonales 61, conçue à l’origine en référence à un tableau de Sol Lewitt, gourou de l’art minimal. Plutôt que d’évoquer l’histoire de l’art de façon révérencieuse, il pirate la rigueur dogmatique du modernisme avec un matériel vernaculaire (le rideaux de porte anti-mouches) et travestit sa pureté géométrique avec l’utilisation perverse de la couleur violette. Face aux prises de position héroïques de l’art minimal, et aux non-dit misogynes des avant-gardes, Gilles Pourtier répond avec une stratégie insidieuse de brouillage des genres. Cette oeuvre serait dans ce sens plus proche des stratégies camouflées des artistes Bridget Riley ou Sarah Morris. D’un coup, le statut même du lieu devient ambigu: galerie ou tabernacle sud-américain? S’agit-il d’un tableau abstrait mobile ou d’un logo d’entreprise? Le rapport de Gilles Pourtier à l’art minimal est lui-même ambigu. Il n’hésite pas à employer ses procédés en déléguant la fabrication industrielle de sa pièce. Néanmoins, quand l’esthétique de l’art minimal est devenue synonyme de bon goût et la langue universelle des multinationales, Gilles Pourtier explore un ancrage populaire et vernaculaire, où l’abstraction est appropriée dans des usages quotidiens et des symboliques plus obscures, inscrites dans un contexte. Ou comment tropicaliser le minimalisme.

Pedro Morais

 
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