Pascale MIJARES 

« Nul n’a le droit qu’à ce qu’il lui suffit »

Le titre se réfère à l’axiome de Cicéron « à chacun ce qui lui appartient »: ce qui appartient à chacun n’est pas ce que chacun peut posséder, mais ce que chacun a droit de posséder. Proudhon reprendra l’axiome en 1840 dans ses recherches sur le principe du droit et du gouvernement « de l’occupation, comme fondement de la propriété ».
Ici, un banc public devient propriété privée d’un sans domicile. Il est constitué de matériaux de construction : bois de coffrage, brique, barres métalliques, y est enchainé un nécessaire de couchage (sac, couvertures, matelas) soit un kit de protection climatique.
Dans l’antiquité, les premières règles établies étaient réunies selon 4 priorités : manger, dormir, se protéger et communiquer. Par la suite on a dissocié le toit de la nourriture qui était pourtant le centre de l’habitat. La charte d’Athènes du Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (CIAM) réunie en 1943 les théories constituant l’idéal d’une génération qui croyait à l’expansion économique : habiter, travailler, circuler et se cultiver. La crise économique et la nouvelle pauvreté, qu’il s’agisse du monde industrialisé et du monde pauvre, devrait pourtant nous rapprocher de la première mouture. Les choses indispensables à notre existence sont l’air, la protection climatique, l’eau, la nourriture. L’air est partout en quantité suffisante, les 3 autres besoins vitaux sont inclus dans le problème du toit et de la nourriture : la protection climatique commence avec le toit, qui est souvent aussi un capteur d’eau. Or, à notre époque ce sont précisément le toit et la nourriture qui font défaut. Une grande partie de la population n’a pas de toit et dépend de la production des autres (de la surproduction : déchets) pour la nourriture.
Les SDF, souvent considérés comme étant en « dehors » de la société sont pourtant les témoins de la déviance de celle-ci. Ils en sont la jauge, en marquent le fond. Chassés de notre paysage, ils se sont rassemblés et ont créé une microsociété gérée par les mêmes règles, des rangs, des dominants et des dominés. D’autres luttent en se rattachant à la dernière chose qu’ils pensent posséder : un banc.
L’architecte et l’artiste posent un regard sur le monde afin de reconnaître ce monde dans lequel ils vivent pour ce qu’il est plutôt que pour créer un monde imaginaire des plus compliqués et contradictoire par rapport aux expériences quotidiennes. C’est pourquoi il me semble important de repenser le rôle de l’architecture dans la survie de l’espèce, reposer les questions dont les réponses ne peuvent être identiques à celles des années 70 puisqu’elles évoluent avec la société; interrogations sur l’espace urbain, l’espace public, la précarité, le temporel, le mobile. Réinterpréter certains concepts, celui du droit à la propriété et ceux nommés par Yona Friedman « architecture de survie » ou « utopies réalisables », de réfléchir à l’équilibre que nous voulons imposer ou à notre volonté de vouloir changer le monde tel que nous aimerions le vivre sans se préoccuper des désirs et besoins des plus faibles.

*Le mobilier urbain anti-SDF a pour vocation de rendre inconfortable l'occupation prolongée d'un espace. Par exemple, la forte inclinaison d'un banc public ou l'individualisation des assises au détriment des bancs rend impossible le fait de s'y allonger et d'y dormir.



Nul n'a le droit qu'à ce qui suffit 2009
Empiètements de banc public, planches de coffrage, tiges et barres métalliques, brique, sac de couchage, matelas, couvertures, chaines, cadenas, 70 x 200 x 50 cm
Avec le soutien de l’atelier DEEV (Direction de l’Ecologie et des Espaces Verts), Marseille, 14ème

Vues de l’exposition Archistes, Galerie des Grands bains douches de la Plaine, Marseille

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