Pierre MALPHETTES 

L’intuition d’un paysage

Un matin comme celui-ci, vous prendrez le chemin vers la clairière…
Arrivé au cœur de la vieille ville, vous entrerez dans un cube blanc pour y retrouver des fragments du monde. Et l’intuition d’un paysage s’offrira à vous.

Dans ce mouvement inéluctable où toute civilisation voit la ville gagnée par l’ensauvagement, Pierre Malphettes vous invite à une promenade dans un terrain vague. Une zone urbaine entre-deux, où la nature semble reprendre un peu de ses droits. Un territoire riche de possibles. Un espace interlope. Un secteur d’aventure, entre des murs. Un lieu vague, qui fait apparaître une idée de nature mêlée à l’artifice, en pleine cité.
Ici encore, l’artiste travaille les paradoxes du mimétisme : informées par des fragments naturels, les sculptures de Pierre Malphettes affirment leur artificialité. Ses intuitions paysagères se cristallisent en des métonymies. Comme dans son installation Un arbre, un rocher, une source (2006), un élément vaut pour le tout, l’occurrence d’une chose évoque la vastitude de la famille à laquelle elle appartient. Dans ce terrain vague, il y a donc un arbre, une pierre, une pomme, un paysage en miniature… Et puis, en opposition à ce qu’elles évoquent, pour donner forme à ces sculptures, des matériaux industriels : acier, verre, inox, béton…
Le principe plastique qui se reformule dans chaque sculpture de Pierre Malphettes est fondé sur un jeu de tautologies matériologiques paradoxales. La labilité insaisissable d’une fumée blanche est figée par des néons. Une pierre trouvée est moulée et sa forme reproduite avec précision en fonte d’aluminium. L’image d’un arbre est reconstituée à l’aide de sections de bois usinées, composites. Ou, autrement dit : un bois transformé est mis en œuvre dans la construction d’une représentation en trois dimensions de l’arbre dont, métaphoriquement, il est issu. Un lierre de néon grimpant vient s’accrocher à ses tronc et branches, renforçant par ce dialogue la poétique d’une vitalité factice.

Il faudrait évoquer ici ce que le Japon fît à l’art de Pierre Malphettes. Un souvenir des jardins Zen nourrit ses Deux flaques (Crozon) et ses Trois pierres. Les agencements de pierres élues, reconstituant une cosmogonie immuable, sont repris en tant que dispositifs. Par un anachronisme volontaire, l’artiste reconnaît dans l’art des jardins japonais le langage de l’art de l’installation et l’y réintègre. Ses évocations paysagères se nourrissent de la sobriété de l’esthétique japonaise et de sa volonté de symboliser la nature. Chacun des éléments de ce Terrain vague affirme sa singularité tout en étant relié par le lieu commun d’une nature fabriquée. Comme le haïku instantané produit par une ligne de néon orange décrivant la chute d’une pomme ; l’on retrouve ici l’importance de la trajectivité dans la pratique de l’espace japonais.

Poursuivant l’exploration des paradoxes féconds de son art, le sculpteur pratique des jeux de tension : la reproduction en fonte d’aluminium d’un gros rocher aux soudures apparentes est maintenue à hauteur d’humain par des sangles accrochées aux quatre murs de la salle. Comme en lévitation, cette Météorite nie pourtant la magie qui la maintient en suspension. Une Poutrelle d’acier est enchâssée dans un volume de verre, par un subtil calcul de forces entre sa pesanteur et la fragilité apparente du verre, et en inversion des équilibres qui voient ces matériaux dialoguer habituellement dans l’architecture. Une poutre est ciselée au découpeur plasma jusqu’à la rendre fragile et inutile, détournée de sa fonction première. Comme rongée minutieusement, elle acquiert une délicatesse organique.
Où nulle feuille ne tombe : à l’aide d’une structure maquettaire constituée de trois panneaux de plexiglas et d’une lampe électrique qui projette sur le mur leurs horizons et gradations de verts entremêlés, un paysage de montagne apparaît. La lampe clignote et récite en morse un poème de Jacques Roubaud, d’après un poème japonais classique :

Où nulle feuille ne tombe
dans la montagne des pins verts
le daim habite
qui ne saura l’automne
qu’à son propre cri

C’est un emprunt de paysage, à la manière du Shakkei : un paysage lointain est intégré dans le paysage construit par le jardinier. Pour constituer, selon les mots de Augustin Berque, « une échancrure vers le rêve ».

Pascal Beausse
Communiqué de presse de l'exposition Terrain vague, Galerie Kamel Mennour, Paris

Sans titre (la poutrelle) 2010
Verre, poutrelle en acier, caoutchouc, 155 x 310 x 80 cm

La Fumée blanche 2010
Néon blanc, 300 x 85 x 58 cm

Trois pierre (#2) 2010
Fonte d’aluminium, 65 x 65 x 20 cm

L’Arbre et le lierre 2010
Bois, néon, transformateur et câble électrique, 280 x 310 x 300 cm

Sans titre (la poutre) 2009
HEA en acier, socle en béton, 68 x 80 x 615 cm

La Météorite 2010
Fonte d’aluminium, sangles, dimensions variables, fonte : 100 x 165 x 120 cm

Une Pomme 2010
Néon, 230 x 25 cm

Où nulle feuille de tombe (#3) 2010
Plexiglass, spot, système électronique, dimensions variables
Vues de l'exposition Terrain vague, Galerie Kamel Mennour, Paris, 2010
Photographies Charles Duprat

 

© Galerie Kamel Mennour, Paris, 2010

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