Pierre MALPHETTES 

Le travail de Pierre Malphettes est à l’image d’une de ses œuvres, il agit sur nous comme un attracteur étrange. En travaillant principalement des matières intangibles telles que l’air, la lumière, l’eau, ou bien encore des matériaux bruts, de construction (la bâche, le caillebotis), Pierre Malphettes matérialise des espaces mentaux qui évoquent le voyage, le parcours. La poésie naît d’un déplacement contrarié, impossible, voire inconcevable : une échelle en croix et trop petite, donc impossible à gravir (“Les échelles et leurs potentiels”, 1997), un sol qui se dérobe sous nos pieds (“Haut, Bas, une expansion”, 1997), un plan de Paris où ne subsistent que les sens interdits (“Paris sens unique”, 2000). Tout cela forme l’étonnante grammaire d’un artiste, qui, par une apparente économie de moyens, nous invite à “traverser l’impossible”.
Toutes ces œuvres tendent à rendre inutiles - ou du moins parcellaires - les notions d’intérieur et d’extérieur, de haut et de bas, de solide et d’évanescent. Si le centre est un séisme permanent, si les notions de repères précis, de stabilité et de matière solide disparaissent au profit des notions de réversibilité, de décalage et de fugacité (“l’impermanence”, selon un terme de l’artiste), il en résulte une indétermination générale et une perte de repères qui est vécue ici dans l’expérimentation et la jubilation.
À l’origine des œuvres de Pierre Malphettes il y a en effet toujours un “chiche“, un rêve de môme : et si mon tapis volait ? et si le sol décollait ? et si des sacs plastiques tourbillonnaient jusqu’à plus soif, comme des poissons rouges dans leur bocal ? Pierre Malphettes nous entraîne dans ses rêves impossibles et la lutte pour y arriver (mais arriver où ? nulle part, l’artiste n’y tient pas...). S’approprier le monde par ce biais, c’est faire entrer le monde dans la pièce, c’est proposer une architecture intime qui met à mal tous nos repères. Les pièces et la scénographie proposées pour l’exposition à la Friche la Belle de Mai assument complètement l’omniprésence de cette notion, qui existait déjà en filigrane dans le travail de Pierre Malphettes,
“Le festin”, une des pièces proposées à la Friche, en est un exemple éloquent. Ses rêves de voyage imaginaire, jusqu’à présent Pierre Malphettes les conduisait seul. Pour la première fois, l’artiste a pensé, désiré et réalisé un voyage collectif. Alors bien sûr, le collectif ce n’est pas n’importe qui : ses amis devenus pour l’occasion à la fois acteurs, vidéastes et photographes. Le voyage ? : trouver un vaisselier, le remplir de la plus jolie vaisselle, y mettre de l’attention, garder le sens du détail, en sachant que tout ce qui sera fait, tout le soin et le temps passé à préparer ce “festin”, tout cela sera détruit dans un geste final, collectif et jubilatoire. Au détour du chemin, le spectateur pourra se promener dans “Le jardin”, mais dans une version urbaine et domestique, comme les affectionnent les enfants et les grands mères, un jardin un peu absurde, de celui qui ne côtoie pas les grands espaces mais les imagine le soir au fond du lit. Ici, entrez dans la “Light Cube House”, une cabane en bois bardée de fluos, comme échappée belle de quelque forêt de notre enfance. Là, une boule à facettes qui pleure, au titre évocateur : “le bal est fini”. Cette pièce pose un constat qui n’est ni nostalgique, ni mélancolique, “Le bal est fini” marque notre imaginaire par l’économie de moyens qu’il utilise (une boule à facettes qui pleure, ni plus, ni moins).
Avec un ensemble d’œuvres pour la plupart autolumineuses, et une scénographie privilégiant la déambulation, Pierre Malphettes nous propose ici un temps et un espace, bien plus qu’une succession d’images. L’artiste ne cherche pas à nous éblouir par sa virtuosité d’exécution. En nous permettant de voir l’envers du décor, il nous fait assister comme par effraction aux mécanismes secrets de sa poésie visuelle.

Sandra Patron
Communiqué de presse
Exposition organisée par triangle france à la Friche Belle de Mai, Marseille, Mai 2003

Vues de l'exposition à la Galerie de la Friche la Belle de Mai, Triangle France, Marseille, 2003

Le jour et la nuit 2003
Structure en bois, toile diffusante, tubes fluos jaunes et violet dont l’intensité monte et descend toutes les 1,5 secondes
Photographie Geoffroy Mathieu

Light Cube House 2002
Bois, tubes fluos, câbles électriques 370 x 320 x 410 cm
Vues intérieur et extérieur

Le bal est fini 2003
Boule à facette, moteur, goutte-à-goutte d’eau Diamètre : 50 cm
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