Gregory FORSTNER 

Entre chien et loup
Un cow-boy noir se tient debout sur un terrain vague, une hache plantée dans le sol. Dans sa main, un crâne. Il nous regarde en riant.
D’où vient cette scène extraite de la vie dont on ignore le début et la fin ? De quelle époque nous prend à témoin ce messager de la mort ?
Séquence suivante : le spectateur se demande de quoi s’amuse cet autre cow-boy endimanché sur une barque, un Happy Fisherman jouant de sa queue de billard pour donner du plaisir à une conquête féminine.
Les mises en scène de Forstner s’appuient sur la peinture d’histoire souvent  incarnées par un héros ou plutôt un anti-héros et sur une action qui condense les récits mythologiques religieux ou littéraires. Ses œuvres récentes sous le titre générique Rain Dogs s’inspirent d’illustrations du XIX siècle consacrées à l'épopée américaine dans laquelle l’histoire racontée est clairement à l’avantage d’une société blanche, oubliant volontairement que les trois quarts des cow-boys étaient justement noirs…
Pour Forstner, né au Cameroun, les Etudes pour un Nouvel archétype Américain seraient les réminiscences de son enfance mais aussi ses voisins et camarades dans le quartier de Bed-Stuy à Brooklyn où il vit actuellement. À partir de stéréotypes inventés par une société blanche et intégrés dans l’inconscient collectif, il tente d’en renverser la logique afin d’inventer un nouvel archétype pour la peinture.
Dans une esthétique du paradoxe réunissant les contraires, discordia concors, l’artiste détourne la moralité conforme aux westerns, films et histoires basés sur une hiérarchie au service d’une classe dominante suivant les stéréotypes du  bon, de la brute et du truand. Ses figures oscillent entre dominé et dominant, entre maître et esclave, entre homme et animal à tête humaine et toujours la mort comme alter ego omniprésent. Les sujets de Forstner évoquent également des westerns Spaghettis, Dead Man de Jim Jarmush mais aussi l’album légendaire aux sons caverneux du musicien Tom Waits, Rain Dogs, métaphore d’une âme en exil.
Continuons notre parcours : pourquoi la fille en robe et bas blancs que le cow-boy a pris dans sa barque pour la violer ne se défend-elle pas ? Pourquoi la prend-il avec sa canne et ne se satisfait-il pas directement ? Cette ambiguïté est renforcée dans une autre séquence érotique lorsque la fille tient cette fois-ci la queue de billard. Est-elle victime ou actrice du désir ?  En tant que voyeur, le spectateur guette  l’expression du plaisir de la belle ou bien l’abandon volontaire du corps de celle-ci à travers un pet libérateur ! Forstner peint ces fantasmes  avec force et intensité tel un escrimeur répondant aux coups portés par la peinture par des gestes amples, nerveux et décisifs. Dans une autre séquence, une fille dénudée s’agenouille devant le cow-boy, le ciel au-dessus reflétant sa chair. La peinture gicle. Coulures exprimant la jouissance de l’acte de peindre que le spectateur partage lorsque son regard se balade à travers la composition. Le fond se fait écho à l’action principale où toutes les tonalités se retrouvent dans un jeu de correspondances entre une scène figurative en premier plan et un arrière-plan où le sens se dissout dans une picturalité en perpétuel mouvement.
Dans une autre scène, le cow-boy est étendu dans sa barque, son chapeau recouvre son visage, sa chemise rouge se reflète sur la surface de l’eau. La lune devient regard pendant que sa lumière s’étale dans une traînée de couleurs pour réapparaître plus loin dans l’écume de la mer. Le ciel et la mer s’entremêlent alors dans le fond de la peinture. The Happy Fisherman 10 (The Nap)  se situerait-il au début ou à la fin de l’aventure ? 
Forstner manie l’ambivalence et l’humour se jouant d’un spectateur pris au piège, à la recherche d’une réconciliation entre une morale culturelle à laquelle il serait assujetti et un espace qui n’appartiendrait qu’à la peinture.
 
Jeanette Zwingenberger, in petite monographie éditée par la Galerie Zink à l'occasion de l'exposition Rain Dogs, Berlin, 2011




Entre chien et loup*
A black cowboy is standing in a vacant lot where an axe is planted in the ground. He is holding a skull in one hand and looking at us, smiling. Where is it coming from, this scene from life whose beginning and end we know nothing about? From which period in time is this messenger of death calling us to witness?
Next sequence. The viewer is wondering exactly what another cowboy in his Sunday best, a Happy Fisherman on a boat using his pool cue to pleasure a feminine conquest, is having fun with.
Gregory Forstner’s mises en scène rely on painting stories that are often embodied by a hero, or rather an anti-hero, together with actions that condense both religious and literary mythological narratives. Under the generic title Rain Dogs, his recent works draw inspiration from 19th-century illustrations of the American epic, in which the story is clearly being told to the advantage of white society and willingly forgetful of the fact that for every white cowboy, there were also three black ones.
According to the Cameroon-born Forstner, his Studies For a New American Archetype represent both his reminiscences from childhood and his neighbors and friends from Bed-Stuy, the Brooklyn, New York, neighborhood where he currently lives.
Using stereotypes invented by white society and integrated into the collective unconscious, Forstner attempts to reverse the logic of these stereotypes and thus invent a new archetype for painting.
With a paradoxical aesthetics that brings opposites together—discordia concors—the artist skews morality according to Westerns, those films and stories based on a hierarchy at the service of a dominant class and defined along the stereotypes of the Good, the Bad, and the Ugly. His figures waver between submissive and dominant, master and slave, man and human-headed beast, with death always as an omnipresent alter ego. Forstner’s subjects also evoke Spaghetti Westerns, the Jim Jarmusch movie Dead Man, as well as the legendary album Rain Dogs by Tom Waits, whose cavernous sounds serve as metaphor for a soul in exile.
But let’s keep on going. Why isn’t the white dress and tights–wearing girl the cowboy has taken to his boat to rape defending herself? Why is he taking her with his cue and not gratifying himself directly? The ambiguity is reinforced in another erotic sequence, one in which, this time around, the girl is holding the pool cue. Is she the victim of desire or its agent? In his position as voyeur, the viewer is looking for the beauty to express either her pleasure or the willing abandon of her body through a liberating fart.
Forstner paints these fantasies with force and intensity, as if he were fencing, responding to painting’s blows with ample, nervous, and decisive gestures. In another sequence, a naked girl is kneeling in front of the cowboy, the sky above reflecting her flesh. The paint squirts, its running expressing pleasure in the act of painting, a pleasure the viewer shares as his gaze rambles through the composition. The background echoes the main action, where every tone meets in a game of correspondence between the figurative scene in the foreground and the background where meaning is dissolved in an ever-moving pictoriality.
In another scene, the cowboy is lying in his boat, hat over his face, red shirt reflected on the water surface. The moon becomes gaze as its light spreads out in a trail of color, only to reappear farther in the sea foam. As a result, sky and sea mingle in the painting’s background. Is The Happy Fisherman 10 (The Nap) the beginning or the end of the adventure?
Forstner wields both ambivalence and humor, playing around with a trapped viewer who is trying to reconcile the morals of a culture he is subjected to and a space that belongs to painting alone.

*literally "Between dog and wolf" is a multi-layered expression used to describe a specific time of day, just before night, when the light is so dim you cannot distinguish a dog from a wolf. It also evokes the limit between the familiar and comfortable versus the unknown an dangerous, or between the domestic and the wild. It speaks of the uncertain threshold between hope and fear.

Jeanette Zwingenberger, in petite monographie éditée par la Galerie Zink à l'occasion de l'exposition "Rain Dogs", Berlin, 2011


 
Vue de l'exposition Rain Dogs, Galerie Zink, Berlin, Allemagne, 2011

 
Study for an American Archetype 2 2011
Huile sur toile, 250 x 200 cm
Collection particulière
 
The Umbrella Man Singing in the Rain 2010
Huile sur toile, 250 x 200 cm
 
Rain Dog or the Umbrella Man 2 2010
Huile sur toile, 250 x 200 cm
 
Study for an American Archetype 3 2011
Huile sur toile, 250 x 200 cm

 
Cave Canem 2 2011
Huile sur toile, 250 x 200 cm
Collection particulière
 
Rain Dogs 2011
Huile sur toile, 250 x 200 cm
 
The Collector 2 2011
Huile sur toile, 250 x 200 cm
Collection particulière
Voir la suite