FAVRET & MANEZ 

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À deux pas de chiens 2019


Sentes et descentes, extrait du texte « Les indices visibles » de Philippe Agostini

À deux pas des chiens, titre de la série réalisée en 2019 en collaboration avec l’écrivain et poète Sophie Braganti, inscrit le regardeur dans une position insolite. Des couloirs profonds et encaissés entre des pans abrupts envahis d’une végétation luxuriante, s'y succèdent de vues en vues. Les photographies en noir et blanc de moyens (et grands) formats qui composent ce cycle correspondent aux stations choisies de « promeneurs » (arpenteurs encore), depuis le sentier qui serpente au fond et où court un ru. Certaines vues sont frontales d’autres sont prises dans l’axe du ravin, offrant par endroit des débouchés.
Jouant de la densité et du désordre des éléments, du fouillis où se mêlent des myriades de plantes, des roches moussues, des branches mortes : jeux de lignes folles qui surnagent dans une nuance infinie de plages de gris ponctuées de blancs, ces vues paysagées relèvent d’un caractère sauvage voire fantastique.
En effet, si les photographies ne semblent pas, au premier abord, procéder d’une mise en scène particulière, s’en tenant apparemment à une forme de neutralité documentaire, elles traduisent cependant, par les cadrages et les qualités de lumières en demi-tons, le caractère irréel de cette combe, laissant affleurer de ces failles le mystère inquiétant qui sourd d’une ombre, d’une souche, d’une roche, et les métamorphoses étranges qui s’y dessinent.
Ici, une gorge se serre et une autre se resserre. Etreinte et étranglement de voies. C’est un monde perdu ou plutôt oublié. Un monde hors du temps, une vision qui fait ressurgir une période d’avant l’étreinte dans un jardin perdu ? Voilà que le bâton se fait serpent, et que la pierre ronde devient miroir ou stèle. Un couple remonte la ravine comme on descend de la source. Une parole, soufflant le chaud et le froid du désir, se love dans les pierres du sentier où dans les fougères, s’en fait l’écho et se répercute au long de ces couloirs qui n’ont ni début ni fin. Ici une lueur fend la pierre, là un cul de sac pris dans l’avalanche d’inextricables chevelures qui ruissèlent aux parois. Un bout du monde ? Cet ailleurs n’est cependant ni éloigné dans le temps et dans l’espace des abords d’une ville.
Après avoir parcouru séparément ces étonnantes tranchées naturelles et partagé l’expérience respective de leurs déambulations, Anne Favret, Patrick Manez et Sophie Braganti ont choisi de matérialiser cette double (ou triple) perception en introduisant le texte aux vues photographiques. Le résultat de ce dialogue est celui d’une amplification de l’aspect purement visuel par l’ajout d’autres qualités sensorielles (les bruits, les odeurs, les couleurs…), tout en proposant simultanément une trame narrative et poétique qui, d’images en images, rebondit comme en une chambre d’échos ; pour autant, ce texte posé en surimpression aux paysages avec lesquels il entre en résonance, n’est en rien une légende mais bien davantage une expression parallèle et singulière, un monologue qui fait remonter à la surface ce que le visible retient en ses racines profondes : souvenirs intimes et histoires confondues.
Ces vallons qui touchent aux portes de l’agglomération niçoise, et sont considérés à juste titre comme des écosystèmes séculaires encore préservés, apparaissent pourtant bien éloignés de l’imaginaire radieux et apaisant que l’on aime habituellement à se faire de la nature, peut-être justement parce que l’idée du naturel est ambigüe. « Obscurs », ces vallons ne le sont pas que d’un point de vue physique, éloignés du bénéfice de la pleine lumière par leurs profondeurs, mais aussi psychiques. Ces couloirs ou ses cavités aux méandres incertaines sont aussi des poches de mémoires où remuent nos plus sombres désirs, nos vertiges et nos peurs..
Sont-ce les aboiements de la meute lancée contre Actéon ou « le cri du caveau de la fosse » d'un probable Cerbère* qui résonneraient ici entre les parois, ou bien ne s’agit-il que des simples rumeurs de la cité proche ?

* L’une des étymologies de « Cerbère », ce chien à trois têtes, qui, dans la mythologie grecque était sensé garder l'entrée des Enfers, viendrait, selon Jacquot Laurant de ceri ou cri en hébreu voulant dire « cri » et ber « le caveau de la fosse »
 
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