Caroline DUCHATELET 

Suite 1 2005
Galerie Où, Marseille
Photographies Patrice Terraz
 
 

Premières visions

Début juin, dans le commencement de l’été méditerranéen, j’entr’ouvre la porte vitrée de la galerie “Où” de plain pied sur la rue, et je suis déjà à l’intérieur, oubliant la rue en pente que je viens d’emprunter et la brusque chaleur quand, ayant traversé, mon corps s’est trouvé soudain au soleil. Avant même de franchir le seuil de la galerie, mon regard entre dans l’espace d’exposition. D’abord, je ne vois rien, ou plutôt mon regard n’attrape rien. Je ressens la clarté de l’atmosphère lumineuse, la présence discrète sur le mur de gauche de deux grandes “feuilles” dont la matité diffère du mur. J’entre. Chaque feuille a un coin supérieur (à gauche ou à droite) éloigné du mur, comme étant décollé. Ce décollement recueille l’atmosphère lumineuse tout en la faisant circuler, jouer avec ses propres échos. Il crée une résonance légère dans la galerie avec les lignes et les volumes, les surfaces et les espacements. Une impression de douceur se diffuse. Elle provient entre autres de la manière qu’a eu l’artiste d’accorder ces surfaces avec le lieu. Les oeuvres apparaissent de concert avec lui, comme émanant de lui tout en ayant une raison d’être différente. L’accord avec le lieu se traduit par la même dominante blanche non aveuglante (feuilles et mur) et par la pose des feuilles contre le mur et sur le sol. Par ce dernier fait, les feuilles participent de l’équilibre général du lieu (l’élévation d’une surface verticale qui fait écho à la station debout). De même, par leurs proportions, les deux surfaces et leur décollement établissent un lien entre elles et le volume intérieur ainsi qu’avec les visiteurs.

Lorsque je pénètre plus avant dans la salle, je ressens une modification de l’atmosphère due à l’apport d’une source lumineuse, impalpable et diffuse. Cette source lumineuse passant à travers une membrane translucide introduit dans la galerie une qualité sensible différente de la lumière naturelle sans pour autant contraster avec celle-ci en termes d’intensité.
(...)

basculements lieu - paysage

Physiquement, nous avons ouvert une porte et nous sommes entrés dans l’espace intérieur de la galerie “Où”. À certains moments, la luminosité et l’apparaître des oeuvres plus légères que pesantes nous a disposé dans une ouverture au monde faisant que nous n’avons plus été dans un lieu clos, mais dans une spatialisation s’épanouissant en dehors des murs. Cette expérience peut correspondre à un basculement ou à une relation paradoxale entre le lieu et le paysage ; paradoxale parce que les deux notions sont antinomiques. J’ai écrit plus haut que le lieu se dilate, pour être plus juste, il s’agit du lieu pour nous. Il s’agit d’une expérience particulière attachée à ce que nous ressentons et à nous-mêmes, puisque, selon notre humeur, notre avancée dans l’âge et nos préoccupations du moment, nous ne sommes pas toujours semblables. Quand nous commençons à sentir en termes de paysage, alors l’endroit où nous nous trouvons n’est plus compris à partir de repères (adresse,..) ou d’ancrage symbolique (événement, histoires...), il se déboîte. Une porte est ouverte, ou plutôt la boîte architecturale s’élargit. Le lieu fait place pour nous au paysage, à un moment-de-monde. J’entends par là le sens du paysage comme un événement d’ouverture au monde qui n’est pas déjà représenté. Il s’agit d’un moment en lequel toute personne fait partie du monde et ne le regarde pas comme elle pourrait le faire d’un spectacle. Le lieu, quant à lui, se définit en un système complexe, incluant des repères géographiques et tout un ensemble d’événements symboliques qui en font sa particularité. Le lieu est un ici ancré dans le terrain. Le paysage n’a pas de limite et peu d’appui au sol étant plutôt un échange entre les êtres, les choses et le moment.

Catherine Grout, extrait de Traversées, catalogue monographique Sur le pas, ed. La fabrique Sensible, 2005

 

 

La ruelle est peu fréquentée. Les façades sont ocres claires, parfois noircies par la suie, les ombres tranchantes. La galerie Où, étroite et longue, traverse l'immeuble sur sa largeur et ouvre sur une petite cour intérieure par de hautes fenêtres, façades ocres encore, et feuillages verts. Bruits d'appartements, voix, les sons des intérieurs alentours résonnent parfois au dehors.
Deux cloisons perpendiculaires au mur de droite partagent l'espace et retiennent la lumière.

Le matin, le grand mur ocre de la cour reçoit le soleil. Blanc chaud de ce côté de la galerie.
En milieu d'après-midi, le soleil est au dessus du bâtiment. Blanc froid dans l'ensemble de la galerie.
En fin de journée, la lumière bascule côté rue et entre directement dans la galerie.
L'intensité lumineuse de la composition varie en fonction du passage de la lumière et le placement des feuilles est déterminé par son mouvement de traversée.

La proposition est de jouer avec les mouvements de lumières qui traversent l’espace, révélés par l'architecture existante et les surfaces ajoutées, et de composer, à la limite du perceptible, avec les respirations de lumière qui affleurent aux murs.

3 feuilles de contreplaqué enduites et légèrement teintées. 260 x 300 et 150 x 300 cm
Toile PVC, 240 x 300 cm, 12 fluorescents aux gradations programmées en variations de blancs neutres, froids et chauds, masses mouvantes qui se déplacent imperceptiblement.

Avec les inventeurs Fabrice Gallis et Guillaume Stagnaro et le créateur lumière Serge Damon

25 mai - 26 juin 2005, Galerie Où, Marseille
Conseil Artistique à la Création, région PACA / galerie Où / société Texen.

 
The street is relatively quiet. The facades are light ochre, sometimes darkened by soot, the shadows are sharp. The Où gallery, long and narrow, spans the width of the building. At the back its high windows open onto a small courtyard. Again, ochre facades and green leaves. Noises of flats, voices, the sounds of the surrounding rooms sometimes resonate outside.
Two dividing walls perpendicular to the wall on the right divide the space and receive the light.

In the morning, the courtyard gets direct sunlight, shining onto the big ochre wall. Warm white on this side of the gallery.
In the mid-afternoon, the sun is above the building. Cold white in the whole space of the gallery.
By the end of the day, the light switches to the street side and directly enters the gallery.
The work's luminous intensity varies according to the passage of light and the placement of the sheets is determined by its trajectory.

The proposition is to play with the space of the gallery and the movements of light that traverse it, as revealed by the existing architecture and the added surfaces, and to compose, at the confines of the perceptible, with the respiration of the light on the walls.

3 sheets of lightly tinted coated plywood. 260 x 300 and 150 x 300 cm
PVC canvas, 240 x 300 cm, 12 fluorescent tubes whose gradations are programmed in variations of neutral, warm, and cold whites, mobile masses which shift imperceptibly.

With the inventors Fabrice Gallis and Guillaume Stagnaro and the lighting designer Serge Damon

May 25th -June 26th 2005, Galerie Où, Marseilles
 
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