Ezio D'AGOSTINO 

Alphabet, 2011 – 2012
26 tirages au jet d’encre pigmentaire sur Hahnehmule Baryta 315gr
25x21 cm
Editions 7 + 1 Ap

Dans les années 1970, le Forum des Halles symbolisait une vision architecturale ambitieuse au cœur du centre historique de Paris.
Là où il y avait les Pavillons Baltard et les marchés généraux de la ville, une nouvelle forme futuriste venait s’installer pour tout concentrer en elle-même : le commerce, le loisir, le travail, l’éducation, l’art. Un monumental complexe en béton de plusieurs étages souterrains brutalisait le quartier Beaubourg.
Trente-deux ans après, le Forum a été remplacé par un nouveau complexe qui satisfera les survenues exigences esthétiques. Ces vingt-six photographies ont été prises dans la première phase de démolition du Forum des Halles, en développant une notion de temporalité par rapport à ce lieu. Vingt-six comme les lettres d’un alphabet visuel par lequel le Forum se donne à voir au moment précis de son déclin et de son oubli.

Alphabet

« Ces sont des bribes, des cadrages nets, serrés, préoccupés de graphisme, qui composent avec la couleur comme on la trouve aujourd’hui dans des rapprochements formels, pas tous voulus, qu’il faut aller rechercher. Il faut trouver la distance, s’approcher, prendre du recul pour donner du sens lorsque c’est nécessaire. Il faut se pencher sur les traces de pneus dans le ciment souple qui devient paysage. Restituer les échelles ou nous perdre. Il faut varier les points de vue mais il faut toujours permettre, par quelque indice, que celui qui regarde puisse composer sa propre histoire. Qu'il puisse comprendre à sa manière, qui n'est pas toujours la vérité.
Cette démarche attentive relève de l’exploration patiente de celui qui sait que, à un moment ou un autre, un élément viendra permettre de construire une compréhension. Ou de comprendre une interprétation. Il ne s’agit pas là de photographie pressée, pas vraiment de contemplation, mais comme le dit lui-même Ezio D’Agostino d’une « une démarche photographique qui dérive de ma formation d'archéologue ». Ce qui signifie se confronter au temps et pactiser avec lui. L’archéologue, comme le photographe, morcelle le territoire pour mieux l’explorer. L’archéologue le fouille, en révèle, par couches successives et en profondeur, les strates qui vont donner des éléments d’interprétation et de connaissance. Le photographe lui aussi morcelle, tranche, découpe par son cadre – qui n’appartient qu’à lui et n’a que très rarement la prétention scientifique de l’archéologue – l’espace que nous connaissons et expérimentons pour que nous puissions le regarder autrement, sous d’autres angles. On peut penser aussi à la manière dont les archéologues vont étudier des objets en les soumettant à différents types de lumières, de façon scientifique. Mais le photographe, sauf dans l’application de cette technique à des fins scientifiques ne poursuit pas la même démarche que le chercheur. S’il morcelle, c’est pour attirer notre attention que nous ne voyons pas vraiment, ou que nous portons un regard convenu sur un mode qui recèle bien des surprises pour peu que nous fassions l’effort d’aller les regarder. Les chercher du regard. Les chercher avec le regard et avec l’appareil et ses optiques. De fait, le photographe déconstruit pour nous permettre, dans la complexité de notre cerveau, de reconstruire, de nous faire une vision plus complexe que celle que lui transmettent nos yeux souvent las d’être trop sollicités.

Dans une telle approche, tout est essentiel, à commencer par la lumière et, dans le cas qui nous occupe, par la façon dont la lumière modèle la couleur. Sobrement et subtilement. Pas d’effet, pas de stridences, pas de cacophonie visuelle. Une forme de lenteur accompagnée de silence ambiant pour que nous allions plus loin que ce qui brille ou braille. Ce n’est certes pas tellement courant aujourd’hui, alors que notre cerveau, sollicité par trop de millions d’images qui environnent notre rétine ou que nous produisons avec une frénésie qui dissimule une réelle paresse permise par les machines, ne parvient plus à les raccorder pour construire – ou reconstruire – une vision. Mais cette absence de spectaculaire révèle un tronc d’arbre coupé environné d’herbe moribonde qui résiste encore quand une pauvre plante, adossée à la palissade verte, tente, alors qu’elle mourante, de s’extraire d’une grille métallique. Un peu plus loin, en profondeur cette fois, des chiffres, au bord de la piscine, délimitent un podium, un vainqueur et ses dauphins. Puis, tendres, des maisons tracées la craie sur un tableau noir et à demi effacées, un dessin d’enfant, un petit oiseau perdu sur le dossier rouge d’une chaise en plastique, des déchets derrière la transparence d’un sac poubelle en plastique rouge, des chromies, des signes. Une lecture apaisée d’un monde qui ne l’est guère, des angles nets, des rencontres de matières, un reflet et, toujours, la lumière, comme celle qui fait vibrer les gouttes d’eau en s’échappant de quelques ampoules en guirlande modeste ».

Christian Caujolle
         
         
         
         
         
         
         
         
 
         
         
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