Ezio D'AGOSTINO 

14 644

Il y a presque 20 ans, alors que je feuilletais l’album de mariage de mes parents, la photographie d’un jeune homme souriant a attiré mon attention. Je ne l’avais jamais vu. J’ai demandé à mon père qui il était. « C’est Umberto », m’a-t-il répondu, « ton cousin. Peu de temps après le mariage, il a décidé de disparaître ». Personne ne sait exactement pourquoi, ni où il pourrait se trouver aujourd’hui. Il ne reste que « la dernière photographie d’Umberto », souriant derrière ses lunettes des années 70. C'est à partir de cette image qu’il est le projet 14.644.





14.644 était le nombre de personnes disparues en Italie entre 1975 et le commencement de ce projet. Environ 400 personnes chaque année, plus d'une personne par jour : aucune n'avait été retrouvée. Les raisons de la disparition restent souvent indéterminées. Mais tous ces cas sont regroupés sous la même définition : éloignement volontaire. N'importe quand, n'importe où, des hommes ou des femmes décident de couper les ponts avec ce qu'ils ont été, leur rôle social et familial, leur image.
Grâce à la collaboration d’une journaliste italienne et à l’étude de documents du Ministère de l’Intérieur Italien, j’avais construit une cartographie des lieux où les disparus avaient été vu pour la dernière fois. Il s’agissait de repérer ces territoires devenus lieux d’une vérité processuel (c’est à partir de ces lieux que les enquêtes policières débutent) suite au témoignage d’une personne qui avait reconnu dans un visage le portrait photographique du disparu diffusé par la famille.

J’ai photographié ces lieux pour créer des images qui contenaient une vérité possible à travers le regard : une vieille photo d’une personne disparue, un témoin, un photographe, un observateur. Cette stratification de regards pouvait ainsi générer une nouvelle lecture d’un territoire jusqu’à la banale et inaperçu : une géographie construite sur la reconnaissance d’une image et sur la croyance à cette image. Les photographies de ce projet n’échappaient pas à cette construction d’une vérité visuelle. Mais s’il est possible de considérer ces images comme des documents, il faut les regarder comme des documents « faibles », temporaires, valables jusqu’à quand un autre témoin présumera d’avoir reconnu la personne disparue dans un autre endroit. À ce moment, qu’est-ce qu’elles deviendront ces photographies ? Quel type de documents ? Quelle vérité pourront prouver ? Il y a vérité dans une image seulement si elle est partagée par ses observateurs ?
 
 
Carte des prises de vues de la série
 
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