Anna BYSKOV 

Lire les statements de l'artiste


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Partagée entre différents pays, villes et langues, je ne suis pas certaine de savoir où je me situe dans cette biographie. Chaque paysage que je croise m'apporte de la matière pour créer, observer et écrire ma propre histoire.

Je n'ai aucun souvenir de Quito, l'Equateur, le pays où je suis née en 1984. Connectée mais écartée d'une certaine réalité, j'ai construis un mythe autour de ce pays qui me semble présent et à la fois lointain. J'ai grandi à Genève, la ville que je connais au bout des doigts et qui fait partie intégrante de mes souvenirs et ma construction. Ma langue maternelle est l'anglais et ma langue paternelle est danoise. Je me considère danoise mais je n'ai cessé de rebondir entre les deux langues jusqu'à y perdre mes mots. Je n'ai jamais réussi à m'identifier dans une langue et ce complexe s'est transformé en une ambiguïté qui me fascine. Je cherche la précision des mots et la confusion s'installe où le sens ou l'anti-sens voyagent dans le doute et le flou ouvrant un espace poétique dans l'écriture, la vidéo, l'installation et la performance. En ce moment, je définis mon travail comme un brouillard où l'expression est autre centre. Je suis illogique dans tout processus que j'entame et je le nourris par ses racines entremêlées.

J'ai poursuivi mes études à la Villa Arson à Nice. J'ai rencontré des personnalités incroyables qui m'ont profondément influencés, Eric Duyckaerts, Arnaud Labelle Rojoux. Par son soutien et sa générosité, Arnaud Labelle-Rojoux m'a donné l'élan de poursuivre mon travail artistique et nous avons travaillé à multiples reprises.

Installée à Paris en 2010 où j'ai obtenu un atelier à la Fondation des Artistes en 2015. J'ai présenté mon travail au sein d'institutions (MABA, Nogent-sur-Marne ; Confort Moderne, Poitiers ; Villa Arson, Nice ; Kunsthalle Mulhouse ; Fondation du Doute, Blois ; Le Cylcop, Milly-la-Forêt ; Musée d'art contemporain Power Station of Art, Shanghai), tout autant que dans des cadres plus informels (Open Space, Nancy ; [or nothing], Bruxelles ; Le Narcissio, Nice).

En 2014 j'ai découvert Mulhouse, une ville s'est additionnée à ma liste. Je travaille essentiellement à Paris, Mulhouse et Genève. Sautillant d'un endroit à l'autre ne sachant pas où je vais m'installer concrètement, mon travail ne cesse pas de continuer. Je ne dresse aucune limite entre la vie et l'art, mon processus est majoritairement intuitif et c'est ma façon de récolter de la matière, l'imagination et une continuité car rien n'est stable et acquis. Je considère mon travail comme une ponctuation qui fait partie d'un ensemble d'autres situations passées ou à venir.

2020
J'ai récemment terminé la Résidence Temporars au Susch Muzeum en Suisse. Je travaille sur un nouveau projet éditorial avec la Maison d'édition La Houle et le commissaire Richard Neyroud. En novembre, je commence une résidence à la Fundaziun Nairs, en Suisse.


Read the biography in english / Read the biography in danish


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Texte de Richard Neyroud, commissaire indépendant et commissaire associé [or nothing]

Son travail artistique se développe à travers différents médiums (vidéos, performances, objets, sculptures) et trouve un ancrage dans la performance, qui détermine les pièces réalisées. Anna Byskov associe d'abord son propre corps, sa personne, et envisage de multiples collaborations avec d'autres personnes, artistes ou non artistes, toujours inspiratrices, qui stimulent une énergie de projet. Son travail engage différentes associations pouvant établir un dialogue, et ainsi muter vers de nouvelles interrogations.

« Je voulais m'essayer à traduire l'humour anglais, tâche impossible quand l'une jette plusieurs fois un verre au visage de l'autre, comme si de rien n'était, et la conversation continue. Une indifférence à l'humiliation sans que l'on sache si c'est de l'humour. » Voici un possible point de départ pour lire une démarche performative nourrie de récits personnels, une expérience « potentiellement universelle ». Touchant à la mémoire personnelle et collective, elle s'attache à construire des passerelles entre toutes ces temporalités.
    La dimension affective est centrale dans la constitution des projets. Elle conditionne un état de travail, une condition de faire (ou de ne pas faire). L'écriture est toujours une base pour la mise en place des performances même si le script n'est pas suivi à la lettre. Une partie d'improvisation et de poétique s'installe entre la source et le moment performé en fonction des situations.

Travaillant au sein d'institutions (MABA, Nogent-sur-Marne ; Confort Moderne, Poitiers ; Villa Arson, Nice ; Kunsthalle Mulhouse ; Fondation du Doute, Blois ; Le Cylcop, Milly-la-Forêt ; Musée d'art contemporain Power Station of Art, Shanghai), tout autant que dans des cadres plus informels (Open Space, Nancy ; [or nothing], Bruxelles ; Le Narcissio, Nice), Anna Byskov s'engage activement et adapte ses interventions aux différents contextes, prenant en compte toutes les rencontres potentielles de chaque invitation. Cette capacité de faire avec le réel lui permet d'élaborer de nouvelles interactions avec les situations présentes. Certaines collaborations se font grâce à la complicité de certain·e·s artistes, amenant des retrouvailles récurrentes : notamment Alice Gavalet, Arnaud Labelle-Rojoux, Jeanne Moynot.


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Lire le texte Anna Byskov : la vérité du masque de Pedro Morais


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Texte de Vincent Verlé, commissaire indépendant et dirige le programme Openspace à Nancy

Anna Byskov se constitue au fil des ans une bibliothèque en perpétuelle évolution de formes et de gestes qu'elle utilise ensuite jusqu'à contentement, voir jusqu'à épuisement. En expérimentant à chaque fois de nouvelles combinaisons, elle cherche à atteindre ce point d'équilibre où le langage créé par ces différents agencements traduira alors parfaitement sa pensée.
Pour le projet qu'elle développe à Nancy, si elle reprend une partie du lexique utilisé lors de sa précédente intervention dans l'exposition collective « Performance TV » curatée par Mathilde Roman à la MABA de Nogent sur Marne, c'est surtout la manière de procéder qui est rééditée. En effet, Anna Byskov s'inspire de l'histoire patrimoniale et culturelle de la ville qu'elle réinterprète à sa façon, de même qu'elle avait pris comme point de départ de son intervention à la MABA un élément de l'histoire du lieu. S'opère néanmoins un décalage dans la construction de cette nouvelle performance car entre ici en jeu la notion d'espace public. Cette donnée lui permet alors de mettre en oeuvre ce réagencement des matériaux caractéristique de son travail.
C'est ainsi la ville qui sert de prétexte à une performance où Anna Byskov livre notamment sa relecture d'Emile Gallé et de la place Stanislas dans un tourbillon d'actions décalées et burlesques.


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Texte de Arnaud Labelle-Rojoux – La comédie de l'art – Fondation du Doute

Anna Byskov, s'entête, elle, dans un registre plus absurde (La Culotte), lors d'actions le plus souvent vouées à l'insuccès (La Butte), à s'en prendre au réel. Au “concret du monde” comme dit Peter Kral, l'historien du burlesque. A son idiotie, ajouterait Clément Rosset. Conduite d'échec ? Masochisme euphorique ? Foirades façon Beckett ? Situations poétiques détraquées plutôt : Jackass soft. Dans Hunt, une autre vidéo relatant une performance réalisée au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris, Anna Byskov n'hésite du reste pas, comme précisément les cascadeurs déjantés de Jackass, à introduire une dimension régressive laissant probablement pensifs les amis ramollis des animaux de compagnie : Anna aboie au méchant roquet qui aboie. Ouah ! Ouah ! Ouah !Mais plus fort que lui ! Hilarité assurée. Pourtant il se pourrait qu'elle n'aboie pas pour faire rire, mais pour faire peur : « Anch'io sono un cane ! J'adore l'os à moelle, et je mords aussi ! »


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Texte de Mathilde Roman, Art vidéo et mise en scène de soi - L'Harmattan, 2008

Dix ans plus tard, Anna Byskov suit elle aussi la formation de la Villa Arson où elle met en place un travail vidéo dont elle est le protagoniste principal. Comme Brice Dellsperger, dans A chacun sa vérité (2008) elle joue sur sa capacité à faire émerger différents personnages à partir de son corps dans l'espace-temps d'une même narration. Interprétant différents habitants d'un même immeuble discutant de la folie supposée d'un de leurs voisins, elle se laisse peu à peu gagner par la confusion et finit par être submergée par les différents attributs de ses personnages. Cette vidéo, hommage au théâtre de Pirandello, aurait peu être une belle performance d'acteur si elle avait été faite en public. Le trucage de l'enregistrement met à distance la fascination ressentie par le jonglage effréné entre les différents rôles. Le travail d'Anna Byskov se dirige de plus en plus vers la performance, et lorsqu'elle choisit la vidéo c'est pour jouer avec les qualités de ce médium : le montage, le cadrage, la bande-son et la mise en boucle. Ses actions sont toujours au centre, lui permettant de se confronter à un paysage, de « s'auto-buter » à ce qui l'environne, dans des expériences de l'échec. Le dispositif solitaire de la prise de vue concentre le regard sur l'artiste et sur ses petites expériences: monter un escalier en papier, grimper sur un immense toboggan extérieur, foncer sur des troncs d'arbre. Que l'atmosphère soit celle de décors en carton-plâtre ou de paysages désertés, tout tient par et pour un seul corps qui interroge son inscription dans un espace et dans un temps. Des problématiques qui retrouvent celles développées depuis le début dans l'oeuvre de Bruce Nauman, et qui traversent en fait toute la pratique de l'autofilmage: se filmer pour regarder ce que son corps, son récit, son action font à l'image.


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« M'AUTO-BUTER »

Dans mon travail de vidéo, je recherche la notion d'échec en exploitant, souvent par un procédé laborieux, la difficulté de persévérer, l'acharnement et la répétition du geste. Je définirai mon travail en utilisant l'expression «je m'auto-bute» car je développe et j'incarne souvent des personnages différents qui rencontre souvent des difficultés perpétuelles. Dans mes vidéos, je développe les mécanismes du toucher, du faire ou de la parole qui représente un ensemble de gestes qui mènent à l'échec. L'échec se crée à travers le personnage, dans son rapport avec les éléments scénographiques qui l'entourent. Les actions mises en scènes dans mes vidéos prennent souvent la forme des gestes simples voire anodins que je répète pour atteindre une accumulation. Je tente de détourner le « presque rien » par un élément perturbateur qui suscite un sentiment de frustration. De plus, des outils tel un accessoire, une gestuelle ou encore un élément langagier sont exploités de manière à détourner le but d'une action et ainsi la faire chuter. En m'utilisant moi-même pour interpréter des rôles, je me confronte à la dureté et la persévérance de la relation entre auteur/réalisateur/acteur. En étant le dominant/dominé sur soi-même, j'évite d'imposer mon exigence sur quelqu'un d'autre et du coup, je me subis moi-même. Ce processus de création me permet de manipuler cette confrontation et obtenir une perfection de l'échec car «je m'auto-bute». Ce côté torturé facilite mon interprétation et me permet de jouer une multitude de personnalités stéréotypées qui reflètent, finalement, les diverses facettes d'une même personne. Ainsi, «s'auto- buter» est une auto-dérision entre le personnage maladroit que j'incarne et l'acharnement à vouloir réussir. Ce procédé de gestes simples voire quotidiens devient au fur et à mesure absurde. En effet, dans mon travail de vidéo et d'interprétation, je veux créer un monde de contradictions et d'oppositions. Je souhaite détourner un geste quotidien et des situations banales en une action qui transcrit plusieurs réactions et ressentis. Je veux confronter l'action avec le sérieux et l'humour, la patience et la frustration, ainsi que l'ironie et la naïveté. Le fait d'utiliser tous ces facteurs ensemble enclenche souvent une situation burlesque, absurde et tragique. Enfin, je tente de faire du sens quand il n'y en a pas et de me perdre dans le sens quand il y en a.

«Mon travail est presque «foiré», car j'aime être entre la réussite et le clapse !»

« KICKING MY OWN ASS »

In my work with video, I explore the notion of failure by exploiting (often through a labour- intensive process) the difficulty of pervasive chaos and the repetition of gesture. I would define my work by using the expression “kicking my own ass”; I develop and portray different characters as they encounter perpetual difficulties. Throughout my pieces, I develop the mechanics of touch, action, or language which represent together gestures that lead to failure. The failure is created through the character, in his relations with the scenery surrounding him. The actions portrayed in my videos often take the shape of simple and sometimes banal movements which I repeat to reach a point of saturation. I attempt to alter the “almost nothing” by a perturbing element which provokes a feeling of frustration. In addition, tools such as an accessory, a gesture, or an ordinary element are exploited in a way so as to alter an action and thus make it fail. By using my own self to interpret roles, I am lead to confront the harshness of the relationship between author, producer, and actor. In being both dominating and submissive, I avoid imposing my own standards upon someone else, and therefore bear the brunt myself. This creative process allows me to manipulate these confrontations and achieve the perfection of failure as I “kick my own ass”. This tortured side eases my interpretations and allows me to play a multitude of stereotypical characters which reflect the many facets of the same person. Thus, “kicking my own ass” represents a conflict between the clumsy person that I portray and the ultimate goal of success. The process of simple and ordinary gestures eventually becomes absurd. In my work with video and interpretations, I wish to create a world of contradictions and conflict. I try to turn an ordinary gesture and banal situations into an action that elicits numerous different feelings and opinions. I want to confront the serious with humour, patience with frustration, and irony with naïveté. The fact of using all of these factors simultaneously often provokes a situation reminiscent of the burlesque, the absurd, and the tragic. Finally, I attempt to make sense of situations that have none, and to lose myself in sense when there is some.

« My work is almost ‘screwed', as I like being between success and utter failure! »