Stéphane BÉRARD 

C'est pas grand-chose une paire de maracas...


Le signe abat le sang des enfants simples
Le sang mordoré des couloirs vides épouvante les vampires
Et chasse les chaussettes décousues des mendiants de l'histoire
Qui trahit le vrai désert des esprits stériles
(Monique Wendling)

Si tu t'adonnes à la beauté, tu te fais entuber par la vie
(Jggy Pop)

Des années après mes débuts, j'étais fauché la plupart du temps
(W.C. Fields)



Les grelots de fin d'année résonnent en pleine période de fêtes. Comme à chaque fois et où que je me trouve, Ginette Bérard me joint ses meilleurs voeux par téléphone. Le ton de voix est posé, teinté de la courtoisie positive qu'impose la circonstance. Tout paraît normal, bien qu'elle parle avec la précision embarrassée de la personne qui lit pour la première fois sur un prompteur. D'habitude imperceptible, la menace redoutable du ventriloque sur sa marionnette se fait ressentir:
«T'as besoin d'un problème?...»

Déjà quand on évoque Bérard dans le monde de l'an, Digne surprend comme s'il s'agissait d'un geste irresponsable en soi. Digne (les-Bains): ses montagnes en paillasson, sa rivière de cailloux, ses fossiles préhistoriques, son plan d'eau, sa cascade japonaise, son 1% gothico-misérabiliste, ses glissements de terrain. Le pays où l'on étanche sa soif de tranquillité à tel point que l'on en viendrait à étancher sa soif de la soif.
Beyond the volley de la Pantoufle, jusqu'où s'étendent les racines rien ne s'avère jamais gratuit. Et sous le casque, sommeille un Jean-Jacques Rousseau du dérailleur: la suspension à boudin, les crampons et le grand air, c'est son herbier.
«Oh putain!!!». je l'ai sorti d'un trait en voyant le premier des frères Suicidersky...

Il est assez répandu chez les artistes, et plus particulièrement dits de variétés, de se complaire à raconter les conditions de leurs premiers contrats.
En ce qui concerne Bérard, la carrière supposée commence par le milieu. Les appuis bien calés dans les starting-blocks, il persiste déjà cette appréhension que la sortie du prochain virage débouche sur la traversée du désert.
Candidat à la vocation, il s'agit de trouver un métier sans s'illusionner sur l'organisation scientifique du travail. L'adage dit justement que l'homme qui cherche n'est pas forcément un loser. Les premières gammes sont soumises à cette fausse insouciance pétrie par l'attente, l'observation, sans doute l'espoir, dans une ambiance de queue de peloton (arôme pénis?).


Mais le médium «sourire» est à la fois un sonar et une ruse:
le ticket d'entrée pour la cour des miraculés de la postérité. Hall 0f Shame. Un sourire tout droit sorti des bureaux d'études de Max Factor: un sourire symétrique (mi-hilare, mi-jaune) de l'homme-sandwich de contrebande en manque de sommeil qui a tout de même une certaine éducation et donc en rien convaincu de ne pas se faire posséder.
Car la question se pose comme une ambition honteuse: «Comment en faire partie ?»

Désormais, le sourire devient un vecteur de conspiration, il harcèle en sapant à la base toute notion d'intégrité; la logique dilue an psycho-panorama humain dont le réservoir de personnalités disparates est la matière première (Sheila la chanteuse, John Giomo le poète, Bernard Blistène le directeur).
Les bras ballants, avec un anti-brio à la David Goodis (mâtiné de Baîthazar Graciàn), Bérard passe la méthode du copinage au crible, poliment installé sur un des strapontins du salon des refusés.

Les amis de la passion et les fruits du piston.

Un jour, le cinéma a tiré Bérard par la manche: «Tiens, je te prête mon vélo. Tu peux faire un tour situ veux...»
Par péché de naïveté, Bérard aurait mal compris et serait parti avec l'engin. Grand plateau, petit braquet. Il aurait roulé le long des voies ferrées, à travers les bambouseraies, les ruisseaux à sec et les bandes d'arrêt d'urgence pour arriver au bas d'un immeuble; ajustant ses mains en cône autour de la bouche pour que l'appel soit plus précis, il vise la fenêtre derrière laquelle vit la plus belle fille de la discothèque.
Finalement, les jeux étaient déjà faits et les dés jetés au lance-pierre de Tijuana. Retombés bien trop loin pour savoir.
Mais quand on aime, ça donne de mauvaises pensées.
Les frontons illuminés des salles des grands boulevards ne font que parler du cinéma, là où Bérard le pratique en faisant des films.
En tant que cinéaste, il est les Trois Mousquetaires à lui seul (mousquetaires, d'ailleurs, qui joueraient de l'harmonica* plutôt que du fleuret). Les premiers échos que j Ôavais eus de Bérard étaient relatifs à son film Mortinsteinck. Et bien que cela m'ait été relaté par un ami, que j'appréciais pour son sens de la précision et de l'implication à aborder à peu prés n'importe quel sujet (politique, religion, argent...), ce dernier me semblait, dans son commentaire, pris à contre-pied par une quinte de vocabulaire («Ouais, hé, faut voir ça... alors là, c'est gore...»).

Le point de soudure entre circonspection et jubilation où la différence entre ne rien comprendre et ne pas y croire devient infime.

Foncièrement pragmatique, Mortinsteinck, comme ses autres films lÔEcart et Les Ongles Noirs, ne lorgnent ni du côté kitch de l'art vidéo, ni vers le fantasme cinématographique en tant que modèle d'économie/production pour poétique à pleins poumons. Cet aspect pragmatique (on respecte les règles sans forcément les appliquer) convoque le déceptif et par là même, le poste de spectateur et ce en quoi il met toute sa confiance.
Mais un bon spectateur, s'il n'est pas trop simulateur, est rarement déçu.

Un des piliers de la généalogie bérardienne, sa grotte de Lascaux en somme, se trouve sur poteau EDF en ciment à moins de cent mètres de la maison familiale. Un nom écrit à la verticale: Sid Vicious. (C'est clair, à quatorze ans on n'est pas assez punk pour écrire Jack Lantier du premier coup). Ce poteau en ciment tient d'avantage du moineau de Gombrowicz que de la madeleine de Proust.
On peut traverser le punk, connaître cet état qui ne quitte jamais vraiment, de la même manière l'on prend la mesure de son environnement immédiat en s'inscrivant dans un groupe folklorique (pour ma part, Les Etournias de Puilboreau incarne l'underground générique de l'expérience cultu relle). Mais, on ne peut malheureusement pas se borner à hurler son for sentiment intérieur en gueulant comme si on vous jetait par dessus le balcon du quinzième étage de la génération Mal-au bide.
N'empêche que Bérard a su tirer le carburant à la pompe de cette école de la personnalité: un sens de la drôlerie implacable, une désinvolture narquoise, une pensée toute débraillée d'avoir laissé les bretelles de la convenance au clou.

Soudain, tout le concerne. Donc, a priori, la première lecture parait plutôt hermétique et la maturation désastreuse.
Ses activités sont menées dans un «chenil d'hypothéses»* où l'idée de sérieux (omniprésente) est indissociable de la pureté navrante. Unique membre d'un institut de recherches par diversions, il est spécialisé dans les phénomènes de rejet. La fumisterie tranche tel le scalpel. Il recèle les idées dites de «tendance» (inscription dans le social, l'architecture et le design, le négoce...) avec l'aplomb d'un Pierre Daco (cf «Les Triomphes de la psychanalyse» Marabout, 1969) qui, au guidon de son argumentaire, enchaînerait virages relevés et ornières de relance.

S'il suffisait de se fier aux grosses ficelles de l'étude chronologico-pédagogique le propos de Bérard se répartirait sur différentes périodes. La première dite de «Conversion» (comment en faire partie); puis la période «Solidarité-vache et plaisir d'offrir» (le Bérard Social club pour une esthétique relationnelle lucide I le travail, une question de répartition ou de dissolution des responsabilités); La période «Attrape-nigaud et joie de recevoir» (l'art, sa survie et l'institution); la période «La création et ses besoins» (le cinéma, le design, l'architecture...).

Au menu de cet assortiment conceptuel, il s'agit justement de dompter (et non pas de contrôler) une incapacité notoire, propre au principe du «I would prefer not to», à savoir se cadrer. On pourrait dire qu'il est Heroïc Conceptual au sens où l'Heroïc Fantasy aborde la notion d'histoire en narrant des aventures improbables plutôt que des faits.

Chez Bérard, les projets-aventures-concepts trempent dans le vinaigre avec des oeuvres où les meilleures répliques sont coupées au montage (ce qui reste le propre d'une bonne pièce d'art). Au fin fond de l'accumulation se crée un dépôt insoupçonnable ou mal perçu: un sous-genre qui par couches successives se meut en style (Ah! cette vieille quête de crédibilité !), c'est comme se promettre un doux mensonge. Entre distortions d'esprit ricaneuses, abus irracontables et absence de retenue sur la notion de main morte, le conceptuel devient croûteux.
Proche des peintures de même nature et de l'effet refoulé qu'elle suscite au regard; car on apprend autant d'une bonne que d'une mauvaise peinture.

* concert Boussiron/Bérard aux 3 bis F (hôpital psychiatrique, Aix-en-Pce) Bérard y apparait en mousquetaire harmoniciste.

* le mot est le sien, tiré de son roman "Le problème martien" Al Dante, 2002.

Xavier Boussiron, Paris Janvier 2003 in catalogue Stéphane Bérard/ce que je fiche/ Le Cairn centre d'art - Frac Paca







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