Laurent SEPTIER 

Il aura fallu que j'aille très loin pour trouver ce qui était en moi. Très loin dans le temps : quarante ans de travail. Très loin dans l'espace : en Chine, un extrême lointain. À force, on croit y voit une thématique, mais : non, Laurent Septier ne travaille pas «  sur la Chine  ». J'y vois des choses, des situations, je les reçois, je les retiens pour les partager peut-être. Je n'y cherche rien d'extraordinaire, ça va de soi, ça apparaît. Et ça fait des photographies, ou bien des livres.
Le retour s'ouvre sur un autre espace et un autre temps, plus proches, et trouve sa place entre autres dans des maquettes de petites dimensions dont le fonctionnement participe à la fois de l'esprit des peintures chinoises classiques : on s'y promène, de la photographie : c'est une histoire de point de vue et de la sculpture : on en fait le tour.
Beaucoup de monde gravite autour et en-dessous : les jeux de références sont une fécondité de l'art.
«  Une oeuvre d'art est un artefact à fonction esthétique  » a dit Gérard Genette. Je fais effectivement des artefacts à fonction esthétique, c'est ce que j'aime faire.

Laurent Septier






On nous a cité plusieurs exemples de buveurs morts incendiés, ils avaient fait un usage si immodéré d'alcool qu'il suintait, en quelque sorte, par tous leurs pores. Un accident, la simple action d'allumer la pipe suffisait pour enflammer et consumer ces malheureux. (1)


La Chine est un vaste pays, et qui est peuplé de Chinois (2) 



J'écrivais ce qui suit sur mon travail en 2007, je n'y ai apporté que quelques retouches et ajouté un paragraphe, l'esprit n'ayant pas changé d'orientation. Seule la liste quantitative des travaux a augmenté.
Mes travaux s'organisent autour de la pratique et de la réflexion sur les rapports du langage et de l'image. Le point de départ (1976) s'ancre dans la photographie avec un travail noir et blanc de format carré, de facture plutôt classique, dont l'objet est la Chine. Il a été accompagné d'un travail d'autoportraits quotidiens au Polaroid SX-70 du 1er janvier 1981 au 10 août 2010, une pièce encombrante dans le temps (près de trente ans) et dans l'espace (1,40 x 62 mètres) - 10 813 photographies. Au fur et à mesure des années j'ai multiplié les moyens : dessins, caissons lumineux, installations, micro-sculptures, photographies numériques «  all over  », pièces murales (Toroni figuratifs) et publication de divers ouvrages (un guide de voyage sur l'art contemporain à Pékin, un recueil de souvenirs, des listes-poèmes). De nombreuses pièces sont référentielles et parfois de l'ordre de l'hommage (les autoportraits et Opalka, les maquettes de châteaux d'eau en plastique et les Becher, les Toroni figuratifs ...) et la dimension de répétition est elle-même une référence à ce que la photographie suscite dans son propre dispositif, quelque chose comme «  différence et répétition  », une mécanique obsessionnelle. Raymond Roussel est passé par-là, ouvrant à ma propre «  Vue  » un chemin vers la sculpture.



Ce qui précède est une sorte de systématique de mon travail, comme une arborescence dont la raison serait la pragmatique des outils. On peut aussi le penser autrement, par le biais d'images fondatrices extrêmement variées et issues de tous les champs. Quelques-unes en plus des deux placées en épigraphe : «  Comme un chien  » dit-il, et c'était comme si la honte dût lui survivre.   » (3), celle-là me suit depuis bien longtemps, telle une ombre, ou bien «  De l'autre côté de mon assiette il y en avait une plus petite remplie d'une matière noirâtre que je ne savais pas être du caviar. J'étais ignorant de ce qu'il fallait en faire, mais résolu à n'en pas manger.   » (4), celle-ci pour sa drôlerie. Chacune de ces images, de ces évocations est comme la petite phrase de Vinteuil, il en a bien sûr beaucoup, des textuelles, des visuelles, des sonores, des culinaires, des olfactives, c'est un immense fonds qui est somme toute assez voisin — peut-être en un peu plus «  brocante  » — du «  fonds d'immanence  » cher à François Jullien, et dont je me nourris non sans délectation.

Et encore : les photographes prélèvent des choses du monde, les transforment, les classent et les reclassent, en font des séries, des ensembles qui échappent à leur logique d'origine, ou même parfois à toute logique. Mais il y a de la compulsion là-dedans, qui n'est pas loin de celle des collectionneurs. Je ne sais pas si l'un explique l'autre mais une nouvelle pratique, celle de la collection, a rejoint mes productions d'artefacts à fonction esthétique. Anny Lazarus et moi-même collectionnons, donc, des oeuvres, plutôt de jeunes artistes, et plutôt orientés vers le simulacre, le double, l'image détournée, l'humour, l'ironie, les figures de la figure : mais rien n'est clos. Diverses autres collections d'objets variés coexistent : pierres à encre chinoises, objets d'offrandes pour les morts, curios chinois... pour moi, cela fait partie de mon oeuvre, comme l'a vu Jean-Jacques Vitton : «  Passer quelques heures chez Laurent Septier c'est se rendre compte que les espaces qu'il entreprend quotidiennement sont autant de relais entre les éléments exposés de son travail. Jardin abrité sous un chapiteau blanc mais relié par deux petites descentes latérales à un sous-sol où sont rangés sans doute des travaux. Jardin aussi dont le niveau qui appartient au plan premier de la maison semble communiquer avec l'étage par un escalier interne en bois qui ressemble à celui d'une chaire. Les relais sont des vitrines où attendent des objets et des prétextes à transformations. Jardin, rez-de-chaussée, chaire, premier étage, grandes pièces du premier plan, tous ces lieux sont des terrains d'exposition dans lesquels Laurent Septier entrepose / expose un nombre important d'objets, témoins, outils, balises de son travail, de ses recherches, de ses fabrications bilingues  » (5).


(1) Évariste Huc, L'Empire chinois, Paris, collection orientale, Imprimerie impériale, 1854.

(2) Général De Gaulle, cité par Simon Leys in La forêt en feu, Paris, Hermann, collection Savoir, 1983.

(3) Franz Kafka, Le procès, traduit par Alexandre Vialatte, Paris, Éditions Gallimard, 1957

(4) Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, tome 1, Paris, Éditions Gallimard, collection Bibliothèque de la pléiade, 1987
(5) Jean-Jacques Viton, "Laurent Septier et les prises multiples", in Atoma/Individus, catalogue de l'exposition Marseille, Éditions Diem Perdidi, 2003.

Laurent Septier, 26 avril 2016



Techniques et matériaux


photographie / photography
dessin / techniques mixtes / drawing / mixed media
maquettes / sculptures
installation / installation
Mots Index


simulacres / simulacrum
Chine / China
images du double
cuisine / cuisine
saucisse / sausage
champs de références


1. D. A. F. Sade, Alfred Jarry, Victor Segalen, Franz Kafka, Raymond Roussel, Louis-Ferdinand Céline, François Cheng,
2. Les Pieds Nickelés, le Marsupilami,
3. Anton Pannekoek, Les Communistes Conseillistes, Guy Debord, L'Internationale Situationniste,
4. Friedrich-Wilhelm Murnau, Ozu Yasujiro, Fritz Lang, Michael Powell, Orson Welles, John Woo,
5. Emmanuel Kant !, Sigmund Freud, Jacques Lacan, Michel Foucault, Gilles Deleuze, François Jullien, Simon Leys/Pierre Ryckmans et Yasunari Kawabata
6. Ludwig van Beethoven, Franz Schubert, Richard Wagner, Giuseppe Verdi, Giacomo Puccini, Claude Debussy, Gustav Mahler, Richard Strauss, Anton Webern, Alan Berg, György Ligeti
7. Gilles-Christian Réthoré, Philippe Billé, Présence Panchounette, Frédérick Roux, Florence Manlik


et
- le fonds d'immanence indifférencié
- le meicaikourou, le shuizhuyu et la Laoganma
- la cuisine, les fruits de mer, le caviar
- les vins de Pauillac
repères artistiques


Zhu Da, Marcel Duchamp, Bram van Velde, Weegee, Robert Frank, Christian Boltanski, Présence Panchounette, Joseph Beuys (en particulier 2 oeuvres : Zeige deine Wunde et Eurasienstab), Frédéric Bruly Bouabré, Joachim Mogarra, Florence Manlik, Walker Evans, Bernd et Hilla Becher, Niele Toroni