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| Aurore Valade conçoit des dispositifs performatifs et participatifs où elle invite des anonymes à (re)jouer des moments inspirées de leur quotidien. Elle crée des scènes photographiques qui sont avant tout des actions avant d'être des représentations. Ses images sont réalisées à partir de témoignages, de conversations et de récits qui se développent par accumulations et tentent de dessiner un territoire intime et social. Il s'agit de conter des identités complexes où les personnages se dévoilent et se confondent à travers leur environnement.
Patricia Mendoza pour l'exposition Interiores Mexicanos , Casa de Francia, Mexico
« Les photographies d'Aurore Valade reflètent un paradoxe : dans ces portraits, la présence d'objets parfaitement identifiables aux références « réelles » devient une présence irréelle lorsqu'elle s'immobilise dans le silence. Tout est à la portée de la main, et néanmoins inaccessible car traversé par le silence. L'artiste explore, sélectionne, réalise un inventaire de tout ce qui construit et évoque la mémoire des individualités qu'elle met en scène. Cette organisation systématique des choses, ce déploiement d'indices est réalisé en toute liberté, sans suivre de progression linéaire. L'abolition de l'espace-temps modifie la perception, la logique de la représentation. «Toutes les choses ont leur mystère, et la poésie est le mystère de toutes choses.» Federico Garcia Lorca Aurore Valade construit des instants figés qui sont la somme de beaucoup d'autres, espaces multipliés, mondes où l'on se trouvé simultanément des deux côtés du miroir. Cet art de concilier minutie et grandeur évoque aussi bien Proust que Vermeer, une méticulosité à la recherche du véridique. L'oeuvre d'Aurore Valade renvoie à une obsession contemporaine, la création d'archives, et l'on songe au Livre des passages de Walter Benjamin, ou encore l'Atlas Mnemosyne d'Aby Warbourg, autant de constructions d'histoire qui relient de manière aléatoire une série d'éléments collectionnés. L'artiste pénètre dans des espaces privés, et son regard précis dévoile tous ces objets qui laissent des traces, qui peuplent la mémoire de ceux qui s'en entourent, elle les sélectionne, les place, les range ou les dérange avec une obsession taxinomique, construisant des oeuvres où la nature morte devient un condensé de temps, témoin d'histoires, un choeur répliquant tout un parcours de vie. Elle façonne le paysage pour qu'il enveloppe, et explique, la personne qui l'habite. C'est ainsi qu'elle crée ces multiples mondes borgésiens où une réalité est fondée sur une autre et ainsi de suite à l'infini, alephs visuels où l'on peut se perdre, représentation du représenté, failles de temps accumulés, espaces qui se courbent sur eux-mêmes tel un ruban de Möbius. »
Gilles Mora : L'épuisement du subreptice (extraits), in "Identités de femmes / Florence Chevallier et Aurore Valade", Silvana Editoriale, 2009
« Les modèles d'Aurore Valade font partie de son inventaire descriptif, autant que les objets, les images dans l'image, les textes qui, souvent, apparaissent, sur des accessoires, des titres de journaux. Les détails sont ici signifiants, et le traitement numérique que fait subir à ses photographies Aurore Valade est primordial. Elle monte en sandwich plusieurs négatifs, met en avant les parties les plus intéressantes d'un corps, d'un vêtement, d'un visage, déplace un animal, change la couleur d'un objet, d'un accessoire vestimentaire... Rien, dans ces retouches, n'est gratuit. Comme elle l'explique elle-même, «ces artifices soutiennent la qualité informative de mes images». Car la profusion est ici nécessaire : elle « dit » le sujet par accumulation. Directive, Aurore Valade suggère explicitement au spectateur ce qu'il faut penser de ses personnages et, dans cette perspective, elle mélange dans l'image obtenue réel préexistant et réel fabriqué, au profit d'un réalisme synthétique retrouvant celui des entreprises picturales, qui débouche sur un effet « Musée Grévin » clairement revendiqué par la photographe. Tout devient indistinctement lisible, sans l'échelonnement de plans que se donne, souvent, la photographie traditionnelle. Cette stylistique de la netteté, Aurore Valade peut l'avoir empruntée à l'Ecole de Düsseldorf, pour qui l'imagerie documentaire se doit d'être précise et frontale. Mais je crois plutôt que, dans son cas, cette lisibilité absolue est un facteur d'intensité informative renforçant le propos acumulatif évoqué à l'instant.
(...) Voici ce fameux « kitsch », dont on a souvent remarqué la présence dans les photographies d'Aurore Valade. Loin d'être une simple référence artistique, il s'avère fournir un outil critique efficace, qu'elle amplifie volontiers, pour souvent souligner, sans la condamner, une faute culturelle sympathique, inhérente à la condition sociale des modèles qu'elle choisit, et qui relève, après tout, du lexique vernaculaire de notre temps. Cette charge doit, chez elle, s'interpréter plutôt comme le signe d'une compréhension profonde des conditions aliénantes vécues, la plupart du temps inconsciemment , par les modèles qu'elle a choisis. Ce sont ces rêves d'apparence, ces soubresauts de singularisation, la plupart condamnés au stéréotype, qui fascinent Aurore Valade. De petites choses environnementales nous définissent, imposées, souvent , par le vocabulaire standardisé de la culture de masse et de la consommation. Chez d'autres, et Valade saisit admirablement ces minuscules révoltes de l'individualité désireuse, à tout prix, d'une distinction, la prise de conscience de leur aliénation opère des choix surprenants, insuffisants, cependant, pour atteindre à une authenticité réelle. L'identité s'y perd, ne s'y reconnaît plus. »
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