Michel HOUSSIN 

La grisaille des foules contre le camouflage coloré du réel
le conservatoire des visages

Michel Houssin se consacre uniquement au dessin depuis 22 ans. Considérant la couleur comme un camouflage du réel, ses séries de paysages et de visages, trouvent leur fusion dans ses très grands dessins de Foules une sorte de conservatoire paysager de l'humain.

l'acte manqué de l'adieu à la peinture
Michel Houssin dans les années 70 peint des toiles de plus en plus sombres. Dans la lignée du geste radical d'Yves Klein il retravaille certaines en les brûlant. En 1979, année de la naissance de sa fille Rachel, un tableau très sombre brûle totalement dans la cheminée sans qu'il puisse interrompre le processus. Ce sera sa dernière peinture, son adieu aux couleurs.

le deuil du volume
Avec la peinture ce qu'il quitte c'est la toile et son châssis. Son domaine désormais est celui de la feuille. S'il se consacre à des Études comme dans les récents portraits de ses étudiants de la Villa Arson de Nice, il se donne les limites d'un temps mesuré et conserve le format commercial du papier. Ses oeuvres dessinées en revanche se donnent le format nécessaire au déploiement de leur espace imaginaire, de la taille intime de certaines Broderezh, de Nuages ou de paysages aux très grands espaces de papier utile au dévoilement des Foules.

du sfumato de graphite et gomme
Du peintre il conserve les gestes, broyant la poudre de graphite avec les doigts, l'étalant avec les paumes. Il corrige ainsi les traits grisés du crayon. La mine de plomb lui offre des noirs assez doux qu'il modifie à grands tracés de gomme. Ce geste régénère le blanc suave du papier. Dans l'entre-deux règne la pénombre des gris puisque ce qu'il soigne particulièrement ce ne sont pas les extrêmes mais les passages. Il retrouve ainsi dans le dessin des effets connus dans la peinture à la Renaissance, comme des « sfumato ».

la tenue du « non finito » dans l'infini gris
Il utilise l'intégrité du papier jusqu'à ses bords, comme si un hors-champ dessiné pouvait se poursuivre sur le mur. Tenir l'équilibre de l'abouti et du « non finito » c'est parfois pour Michel Houssin considérer certaine partie d'un visage ou d'un paysage comme non nécessaire. Ainsi dans la face humaine, il pense l'oreille comme une sorte de coquillage inesthétique, non-raccord. A la place il ne dessine qu'une sorte de forme plane. Cet équilibre esthétique entre le fragment omis et le continuum dessine se rapproche d'une conception du visible comme corps. Ainsi quand il décrit les rides comme un dessin qui se construit pendant toute une vie et ne trouve son achèvement qu'à la mort il sait entrer dans un processus infini. De façon critique il voit son goût de retracer cette marque humaine, la ride, comme la capacité de redessiner un dessin infini.

récit du dessin au sang
Entre la couleur brûlée et l'univers du gris Michel Houssin a, un moment, tenté une alternative à la gravure ou à la lithographie. Dessinant avec son propre sang il a voulu renouveler la corporalité du lavis. Aussi sans qu'il s'agisse d'une version dessinée de morceaux de clones thérapeutiques les bouts du visage sur lesquels il travaille à partir de photographies prises en lumière rasante se racontent sous l'étiquette des Masques et loups, comme référence à un théâtre grisé du vivant. De cette période il avoue que l'expérience était plus mentalement excitante qu'esthétiquement réussie. Il en conclut qu'il ne veut pas en rester à des dessins qu'il ne serait pas obligé de réaliser mais qu'il suffirait de raconter. Dans la même perspective il se méfie des titres trop évocateurs qui influencent la lecture de la série.

tenue de camouflage du réel
Son attitude fondamentale vis-à-vis du monde se trouve définie dans un besoin constant de restitution qui dépasse les apparences. Face à un spectacle donné, humain ou paysage, il ressent cette envie de s'approprier ce qu'il sent comme du réel en fuite. Symboliques de cette fugacité, les Nuages qu'il poursuit dans cette nature où il ne s'ennuie jamais et qui se modifient avant qu'il ne puisse les saisir. Face à cette difficulté le noir et blanc apparaît comme conservateur d'une qualité d'émotion qui dégage le réel de ses impuretés narratives de son poids d'anecdote. Le passage de l'ombre à la lumière, l'éclairage des volumes du corps humain il en refuse le chromo coloré comme si la couleur n'était qu'une tenue de camouflage qu'il fallait dénoncer. Pour nous en convaincre il évoque le passage de l'état originaire de la statuaire grecque~ toujours polychrome, à cette blancheur de marbre que le temps a configurée.

sur le versant noir du motif, à blanc face au modèle
S'il aime à se rendre sur les sites naturels en Camargue, en Haute Provence ou en Bretagne c'est pour poursuivre sa constante bagarre avec les gris. C'est ainsi qu'il ne passe pas par le dessin comme d'autres contemporains, il y reste pour achever ce combat avec un materiau unique, dont la mise en chantier est menée avec peu d'outils sur les versants sombres du réel.
Confronté au corps du modèle, à sa singularité, il aime avant tout le refaire d'après nature. Mais comme pour les nuages il se donne parfois l'outil régulateur de la photographie, elle aussi en noir et blanc. Cette étape lui permet de garder une sorte de distance critique. un fonctionnement « à blanc ».

l'artiste se paye au noir sa propre tête
Dans son très grand respect des autres il pousse ses expériences les plus novatrices sur son propre visage. Il le photographie de très près, avec un éclairage oblique pour en accentuer les rides. Il le met en pièces dans des agglomérats de visages parcellaires. Il en répète avec des variantes infimes le front studieux. Il se permet tout avec son propre visage et cela se confirme quand il retrouve la seule sculpture en taille directe réalisée vers ses dix ans. Dans ce bloc de granit de moins de 20 cm réside déjà un bout de visage, trace d'un autoportrait jamais interrompu depuis.

le conservatoire des visages
Reprenant les leçons d'Emnianuel Levinas. il affirme sans cesse par sa pratique qu'il est urgent de dessiner des visages, de donner d'autres versions de l'homme maintenu dans l'intégrité de sa personne. Son travail lutte pour la pérennité des regards pour le placement de ces bas de visage. écrin des bouches, lieux de l'échange et du baiser. Il fait gagner du temps aux visages en inscrivant ses dessins dans la durée. mêlant souvent hommes. femmes et enfants de générations diverses. De ses tissus de traits naissent des constellations de visages. une parentèle humaine.

grisailles de foules entre masques et loups
Quand un artiste développe son oeuvre sur une trentaine d'années. dont une vingtaine qu'il consacre à entretenir une technique au service d'un projet, ce dernier se cristallise souvent dans une série qui apparaît emblématique. Au croisement des paysages réunis dans son musée portatif, dans son arboretum personnel, des corps répertoriés comme nus et vivants et du Conservatoire des visages se dressent les monuments des Foules. Si l'on devait leur trouver une hérédité dans l'histoire de l'art le genre des « grisailles » leur donnerait sens. Il s'agissait d'un dessin posé sur la toile préparée en valeurs de gris, de roux ou de sépia. Poussin, Ingres ou Delacroix ont réalisé de telles esquisses qui permettent en une sorte de camaïeu de gris de simplifier les différents plans en mettant en avant les valeurs.
Pour les foules Michel Houssin vole des visages dans les rues, il les arrête en images photographiques prises dans le flot des passants avant de faire retour à l'atelier. Il lui faut environ un an pour composer une Foule sur de longs rouleaux d'un mètre et demi de large.
La partie supérieure s'organise comme un paysage minéral dont les unités pourraient être des têtes, mais si lointaines, comme éloignées dans l'espace et dans le temps. Au centre du très haut dessin tendu jusqu'à ses bords de traits humains les têtes s'individualisent et s'agrègent en corps de la foule. Ce panoramique vertical se poursuit jusqu'au bord inférieur où les visages individualisés de tous leurs traits personnels se pressent. Certaines faces sont coupées par le bas du papier, mais comme les masques ils gardent le regard vivant et comme les loups ils conservent tout leur mystère à la personne. Ces grisailles de foule se dressent dans leur monumentalité plastique contre la perte colorée d'images de l'humain toujours menacé et par l'art encore préservé.

Texte issu d'une interview de Michel Houssin par Christian Gattinoni, in Art et Thérapie n°74-75 (Noir et Blanc Tome 1), octobre 2001


The gray of the crowd versus the colored camouflage of the real
the conservatory of faces
For the last 22 years, Michel Houssin has dedicated himself exclusively to drawing. Considering color as a camouflage for reality, his series of
landscapes and faces converge in his large-scale drawings of crowds to create something like a landscape conservatory of the human.
The missed chance to bid farewell to painting
In the 70's Michel Houssin paints increasingly dark canvases. On the heels of Yves Klein's radical gesture, he reworks some of them with fire. In 1979, the year marking the birth of his daughter Rachel, a very dark painting burns entirely in his chimney without him being able to interrupt the process.
It will be his last painting, his farewell to colors

Mourning the volume
Having abandoned painting he also leaves behind the canvas and stretcher frame. His domain is by now the sheet of paper. Although he dedicates himself to studies, as in the recent portraits of his students at the Villa Arson in Nice, he allows himself a limited amount of time and respects the paper standard commercial format. On the contrary his drawn works allow themselves the format required for the deployment of their imaginary space, from the intimate dimensions of certain Broderezh, Nuages or airy landscapes to the large spaces of paper allowing the unveiling of the Crowds.

From the sfumato using graphite and the eraser
His gestures remain those of a painter, grinding graphite powder with his
fingers and spreading it out with his palms. This is how he corrects the
pencil's grayish marks. Lead point also provides him with velvety black tones that he can change with broad eraser strokes. This gesture regenerates the silky white of the paper. The penumbra of grays is to be found in this in-between zone, for what he pays special attention to are not the extremes but the transitions. He is thus able to attain a drawing composed of effects known to painting during the renaissance, such as the "sfumato".

the appearance of the « non finito » within the infinite gray
He uses the entire sheet of paper right up to the edges, as if a drawn space could continue beyond the frame onto the wall itself. For Michel Houssin, maintaining the balance between the finished work and the « non finito » means deeming a certain part of the face or a landscape as unnecessary. For example, in the human face, he considers the ear as a kind of unesthetic seashell, a non-connection. In its place he draws only something like a flat plane. This esthetic balance between the omitted fragment and the drawn continuum comes close to a conception of the visible as a body. Thus, when he describes wrinkles as a drawing that executes itself over a lifetime to materialize at the moment of death he knows how to enter into an infinite process. In a critical manner, he sees his inclination to retrace this human mark, the wrinkle, as the ability to redraw an infinite drawing.

The tale of the blood drawing
Between burnt color and the world of greys, Michel Houssin attempted at one point an alternative to engraving and lithography. Using his own blood to draw represented a way of renewing the corporeality of the wash technique. Also, without being a drawn version of therapeutic clone fragments, the face fragments he works on, using photographs taken in raking light, tell their tale under the moniker of Masks and Wolves, in reference to a grayed theater of the living. He admits that the experience from this period was more exciting mentally than it was esthetically successful. The conclusion he draws is that he doesn't wish to work on drawings whose telling is more important than their presence. Similarly, he has reservations about overly suggestive titles that influence the reading of a series.

The real's camouflage suit
His fundamental attitude regarding the world is defined by a constant need to restitute what goes beyond appearances. Confronted with a given spectacle, he feels the urge to appropriate what he perceives as a fleeting real. Symbolizing this fleeting quality are the clouds which change before he can capture them and therefore never bore him. Faced with such a difficult task, black and white appears as the best means to preserve a quality of emotion that frees the real from its narrative impurities and its anecdotal weight.
Focusing on the transition from shadow to light and the lighting of the human body's volumes, he refuses color as if it were but a camouflage suit to be denounced. To convince us he cites the transition Greek statuary underwent,from its polychromed beginnings to the marble whiteness restored upon it by time.

On the dark side of the motif
He enjoys visiting sites in Camargue, Haute Provence or Brittany to pursue this unending battle with grayness. Drawing holds a different meaning for him than it does for his contemporaries. He sticks to it in order to carry out the battle using one sole material that he activates using menial tools on the dark side of the real.

Confronted with the model's body and its uniqueness, he prefers to draw from life. As for the clouds however, he sometimes allows himself the use of photography -black and white of course- in order to maintain a sort of critical distance.

The artist pays his own head under the table
Out of respect for others he uses his own face for his most innovating
experiments. He photographs it from close-up, using oblique lighting to
accentuate the wrinkles. He puts it to pieces using agglomerates of parceled faces. He repeats the studious forehead with infinite variations. He stops at nothing when using his own face and this can be confirmed by the only chiseled sculpture he ever realized, at the tender age of ten. In this block of granite measuring less than 20 centimeters, there already resides a facial fragment, the trace of a self-portrait that he has since then pursued without interruption.

The conservatory of faces
Referring to the teachings of Emannuel Levinas. he constantly affirms
through his practice that there is an urgency to draw faces, to provide other versions of man maintained in the integrity of his person. His work fights to ensure the longevity of these gazes and a place for these lower-face fragments. The mouth's niche, where exchange and the kiss nestle.

Sometimes, he allows the faces to win by inscribing his drawings in the
duration of time, mixing together men, women, and children. From these fabrics of features arise constellations of faces. A family of man.

Gray crowds between masks and wolves
When an artist develops his work over thirty years, dedicating 20 to the
maintainance of a technique to complete a specific project, the latter often crystallizes into an emblematic series. From all the landscapes brought together in his personal museum, his personal arboretum, bodies filed as nude and living and the conservatory of faces, emerge the monuments to crowds.

If a one were to find them a heritage in art history that could give them
meaning, it would certainly be the "grisaille" genre. The drawing which used gray, rust or sepia tones was laid out on the canvas. Poussin, Ingres or Delacroix realized such sketches which, in a kind of grey cameo, allow for the simplication of the picture's various planes by emphasizing the values.

For the crowds, Michel Houssin steals faces in the street. He freezes them through photographic images taken from the flow of passers-by before returning to the studio. It takes him about one year to compose a crowd on long sheets measuring a meter and a half in width.

The upper part is organized like a mineral landscape whose units could be heads, but so far off, as if distant in space and time. In the center of the very tall drawing with human features stretching up to its edges the heads begin to emerge and congregate as clouds.

This vertical panorama runs down to the bottom edge where faces, replete with the individuality of their personal features, scurry. Some faces are cut off by the bottom edge of the paper, but like the masks, theirs is a living gaze, and like wolves they retain all their mystery. These "grisailles" of crowds rise in all their plastic monumentality against an oblivion tinged with images of humans forever threatened and saved by art once more.


Text taken from an interview with Michel Houssin by Christian Gattinoni, in Art et Thérapie n.74-75 (Noir et Blanc Tome 1), October 2001







Techniques et matériaux


dessin / drawing
crayon / pencil
gomme / eraser
Mots Index


visages / faces
foule / crowds
nuages / clouds
arbre / tree
noir gris blanc / black grey white
champs de références


les marchés en plein air / outdoor markets
le déplacement (à pied ou en train) / moving about (on foot or by train)
la photographie noir et blanc / black and white photography
la lecture / reading
le violoncelle / the cello
la cuisine / cooking
la maçonnerie / masonry
repères artistiques


Giovanni Bellini
Rembrandt
Diego Rodriguez de Silva y Velazquez
Paul Cézanne
Georges Seurat
Eugène Boudin
Alberto Giacometti (ses dessins) / (his drawings)