Jean-Claude RUGGIRELLO 

Entretien avec Alain Berland

Vos nouvelles sculptures faites avec des chiens de résine et du fil d'acier sont très surprenantes. Elles créent un choc visuel inattendu. Cependant, après réflexions, elles m'ont semblé être la parfaite synthèse de tes travaux antérieurs.

Jean-Claude Ruggirello : « Ces sculptures sont des inclusions. Ce qui m'importe depuis toujours et que j'ai recherché à mettre en place dans ces pièces, c'est l'incompatibilité des matériaux. Il y a quelque chose d'incompatible entre les sculptures de chiens en résine et les fils d'acier qui les relient. Cette incompatibilité n'est pas produite par une juxtaposition d'images ou de matériaux antagoniques, elle n'a pas pour but de créer un choc visuel à la manière des surréalistes. Non, c'est autre chose, car l'incompatibilité que je souhaite ne doit pas être évidente. Ainsi avec la sculpture que j'appelle Bruit, une sorte de boule de deux mètres, je cherche à dissoudre les chiens dans le fil d'acier, comme un sachet de thé qui se diffuse dans l'eau chaude, afin que ma sculpture devienne une forme homogène.
Il y a quelques années, je m'étais déjà intéressé à ces animaux, j'avais photographié une série de chiens écrasés sur les routes. De plus, je compose depuis un moment des sculptures arrachées, ce sont des bustes ou, comme dans cette exposition, des carrés de porcelaine dont j'ai prélevé une partie de la matière en les mordant. Pour en revenir plus directement aux chiens, je les utilise car ils sont le maillon intermédiaire entre l'être humain et l'animal sauvage en tant qu'animaux domestiqués et pour moi le fait de trouer les chiens à la perceuse est un geste qui est de la même nature que celui de mordre dans une tête.
J'ai synthétisé toutes ces recherches en utilisant des formes qui existaient déjà dans le commerce, des chiens à l'échelle un que j'ai percé de part en part pour obtenir des passages et faire une pelote. Plus la pelote est dense et plus cela devient monolithique, une sorte de bloc.

Qu'est-ce qui dans ce travail résonne avec vos préoccupations de sculpteur ?

« Ici, je me suis préoccupé de la notion de poids et de regard. La pièce pèse deux cents kilos mais elle semble légère grâce au fil de fer. Quelque chose qui aurait la légèreté de la pelote, d'une boule de poussière mais qui est en fait un noeud indémêlable où sont prises des formes tout en créant son propre socle. Je fais aussi des vidéos, et pour l'image vidéo, lorsqu'il y a des points visibles et que l'image se met à vibrer, on utilise un terme technique, on dit qu'il y a du bruit dans l'image. Cette pièce s'appelle Bruit car le fil d'acier donne un aspect graphique qui fait vibrer les images des sculptures de chiens qui sont contenues dans l'oeuvre.

Quelle est la part de spontanéité dans cette oeuvre ?

« Il y a énormément de dessins et de travaux préparatoires, je fais toujours beaucoup de recherches avant de me lancer dans un projet. Quand j'ai commencé à réfléchir à cette pièce, je faisais des dessins au crayon, cela ressemblait à des Cy Twombly, c'était avant tout un geste.
Je suis toujours à la recherche d'une forme de relation entre le travail que je fais en sculpture et en vidéo. Tout cela est extrêmement lié, pour cette exposition, l'espace qui sépare mes préoccupations de vidéaste et de sculpteur est fin comme une feuille de papier.

Vous composez beaucoup avec l'horizontalité...

« J'aime cette anecdote qui relate que Carl Andre dans son canoë, avec une ligne de flottaison très basse, voit la ligne d'horizon et revendique cette ligne comme le point essentiel de sa sculpture. Dans mes vidéos, l'horizontalité est une contrainte qui ne vient pas de la nécessité du cadre de l'image. Elle vient de Robert Smithson, de Carl Andre, d'artistes référents. C'est pourquoi je montre en plus d'une sélection de couchers de soleil qui sont prélevés sur le net et alignés sur la même ligne d'horizon à mi écran, un diptyque vidéo que j'ai réalisé et qui se compose d'une voiture à l'allure sportive et d'un érable rouge déraciné. Les deux volumes flottent à l'horizontal dans l'espace, ils sont suspendus, chacun par une corde et tournent lentement sur eux-mêmes mais ne se rencontrent jamais, c'est au regardeur de créer l'éventuel accident.

Vous maltraitez beaucoup les matériaux dans cette exposition, vous les écrasez, les mordez, les percez. Vous arrachez les arbres, suspendez une voiture...

« Je pense que la violence est inhérente à la sculpture, même si cela n'est pas apparent. Pense par exemple à l'oeuvre de Robert Smithson, Spiral Jetty, cela se glisse dans le paysage de manière extrêmement douce mais c'est un geste d'une violence inouïe. De même pour Asphalt Rundown où il renverse du goudron du haut d'une ancienne carrière à Rome. Je ne vois pas, chez les sculpteurs qui m'intéressent, de gestes qui ne soient pas violents, il s'agit toujours d'une intervention sur le matériau. Pour l'exposition, j'ai réalisé des gestes très agressifs avec la pièce que j'ai nommée Horizon. J'ai arraché un arbre et je l'ai percé pour le faire reposer sur du métal. D'une certaine manière je l'ai humanisé, il est presque comme à l'hôpital avec des prothèses qui forment des angles droits et qui le maintiennent. Il y a de nombreuses années, j'ai lu le roman Crash de JG Ballard et cette manière d'analyser, à partir de l'accident automobile volontaire, le prolongement du corps dans une voiture qui elle-même s'introduit violemment dans le paysage m'a longtemps obsédé. »









La plupart des installations vidéo de Jean-Claude Ruggirello s'attachent à démonter, à reconstruire, à moduler les rapports entre le temps et l'image. Décalages rythmiques progressifs des images entre elles -lorsque le dispositif fait appel à plusieurs moniteurs-, décalages entre le temps de déroulement du son et celui des images, décalages ou distorsions entre la nature de l'image et la nature du son. Tantôt l'enchaînement de ses images est soumis à l'effraction aléatoire d'un événement sonore ou d'une autre incidence visuelle hétérogène, tantôt c'est l'occurence logique et prévisible qui surgit dans le cours d'une séquence pour y mettre terme aussitôt qu'elle lui donne sens.
Le plus souvent, le hors champ et le hors temps jouent un rôle décisif dans ce processus.

Hubert Besacier, extrait du texte paru dans le catalogue «.IN. OUT.», Les Ateliers d'Artistes,Marseille, 1998



Most of Jean-Claude Ruggirello's video installations attempt to deconstruct, reconstruct, and modulate the relations between time and image. Images rythmically moving out of sync with one another -when the mechanism employs several monitors- the sound out of sync with the images, discrepancies or distortions between the nature of the image and the nature of the sound.
No sooner is a succession of images submitted to the haphazard hacking of a sound event or another visually heterogeneous incident, that the logical and predictable occurence arises during a sequence to close it and give it its meaning. Most often, what happens outside the picture-frame and the time-frame play a decisive role in this process.

Hubert Besacier, excerpt from a text from the catalog «.IN.OUT.», Les Ateliers d'Artistes,Marseille, 1998




The following words arefound under the leter '"i" in a French pocket dictionary : interrupteur, interruption and intervalle. In English they are : switch, break and interval. The three words assume a binary structure which forms the basis of practically our entire modern world : machines, electricity, photography, cinema. This structure contains and arranges a maximum of data : male/female, light/dark, left/right good/bad, black/white. Ruggirello uses this simple "in and out" principle explicitly in his videos, installations, drawings and sculptures. He combines forinstance routine actions and situations, objects or animals with coloured surfaces. The filmed scenes get cut as a result of which the intervals take on more and more
meaning. Or rather, the sometimes abrupt interruptions create a kind of noise and the original duality becomes detached. Meaning and meaninglessness are continually "in flux" and the exception or the transition (re)modulates the image.

Phillip van den Bossche


Techniques et matériaux


vidéo
film
dessin / drawing
installation