João VILHENA 

Texte de Gallien Déjean, 2011 - Salon Montrouge

- « Quel est le comble du trompe-l'oeil ? »
- « Je ne sais pas. »
« C'est lorsqu'il s'obstine à représenter un objet dépourvu d'épaisseur. »

Il y a un certain paradoxe dans la démarche de João Vilhena, qui pourrait presque passer pour une devinette absurde. Un aspect oxymorique confirmé par le côté oulipien des jeux de mots que ses titres recèlent. Pourquoi s'acharner à créer l'illusion de la profondeur pour des représentations d'objets exclusivement plats ? Cartes postales, plans, Post-It, puzzles, feuilles de classeur, ordonnances, tickets... Les modèles utilisés par le dessinateur sont insolites. Il puise ses sujets dans un registre discret, celui des supports d'images ou de signes. Objets singuliers, dont la platitude est ontologique puisqu'ils doivent s'effacer, s'escamoter, au profit de leur contenu.

Le trompe-l'oeil n'est pas une technique. Il faudrait plutôt le définir comme une exacerbation hystérique des règles du système perspectif de la figuration classique. Il résulte d'une obsession spectaculaire paradoxale : la représentation aspire à un hyperréalisme sensationnel qui l'entraîne simultanément vers l'invisibilité. Un trompe-l'oeil réussi est celui que le spectateur distrait ne voit pas. Pourtant, l'oeuvre que João Vilhena entreprend depuis une dizaine d'années reformule la règle du jeu d'une manière différente. En se cantonnant dans une logique « inframince », comme il le dit lui-même, l'artiste esquive la tentation spectaculaire. Grâce à l'utilisation d'un format intimiste et l'acceptation des nuances de son geste, des accidents de parcours, des tâches (il lui arrive parfois, même, de dessiner les yeux fermés), la pratique de Vilhena ne se camoufle pas. Le spectateur sait qu'il regarde un dessin, et rien d'autre. L'ambigüité, dès lors, se situe ailleurs.

Les oeuvres de Vilhena sont composées de couches successives qui forment un feuilletage équivoque : 1. l'image représentée (d'une photographie, d'un dessin et/ou d'un signe imprimé) ; 2. le trompe-l'oeil du support de cette image (une carte postale, par exemple) ; 3. les marges vides qui l'entourent ; 4. le support réel du dessin (une feuille contrecollée sur du carton). Ces strates rentrent en collision les unes avec les autres et perdent le spectateur dans un dédale de représentations primaires et secondaires, que l'artiste accentue par la multiplication des techniques employées (frottage, empreintes, etc.). La marge qui entoure la carte postale fait-elle partie du trompe-l'oeil ? La tâche qui s'y trouve est-elle réelle ou n'est-elle que l'image d'une tâche ? Le caméléon peint au Tipp-Ex (en léger relief) est-il un « vrai » dessin qui recouvre la fausse feuille de classeur ou fait-il partie du simulacre (Homochrome, 1999) ? C'est une question de point de vue. Bien évidemment, les dessins de Vilhena résistent à leur reproduction mécanique qui causerait l'aplatissement et l'inéluctable disparition de ces confusions. Avec des outils bien peu orthodoxes – l'illusionnisme et la figuration –, Vilhena accomplit l'ambition du modernisme : trouver la spécificité de son art et l'empêcher d'être reproduite.




texte de Joseph Mouton, extrait de Jouant du Signifiant. Prestissimo, plaquette de l'exposition, Galerie Sainte Réparate, Nice 2008.
«Y a-t-il un signifiant qui ne soit pas de langage? Telle était la question que l'on pouvait se poser dans le lacanisme postérieur à la mort du maître : naguère. On entendait par là chercher du côté de la peinture (exemple cardinal (parce qu'ut pictura poesis)) quelque chose comme un «signifiant visuel». Je me réjouis de devoir y revenir ici par la faute de João Vilhena, s'il est vrai que cet artiste se réclame d'une sorte de «lacanisme artistique», et qu'il entretient déjà avec le Psychanalyste la connivence des jeux de mots, fussent-ils eux-mêmes transposés dans l'ordre plasticien. (...) Pour aller vite, je m'orienterais moi-même de la façon suivante : il n'y a pas de «signifiant plastique» à proprement parler, mais il peut se rencontrer des effets de signifiant dans les arts visuels. Exemple chez Vilhena: le minium est un signifiant de la peinture pour le sujet João, il se distingue aussi de tout autre couleur ou matière, mais ses propriétés uniques peuvent le rapporter à Saturne (via le plomb qu'il contient), soit lui redonner de la métaphore, des lointains. Un signifiant est l'entame d'une chaîne de signifiants. Chez Vilhena, le trompe-l'oeil, l'aggloméré en lamelles de bois, le pantographe, la mine de plomb, Marcel Duchamp, etc. prennent le statut de signifiants; de sorte qu'à leur suite tous les éléments qui leur seront connectés dériveront vers le signifiant.»




Texte de Corine Rondeau, extrait de Irremplaçable peinture. Pour un art sans privilège, Catalogue d'exposition, Centre d'Art Contemporain, Istres, 2007
«João Vilhena offre une vision multiple de l'image entre objets et représentations. L'usage récurrent de ce que l'on pourrait appeler un diptyque met en abyme l'idée de reproduction entre le dessin, la peinture, l'objet et sa manipulation. L'idée du double est ici à prendre comme une opération de la représentation entre la pratique et la mise en forme. Cette opération peut aller jusqu'à se replier sur elle-même non pas pour s'annuler mais pour ouvrir un espace d'entre-deux où se loge l'image réelle dont la particularité est d'être absente. Cet entre-deux est celui de la charnière à entendre au sens propre comme au sens figuré. Le diptyque est aussi l'articulation de l'objet et de l'image se masquant l'un l'autre, se dévoilant l'un à partir de l'autre. Dans le cadre de la représentation actuelle, nous ne pouvons envisager la dimension historique du diptyque mais celle de son actualisation, c'est-à-dire comment en définitive le travail du double, voire de la copie, est celui de l'écart entre deux images, entre deux dispositifs, entre deux actions ayant chacun un espace et un temps propre. C'est alors une mise en scène d'effets visuels et tactiles afin de produire l'actualisation de toutes les dimensions imaginables des formes artistiques. Par dimensions imaginables, il faut entendre la part agissante du regard qui se libère de la matérialité après en avoir fait l'épreuve. C'est ainsi que l'on pouvait en un temps lointain définir le trompe-l'oeil à savoir la forme artistique qui mettait à l'épreuve le monde par le regard. La tromperie consiste en effet à séparer par le regard ce qui est du monde, c'est-à-dire ce qui n'est pas de l'art, et ce qui est de la représentation et qui est la mise en abyme de l'objet dans sa reproduction. Mais pour faire l'épreuve de la séparation, il fallait une distance qui puisse révéler le subterfuge. Ici rien de tel. Tout est à la même distance indiquant le trouble entre ce qui serait de l'art et ce qui n'en serait pas, de la même manière que toute copie devient l'original. En effet, si l'image est traversée par toutes les autres, aucune origine n'est possible à moins de considérer la copie comme l'origine même.



Texte de Catherine Macchi de Vilhena, Ardoises et fausses notes, 2003.
Ainsi le trompe-l'oeil n'est qu'un piège qui nous renvoie à notre regard, à la manière dont nous regardons - et occupons - l'espace. Si une «vraie» maison s'élevait là où il n'y a qu'un mur, si des vrais jardins à la française s'étalaient au-delà de ces grandes baies vitrées, si de vraies fenêtres habillaient ces façades, peut-être ne prendrions-nous même pas la peine de les regarder. Ce qui arrête notre regard, un court instant, c'est l'irruption de la fiction dans un univers auquel, à cause de ce que l'on pourrait appeler notre cécité quotidienne, nous ne savons plus prêter attention. En ce sens, les trompe-l'oeil fonctionnent un peu comme les mots croisés : ils posent une question dont la réponse est tout entière contenue dans l'énoncé qui la formule (par exemple : «vide les baignoires et emplit les lavabos» pour «entracte»), mais qui demeure énigmatique tant que l'on n'a pas opéré le minuscule glissement de sens qui la résout dans son évidence imparable.
Georges Pérec, "Ceci n'est pas un mur...", préface du livre Le trompe-l'oeil de Cuchi White.


 D'une certaine manière, on pourrait dire, que les dessins en trompe-l'oeil de João de Vilhena sont un peu à la papeterie ce que la boîte à outils de Mme Moreau est au bricolage, autrement dit une folle entreprise de duplication du monde. Il y a, en effet, dans ce soin monomaniaque à reproduire en trompe-l'oeil toutes sortes de feuilles de papier, quelque chose de la description clinique et exhaustive, jusqu'au rire et à l'ennui, que Pérec fait de ce fameux "COFFRET OUTILLAGE" dans La Vie mode d'emploi. À "Jeu de 12 clés à pipe 12 pans chrome vanadium, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 17, 19, 21, 23 1." pourrait répondre un inventaire du type : feuille de classeur, ordonnance médicale, addition de restaurant, feuille de cahier à petits carreaux, post-it, mémo, etc.
Si les supports qui sont convoqués dans ces dessins tentent bien d'épuiser les possibilités de reproduction de ce sujet indéfini que l'on appelle le papier, jusqu'à se constituer en une véritable collection d'images de feuillets provenant de tous les horizons, c'est pour venir réfléchir sur cette opération de l'esprit qu'est le dess(e)in. Ici représenter revient à reproduire - la notion de reproduction étant à entendre y compris dans sa connotation sexuelle. Reproduire donc les conditions mêmes de la pratique du dessin avec ses propres supports et les gestes qui président à son élaboration. En général, les procédures mises en oeuvre par João de Vilhena dans cette série de dessins sont au nombre de deux et on pourrait dire qu'elles sont antinomiques : on trouve, d'une part, le trompe-l'oeil et, de l'autre, l'empreinte. Mais il ne s'agit pas là d'un protocole restrictif, l'artiste articule librement le trompe-l'oeil avec d'autres modalités de représentation. Il s'agit donc pour lui de dégager du sens à travers le faire, en faisant jouer les images représentées avec les noms qui les désignent et les éléments internes à la pratique, tout en intégrant les aléas techniques, le travail du langage et celui de l'inconscient qui se font jour au fur et à mesure de l'élaboration du dessin.
João de Vilhena emploie donc, le plus sérieusement du monde, toute une série de "trucs" techniques qui relèvent du savoir-faire dans cet exercice un rien démodé qu'est le trompe-l'oeil. A priori, rien que de très légitime, même si le parti pris du trompe-l'oeil pourrait paraître suspect en une époque de numérisation de l'image comme la nôtre. Mais l'art contemporain, on le sait, nourrit aussi des postures insolites. Toutefois, à y regarder de près, cet exercice de dextérité affiche une insolente incongruité qui tient au fait que l'objet de la représentation n'ambitionne nullement de produire une illusion de volume. Ce déploiement de moyens apparaît alors dans toute son absurdité au regard de la représentation de cette chose désespérément plate qu'est une simple feuille de papier. Feuille qui, soit dit en passant, n'affiche pas le moindre effet maniériste de froissement ni la moindre trace élégante de calligraphie, comme nous aurions pu être en droit de l'attendre, nous regardeurs attentifs de la tradition picturale illusionniste. En gros, nous avons affaire à un trompe-l'oeil à plat, une sorte de mimésis infra-mince dont la planéité et les grilles ne sont pas sans lien avec une autre tradition, celle plus moderne de l'abstraction.
Mais l'affaire ne s'arrête pas là, ces trompe-l'oeil impeccablement tracés ne sont plus tout à fait vierges. Sur ces copies de feuilles de cahiers d'écolier et autres calepins se dessine en creux une empreinte révélée par un frottis au graphite, comme si la feuille précédente avait laissé là un précieux indice. Ce travail minutieux de copiste ne constituait donc qu'un fond servant à révéler le motif rudimentaire et hésitant de l'empreinte qui vient aussi bien marquer physiquement le support véritable que la fausse feuille représentée. Nous sommes donc entre le vrai et le faux dans un travail qui n'a de cesse de se faire et de se défaire. Ici le fond très maîtrisé, presque agaçant dans sa rétention, est systématiquement entaché par une forme imparfaite, quasi régressive, révélée par une sorte de gribouillage.
On le voit, l'empreinte, aussi rudimentaire soit-elle, sert à faire fonctionner le trompe-l'oeil, en lui donnant, par l'intermédiaire de la trace qu'elle laisse sur le papier, une sorte de vraisemblance. On pourrait dire que l'empreinte donne corps au trompe-l'oeil et, qu'en contrepartie, ce dernier rend lisible l'empreinte. On aurait donc, d'un côté, le trompe-l'oeil, dispositif issu de toute une tradition picturale qui vise à piéger le regard et, de l'autre, l'empreinte qui fonctionne comme une marque tangible du réel. Deux systèmes opposés donc, celui de l'image, issue d'une opération d'aplatissement du réel, image qui ressemble et confond et celui de l'empreinte qui imprime et rend présent. Deux processus indissociables qui semblent tendre à se toucher dans un mouvement réciproque, l'un s'essayant à l'épaisseur malgré son inconsistance, l'autre s'essayant au visible malgré sa transparence.
Les premiers dessins de cette série naissent de la superposition de représentations de feuilles de classeur et d'empreintes de tickets de jeux de hasard à gratter : morpion, solitaire, black jack, millionnaire et autres jeux compulsifs propres à mettre en acte les penchants "célibataires" et "onaniques" de leurs utilisateurs. L'image cachée dans les tickets de jeu est, en effet, le moteur d'un désir du dévoilement qui n'est pas sans faire écho aux mécanismes de désir qui sous-tendent la représentation. Dans ces dessins, João de Vilhena trouve également une connivence entre le geste du grattage induit par le bulletin de jeu et le crayonnage propre au dessin qui sert à suggérer la matière. D'ailleurs, ne dit-on pas "gratter" pour désigner le travail des dessinateurs dans les cabinets d'architecture ?
Si le trompe-l'oeil est un processus qui requiert l'application froide d'une technique très objective fondée sur l'observation rigoureuse du réel, l'empreinte est au contraire un processus hasardeux, une sorte de dessin à l'aveugle ponctué d'impondérables et dont l'artiste ne connaît pas entièrement à l'avance le résultat. Bien qu'elle puisse faire écho à l'identité (empreinte digitale), l'empreinte révélée par le frottis est ici assez impersonnelle, elle est une sorte de dessin en creux qui marque un "écart", pour employer un terme duchampien, dans la représentation. L'intérêt pour João de Vilhena est la part de désubjectivation de son propre trait qu'engendrent ces deux procédés qui, en fin de compte, lui permettent de prendre de la distance vis à vis du dessin et de laisser s'installer des jeux poétiques autour de la représentation, jeux qui placent le regardeur au centre de l'oeuvre. Pour reprendre le titre de l'un de ses dessins, on pourrait dire que "Celui qui voit doit toucher". Le trompe-l'oeil, contrairement à l'hyperréalisme, est conçu du point de vue de celui qui le regarde et c'est bien cette dimension d'altérité qui intéresse l'artiste. Le trompe-l'oeil et l'empreinte, telle qu'elle est formulée ici, constituent donc un dispositif étranger à toute "maniera" qui permet de mettre en marche du côté de l'artiste les jeux symboliques propres au travail de la représentation, jeux qui resurgissent du côté du regardeur au moment de la confrontation avec l'oeuvre.
La superposition entre le processus du trompe-l'oeil et celui de l'empreinte, qui trouve, bien sûr, ses sources dans les télescopages d'images merveilleusement kitsch des "Transparences" de Picabia, fonctionne donc comme une contrainte. Il s'agit de retrouver à travers cette règle du jeu de nouvelles possibilités sémantiques pour le dessin en tant que moteur symbolique. Le trompe-l'oeil est une vieille ruse, c'est un effet téléphoné qui convoque un regard qui n'attend que de se faire piéger. Il est selon les termes de João de Vilhena "comme un emballage vide", sorte de cadeau attendu mais qui ne tiendrait pas ses promesses. Dans son texte sur le trompe-l'oeil, Pérec souligne les mécanismes avec lesquels l'oeil amorce et désamorce le leurre tendu par le peintre : "Il est bien évident que cet éberluement ne fonctionne, ou plutôt ne persiste, que tant que nous voulons bien en être dupes : nous pouvons jouer avec ces illusions d'espace comme avec ces illusions d'optique où tels carrelages hexagonaux deviennent sous notre regard des cubes faussement en relief dont l'orientation varie selon la manière dont on veut bien les voir, et qu'un simple clignement de paupières suffit à faire basculer. 2" L'empreinte révélée par le frottis est, quant à elle, une vieille astuce de détective privé. Énigmatique et cryptée, elle amorce déjà une narration. Mais il serait vain d'en attendre un dénouement.
Il y a, il est vrai, dans cette rencontre inattendue entre le trompe-l'oeil et l'empreinte une sorte d'absence aliénante. Tout ici parle du manque, de l'impossible présence de l'objet reproduit. La feuille en trompe-l'oeil n'est pas véritablement là, il ne reste que son image ; la matrice originale ayant servi à produire l'empreinte a disparu, il ne reste que sa trace en creux sur ce qui n'est qu'une copie et les notes qui devraient parsemer les post-it, les additions ou les feuilles de classeur n'ont jamais été formulées. Fantomatiques, les dessins et les écritures en creux semblent flotter sur le faux papier comme autant de formules improbables. Ce sont eux pourtant qui opèrent les jeux sémantiques propres à ces dessins. Deux trombones enlacés l'un l'autre évoquent le lien, mais leur présence en négatif trahit un air de simulacre, ce ne sont que des fausses notes. Une fleur en forme de pensée posée sur un post-it évoque le travail de la mémoire et de l'esprit. L'icône d'un dossier informatique nommé "alias" semble redoubler la copie sur laquelle il est posé. Un caméléon dessiné au correcteur typographique essayant de passer à travers les mailles d'une grille évoque l'homochromie, la mimésis et le repentir. Présences silencieuses, ces empreintes tissent des liens avec les titres de ces dessins qui participent eux aussi, à coup de contrepèteries et autres jeux de langage et mots d'esprit, au travestissement des apparences, restituant ainsi au dessin ses propriétés de machine raisonnante.

Notes :
1 Georges Pérec, La Vie mode d'emploi, chapitre XX, Moreau, 1, Paris, Hachette, 1978, page 103 de l'édition Le livre de poche.
2 Georges Pérec, "Ceci n'est pas un mur...", préface du livre Le trompe-l'oeil de Cuchi White.


Texte de João de Vilhena, 2000
Je me suis tourné vers le dessin en opposition à la peinture, à un moment où j'éprouvais le besoin de prendre des distances vis à vis de la pratique picturale. Partant du constat que le dessin a longtemps été un double des autres formes artistiques, j'ai été amusé par la coïncidence entre ce statut second du dessin et le fait que la représentation fonctionne comme un double du réel. Les premiers exemples parlants de dessins en tant que doubles apparaissent lors du voyage à Rome, la copie exécutée par Rubens d'après La Nuit de Michel-Ange n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Le champ du dessin, au sens large, regorge de ces médiums propres à produire des copies : papier carbone, calque, buvard, stencil, etc. Il en va de même pour les techniques : tracé ambidextre, reproduction au pantographe, frottis sur empreinte, réécriture au correcteur typographique, etc. pour ne citer que celles auxquelles je me suis attaché. Dans le réel les signes induisant la notion de reproductibilité ne manquent pas : la photographie de Dolly, la brebis clonée, les planches de transferts typographiques, les découpes sagittales d'organes de reproduction des fleurs, etc. Ma pratique a donc consisté, au départ, à faire jouer tous ces éléments en les emboîtant pour créer de toutes pièces des systèmes sur le réel à la fois cohérents et drôles sans vraiment me soucier d'une quelconque objectivité. Des questions se sont inévitablement présentées telle que celle de l'original et du faux, de la vérité et de la duperie ou de la matrice et du tirage. Il est apparu évident que les contraintes de duplication produisent une désubjectivation du style personnel, mais également qu'un grand nombre de nuances se font jour dans le chemin qui relie la reproduction mécanique à la reproduction manuelle, ou que l'impossibilité de différencier deux reproductions d'une même matrice est esthétiquement stérile, et qu'il y a une incontournable nécessité d'affinité motrice avec le médium.



I turned to drawing in opposition to painting, at a moment when I felt the need to get some distance regarding pictorial practice. Beginning with the observation that drawing has long been a double for other artistic forms, I was amused by the coincidence between this secondary status of drawing and the fact that representation functions as a double for the real. The first true examples of drawings as doubles appeared during a trip to Rome; Ruben's copy of Michelangelo's Night is but one of many. The field of drawing, in the broad sense, is replete with mediums suited for producing copies: carbon paper, tracing paper, blotting paper, stencil, etc. The same goes for techniques: ambidextrous tracing, reproduction using a pantograph, rubbings, rewriting using a typographical corrcting fluid, etc. to nameonly a few to which I've become attached. In the real, the signs seem to indicate that reproducibility is all but lacking : the photograph of Dolly, the cloned sheep, sheets of transfer lettering, cross sections showing the reproductive organs of flowers, etc. My practice thus consisted, to begin with, in bringing all these elements into play by imbricating them to create systems on the real from scratch that would be both coherent and odd without my really worrying about objectivity. Questions inevitably arose, touching for example on the original and the fake, truth and dupery, or the matrix and the print. It appeared as obvious that the constraints of duplication produce a desubjectivation of personal style, but also that a large number of subtleties manifest themselves along the path that ties mechanical reproduction to manual reproduction, or that the impossibility to differentiate two reproductions coming fromthe same matrix is esthetically sterile and that there is an unavoidable need for affinity on a motor level with the medium.

João de Vilhena, 2000



Techniques et matériaux


dessin, peinture, gravure, wall drawing, installation, objets (assemblages).
Mots Index


reproduction, régression, matrice, patron,répétition, trompe-l'oeil, anamorphose, puzzle, minium de plomb, catocala nupta, chien, hellébore, mélancolie, atrabile, acédie, nostalgie, saudade
champs de références


Gertrude Stein - Le monde est rond
Fernando Pessoa - O livro do desassossego (Le Livre de l'intranquillité),Le bureau de tabac
Georges Perec - La disparition
Oscar Wilde - The decay of lying
Joseph Mouton - Misère de Dieu
Aristote - La poétique
Alberti - De la peinture
Emmanuel Kant - La critique de la faculté de juger
Edmund Husserl - L'idée de la phénoménologie
Merleau-Ponty - Le visible et l'invisible
Sigmund Feud - L'interprétation des rêves
Jaques Lacan - Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse,Le Transfert, Encore
Jean-Luc Godard - Le mépris
Michelangelo Antonioni - Blow up
Platon - Le Banquet, Phèdre
Spinosa - L'Éthique
Charles de Montesquieu - Lettres Persanes
Molière - Le malade imaginaire
Shakespear - Roméo et Juliette, Hamlet Prince du Danemark
Marcel Proust - À recherche du temps perdu
Guy de Maupassant - Le Horla
Edgar A. Poe - Histoires Grotesques et Sérieuses, Histoires extraordinaires
Milton H. Erickson - L'Hypnose Thérapeutique
Patrick Dandrey - Anthologie de l'Humeur Noir
René Girard - Mensonge Romantique et Vérité Romanesque
Paul Auster - Man in the Dark
repères artistiques


Zeuxis
Parrhasios
Giotto, Le cycle de St. François à Assise/The cycle on St. Francis of Assisi
Léonard de Vinci, les dessins/the drawings
Albrecht Dürer, L'oeuvre gravé/Engravings
Hans Holbein, Les ambassadeurs/The ambassadors
Diego Velázquez, Vénus au miroir/Venus at her mirror
Caravage, L'incrédulité de Saint Thomas/The doubting of Saint Thomas
Rembrant, L'oeuvre gravé/Engravings
Edgar Degas, Les monotypes
Marcel Duchamp, Feuille de vigne femelle, Le grand verre/The large glass
Francis Picabia, Les transparences/The transparencies
Man Ray, Les rayogrames/the ray-o-grams
Louise Bourgeois
Jackson Pollock
Robert Morris
Robet Filliou
Piero Manzoni
Noël Dolla
Denis Castellas
Tacita Dean
Dominique Figarella
Miriam Bäckström