LEMESLE & ROUBAUD 

Une petite entreprise qui ne connaît pas la crise

Longtemps Cynthia Lemesle et Jean-Philippe Roubaud ont échangé recettes de « cuisine » et propos théoriques sur leur pratique respective dans l'espace d'un atelier partagé. De cette proximité de la main et de l'esprit est née l'évidente nécessité de réunir leurs singularités en cosignant un prolifique travail. Il serait vain de chercher à savoir qui fait quoi dans cette entreprise tant l'un est au fait des processus de travail et des mécanismes de la pensée de l'autre. Ainsi Cynthia Lemesle et Jean-Philippe Roubaud peignent à deux mains des tableaux somptueux qui recyclent sans vergogne, de long en large et du haut vers le bas, la longue et fructueuse histoire de la représentation : en gros, des primitifs flamands à nos modernes écrans d'ordinateurs. Nul ne s'étonnera de voir à travers cette débauche de moyens (aquarelle, huile, vernis, marqueterie, laque, résine, paillettes, etc.) les époques et les styles se télescoper. Dans ce désordre baroque et festif, tous les coups sont permis : Peter Halley fait irruption chez Van Eyck, Grünewald refait le décor des objets spécifiques minimalistes, les grilles de l'op art criblent les planches d'oiseaux d'Audubon, and so on. Au pays de la déconstruction, la mimesis fait encore la loi : ici, la tapisserie mille fleurs, le ciel étoilé des Frères Limbourg ou le décor quasi abstrait de brocards et de rinceaux ornant ironiquement le voile de Sainte-Véronique font autant motif que le wall paper délicieusement démodé des années 70. La déraison et la vitalité de cette entreprise sont un pied de nez à ceux qui voudraient encore enterrer Dame Peinture. Mais la multicentenaire se porte à merveille, que Diable ! Elle continue de se parer de mille atours telle une jeune femme convoitée et ne semble avoir rien perdu de sa beauté : satin, velours, drapé, strass, plumes et mouches font d'elle le plus désirable des objets. Jouant de la coexistence des divers systèmes de représentation de l'histoire de l'art occidental, Cynthia Lemesle et Jean-Philippe Roubaud ne renoncent à rien. De la figuration et de l'abstraction, de la peinture et du ready made, ils gardent le meilleur, misant sur l'impureté et l'hybridation d'une culture qui arbore la toute-puissance de l'image picturale. Confrontés au symptôme ambiant du désenchantement, ils affirment avec humour et jubilation le plaisir de faire, dans la posture du saumon : définitivement à contre-courant !
Catherine Macchi de Vilhena, avril 2006


Ne me touche pas...
Touche pas ! Juste avec les yeux ! ” Combien de fois l'a-t-on entendu, dans les lieux d'art, et même ailleurs ? Combien de gestes suspendus ? “Noli me tangere” dit le Christ à une Marie Madeleine dont la main n'attrape qu'un rayon de lumière dans le superbe tableau de Fra Bartolomeo.
Et pourtant, la peinture se touche. Elle se caresse, se découvre du bout des doigts, se papouille, se tripatouille... Et plus si affinités. Nos peintures, nous les faisons comme l'on fait la cuisine : de saveurs mijotées, de liaisons, de poivrades, d'arrêts subits, de temps de pause... Elles se dressent lentement, comme des plats délicats, pour que leurs parfums ne se contrarient pas. Parfois, elles se démoulent simplement et se laissent déguster, comme un enfant goûte une sucrerie, lentement, en suspendant le temps d'un bonheur exclusif. Et comme chacun sait, c'est meilleur avec les doigts.
Et aussi nous peignons avec des “choses”, des bouts de bois, bruts de décoffrage, des “trucs” de récupération, des tissus, des plumes... il arrive que nous allions jusqu'à utiliser de la peinture... Ces morceaux de réalité, nous les mêlons à des pigments, mica, sulfate, luxe d'artistes (chez nous, on s'en tient au naturel, à la “tradition”, au “métier”)... Si le coeur nous en dit, nous poussons le caprice : cristal, or, ivoirine... Mais ces “combine-paintings” ne sont pas du simple art d'assemblage : les éléments constitutifs de l'oeuvre se construisent ensemble.
Comme les jeux de langage, les jeux d'arts condensent des sens multiples, entrechoquent les significations, jouent parfois le flottement entre le vocabulaire et la grammaire, entre la référence et le faire. De toute façon l'un ne va pas sans l'autre, nous le savons bien. Vermeer, Van Eyck, Burgermeister, et tant d'autres sont nos références, notre famille idéale, notre vraie histoire. Notre dictionnaire. Avec eux et comme eux, nous voulons tenter encore de faire, comme disait notre amie Ghislaine, “surgir sous la couche irisée de transparences indicibles, la vie dans son flux originel, voluptueux et indispensable”. Elle avait pas tord. Un désir de fou, un rêve de dingue... peut-être, et alors ?
Pour jouer encore à l'art, il faut être opiniâtre en plus d'être un peu fou. Nous exploiterons tout ce qu'on nous laissera prendre. Mais pour cela il faut aller où ça se trouve. Nous empruntons donc de drôles d'itinéraires, déambulations qui nous amènent à redécouvrir, au détour du chemin, les édifices érigés à des combats anciens. Sur le champs de ruine, nous plantons notre tente et séjournons au gré de nos humeurs. Ici ou ailleurs, nous faisons la cueillette, puis, comme l'araignée sa toile, nous tissons des rapports, des relations entre les choses, parfois nous entrons même en relation, en intelligence avec elles. Ponçage, glacis, détails, patiences ou obsessions de maître ouvrier, nous jouons à “comment ça fait de le faire ?”. Nous avons pour cela tout notre temps. Nous ne sommes pas pressés.
Ces peintures, nos peintures nous voudrions donc qu'elles osent mêler étroitement les sens au savoir. Chez nous, il est sans cesse question de mémoires, d'apprentissages à déconstruire. En une époque où “l'art est mort” , où “il n'y a plus rien à découvrir” , où “tout a été dit”, que reste-t-il à l'artiste aujourd'hui ? Justement tout ! Tout ce qui rend vivant : point de virtualité même si défilent dans nos yeux toutes les images du monde ; point de bavardage bien que nous voulions nous gaver de mots... Nous voulons être tantôt Carrache, tantôt Cranach, comme d'autres seront pompiers ou coiffeuse plus tard.
Chiche! Passage à l'acte ! Du réel, encore et toujours, ... Ne signifier que sa seule présence, cette présence qui seule dit l'origine de l'art, du signe, de l'homme. Nous évoquons une relation personnelle à l'oeuvre, mais cette relation particulière est aussi celle du regardeur, singulière et universelle, cette schizophrénie de l'art que dénonçait Kant — et qui nous, nous plaît bien. La preuve ? Nous somme deux. Cette mise en miroir, il est possible de la retrouver dans la série “Sorcière”, clin d'oeil au miroir des époux “Arnolfini”, clin d'oeil parmi d'autres car tout notre travail est de ces connivences-là, et chacun pourra, qui retrouver des drapés renaissants, qui sourire de la présence d'Hantaï, bref voir ce qui le regarde : ... Ah, l'éclectisme qui butine au-delà du temps le pur plaisir de la peinture... Mais croire que ces peintures ne seraient que de références conceptuelles, que de sédimentations sensuelles, ce serait passer à côté de l'essentiel : la temporalité, encore et toujours, les strates, les élaborations, les capillarités colorées qui construisent notre travail sont autant de dépliements, de déploiements, de signes d'intériorité. C'est une peinture du temps, non pas lisse, mais avec des morceaux dedans.

Nous remercions particulièrement notre amie Ghislaine Del Rey dont nous avons allègrement pillé le texte qu'elle nous avait gentiment dédié et qui était paru dans la revue Art Sud, Éthique et esthétique de l'autre hémisphère (mai-juin 2004).
Lemesle & Roubaud, 2006



Techniques et matériaux


gravure - dorure - couture - argenture
"peinture, sculpture .... et dans le fond la nourriture" (IAM)
taxidermie - marqueterie - menuiserie - bigouterie - broderie - passementerie - photographie -
résine époxy

exploration toutes techniques, tous matériaux et tous supports
Mots Index


abstraction / figuration
ornementation
tropes
enculage(s) de(s) mouche(s) en plein vol
Witz
champs de références


De la grottes de Lascaux... à certaines extensions de la belgitude.
De Screensavers. 6 en passant par le vide-grenier d'Antibes et Jérôme Bosch pour "Le jardin des délices"
repères artistiques


Altdorfer "La bataille d'Alexandre"
Jan van Eyck "Les époux Arnolfini"
Albrecht Durer pour l'ensemble de son oeuvre
Le facteur cheval et Daniel Arasse pour le plaisir
Paul Gagnard et Blinky Palermo pour surtout toujours y penser...