Jean DAVIOT 

Voir Texte d'Evelyne Toussaint : L'envers de l'envers du texte ou la figure matrice dans l'oeuvre de Jean Daviot, in Le statut de l'écrit, édition Presses Universitaires de Pau, 2008



Entre voix et silence
Entretien avec Jean Daviot, par Nathalie Ergino,
in catalogue Le ciel au bout des doigts, Paris-Musées/Actes Sud, 2004


Altérité
À travers des outils tels que l'utilisation de la peinture et la relation au corps, est-ce l'autre, l'altérité, les gens... que tu expérimentes?
Mon travail se fonde sur la perméabilité à l'autre. C'est un travail sur la captation de présence, sur sa transmutation dans l'absence. Ce vide ouvert par l'absence de l'autre, à la fois retrait constitutif de mémoire: trou du désir et du néant. Jacques Lacan le nommait «troumatisme». Je cicatrise ce vide.
Tu as tout d'abord mis en oeuvre ce que tu nommes les Ombrographies avant d'aborder deux autres séries, les Visiteurs et les Silences.
Oui, les Ombrographies, c'était une manière de garder une trace des corps de passage. Je captais leur empreinte à travers le procédé de la photocopie, qui capte en fait l'ombre, à la différence de la photographie qui capte la lumière. Le pigment se dépose à l'endroit de l'ombre; c'est le noir du toner qui crée la forme de la trace laissée. J'ai commencé cette série en 1994; elle se compose de deux parties, une partie pour le visage, une partie pour les mains, car j'ai tout de suite perçu que les personnes ne posaient pas de la même manière leurs mains et leur visage. Elles révélaient à travers leurs mains une expression et à travers leur visage une intériorité. C'est pour cela que j'ai séparé les deux parties et que cette série est en diptyque. C'est ainsi que les Ombrographies ont constitué le point de départ, d'une part des Visiteurs, où je prends directement sur la toile l'empreinte des personnes qui passent à l'atelier, et d'autre part des Silences, où je me suis intéressé à tous les langages que pouvaient véhiculer les mains.

L'avènement du signe
Les mains prolongent la parole, le geste prolonge le mot. J'ai exploré ces signes de mains et j'ai nommé cette série les Silences, peut-être à cause des voix du silence que faisait résonner André Malraux. Dans un entretien 1 sur son film Éloge de l'amour, Jean-Luc Godard rappelle une phrase que Robert Bresson a écrite dans ses Notes sur le cinématographe et qu'il dit connaître par coeur: «Sois sûr d'avoir épuisé tout ce qui se communique par l'immobilité et le silence.» Cette apostrophe est singulière pour deux cinéastes qui ont consacré leur vie au mouvement et au son.
Cette immobilité et ce silence sont le sujet de cette série. Des signes de main apparaissent dans des trous formés par le vide laissé par mon visage; je le cerne avec mon doigt qui dépose son empreinte digitale. En hébreu, le même mot signifie à la fois la bouche et le trou. Marc-Alain Ouaknin a rapproché ces formes de l'éphod, le manteau du prêtre décrit dans la Bible au chapitre de l'Exode; il est percé en son milieu d'une ouverture pour la tête et entouré d'une lisière indéchirable. La lisière en serait la lèvre.
Dans cette série, je reproduis avec ma main les alphabets de signes de diverses civilisations en les rapprochant, depuis ceux des grottes de la préhistoire jusqu'à nos jours. Il y a dans ces langages muets des correspondances troublantes. Je retrouve les mêmes signes à des époques très différentes et dans des lieux très éloignés. Leurs significations, quand elles nous parviennent, sont souvent très proches.
Ces recoupements de signes: rituels bouddhistes, chrétiens, langage des sourds-muets, signes de chasse des aborigènes de Nouvelle-Guinée, signes de reconnaissance, etc., montrent l'universalité de ces signes qui permettent à la fois le voir et le dire, à la fois le langage et la vision. Cette dualité d'expression engendre par la main un phénomène transitif en trois points: langage, vision, main -une trinité qui renvoie au réel, à l'imaginaire et au symbolique, et qui permet de nouer ce que l'on pourrait appeler une sorte de noeud borroméen du lien à l'autre.

Des savoirs originels
Qu'il s'agisse de ces séries ou des films que tu as réalisés avec des enfants, tu apparais préoccupé par les questions de l'inné et de l'acquis, ou plutôt par l'éventualité d'un instinct originel, d'un savoir ancestral. Par exemple, un corps se situe-t-il dans l'espace par attitude culturelle, ou par rapport à des réflexes antérieurs à sa naissance, par une façon d'être qui provient d'avant la connaissance proprement dite?
La façon de placer son corps dans l'espace, cette façon de parler avec ses gestes, avec son attitude, c'est en fait quelque chose de très profond. Quand j'ai fait poser les mêmes personnes à des périodes différentes, elles se sont toujours placées de la même manière. De même, le langage produit par le son des mots se détermine par rapport à un accent, à une tonalité, à une position de la voix qui est propre à chacun. On se pose dans l'espace et l'on s'exprime avec le corps d'une façon tout à fait semblable. Cette accentuation des signes, des positions, est extrêmement ancrée, à la fois dans l'espace et dans le temps: d'ailleurs, on peut imaginer que les signes de mains sont contemporains à l'apparition de l'homme, puisque, dès le début de l'humanité, on rencontre ces traces sur les parois des grottes. Tout être a en lui ce savoir. Il le développe plus ou moins, le complète et le structure par la connaissance. Les enfants ont la faculté de l'exprimer. Les bébés ont à la naissance un réflexe de la colonne vertébrale qui leur permet la reptation et qu'ils perdent après quelques jours. De même, la vision et l'entendement du savoir originel sont perceptibles dans la parole et les dessins des enfants. J'ai réalisé une série de vidéos, Qui? Quoi?, où je leur pose des questions métaphysiques sur l'origine du monde, de la lumière ou du langage. Ils y répondent de façon finalement assez précise. D'ailleurs, certains religieux qui demandaient à des petits d'interpréter des versets de la Bible obtenaient des résultats très surprenants. Cette liberté que les enfants ont dans leurs gestes et leurs dessins, ils l'ont aussi dans leurs mots. Ils n'ont pas les signifiés de la connaissance, mais l'émotion du savoir. L'art peut être une préservation de ce savoir. Un critique d'art avait dit à Miró: «Vous dessinez comme un enfant.» Miró lui avait répondu: «J'ai mis toute ma vie pour retrouver ce geste.»

L'envers de l'envers de la voix
S'il est question dans ces travaux de gestes, de signes, le son de la voix est comme omniprésent et pourtant silencieux...
Dans l'Exode, Moïse dit aux Hébreux: «Voyez les voix.» Il y a un lien entre l'oeil et la voix dans les signes de main, au-delà de la parole -les hommes emploient leurs mains pour pousser cette parole au-delà des mots -, et de la même manière, par le son des mots, par les mots-sons, par l'émotion, il y a un son au-delà de l'entente, une vibration inouïe. C'est ce que j'ai essayé de faire entendre dans L'Envers de l'envers de la voix (pièce sonore et vidéo). Comme il n'y a pas de civilisation sans art, il n'y a pas d'homme sans langage. Il est constitutif, et je poursuis en ce moment un travail sur cet inouï dans l'endroit de la voix, qui devient visible, audible, dans son envers. La voix à l'envers fait apparaître des sons qu'on ne perçoit pas à l'endroit. Je me suis servi pour la voix du même processus que les peintres qui utilisaient le miroir pour regarder leur composition à l'envers, afin de mesurer son déséquilibre. Le compositeur Didier Pascalis a enregistré ma voix, l'a mise à l'envers et me l'a faite entendre dans un casque. Et j'ai chanté ce que j'entendais. Je l'ai chanté parce je ne l'ai ni dit, ni déclamé, ni récité. J'ai reproduit le son que je percevais sans son signifié, ce qui a délié une musique de parole qui s'est répandue par le son des mots. Nous avons mis à nouveau à l'envers cet enregistrement pour retrouver l'endroit dans l'envers de l'envers. En fait, à l'envers de l'envers, on n'arrive pas à l'endroit. Il y a un espace entre l'envers et l'endroit qui, au-delà du signifié, est un espace enchanté de mots-sons, d'émotions qui font perturbation dans le champ des vibrations sonores. J'ai retrouvé, peut-être, dans l'envers de l'envers le son d'un langage universel originel que j'avais observé dans les signes de mains, une tour de Babel sonore d'accents et d'intonations, de langues que je n'ai jamais parlées et qui existent dans l'ombre de nos voix.

De la trace a l'intemporalité
Revenons à ces signes de mains dans les Silences. Il se trouve qu'après l'usage du corps de l'autre, ce sont, à un moment donné, tes propres mains que tu as mises aussi en situation?
Oui, c'est une volonté de mise en abyme. C'est la main qui fait l'oeuvre qui est représentée. Dans les Silences, la main apparaît dans un trou orbitaire dont elle pourrait être la pupille: on voit aussi avec ses mains. Les non-voyants nous le montrent: les possibilités de voir avec les mains sont immenses. J'expérimente cette vision. J'ai finalement une approche assez phénoménologique. Maurice Merleau-Ponty écrivait dans Signes 2, au chapitre sur «le langage indirect et les voix du silence»: «L'artiste se reporte toujours à son monde comme si le principe d'équivalences par lequel il va le manifester y était depuis toujours enseveli.»
Quant aux Visiteurs, ces trouées dont tu parles, qui sont les traces d'un corps, constituent-elles de simples silhouettes sur un aplat coloré ou davantage?
La silhouette, c'est une découpe. L'origine du mot remonte au XVIIIe siècle. Un aristocrate, contrôleur général des Finances, avait décidé des économies pour l'État -déjà à l'époque... Il s'appelait Étienne de Silhouette. Ce monsieur Silhouette voulait exiger des terres nobles un impôt territorial et réduire les pensions des privilégiés. Ceux-ci se sont révoltés contre lui et, pour le ridiculiser, ont appelé les découpages d'objets et de visages, très en vogue à l'époque, des silhouettes, en référence à son esprit d'économie. Pour mes Visiteurs, il n'y a pas de découpe. Ni de projection de lumière qui permet de marquer une ombre, comme celle décrite par Pline l'Ancien dans le récit sur la fille de Butadés de Sicyone qui dessine l'ombre portée de son amant sur un mur. C'est le corps du visiteur qui porte le crayon et forme le trait. Il y a fusion entre l'ombre et le corps. Je suis hanté par ces photos impensables prises après l'explosion atomique à Hiroshima. La fusion des corps dans le flash atomique a été projetée en ombre sur les murs. Dans le film Hiroshima mon amour, Marguerite Duras écrit le dialogue entre Emmanuelle Riva/Elle et Eiji Okada/Lui: «J'ai tout vu à Hiroshima, tout -tu n'as rien vu à Hiroshima, rien.» Le monde était à sa perte, à sa perte de vue -c'est cette perte de vue à laquelle je tente de redonner corps au travers de ces peintures.
Au résultat, il s'agit bien d'un tableau?
Oui, j'utilise le mot tableau par provocation envers une tendance de l'art contemporain qui forclôt le terme. L'espace du tableau est un espace déterminé, qui a une limite. Chaque espace d'expression a sa mesure et son temps. Le tableau est hors du temps. Il n'est pas produit par une fréquence de vingt-quatre images par seconde, ni par une fréquence ondulatoire. C'est un espace en dehors du système contemporain de production des images -il est peut-être le seul espace où l'on n'est pas dans l'immédiat. D'où la difficulté, justement, de cette appréhension par les médias. Le tableau est le mouvement de la chute en deçà du temps, il produit un temps indéterminé. Chaque fois qu'on y entre, on entre dans une histoire de trente mille ans. Cela donne forcément du recul... À ce propos, je voudrais faire partager une interrogation. Pourquoi les deux grandes périodes de l'art au XXe siècle sont-elles nommées par rapport au temps: art moderne et art contemporain? Pourquoi a-t-on rapproché dans le langage l'art et le temps?
Cette interrogation sur le temps et sur sa capacité d'étirement n'a-t-elle pas été le fruit de ta rencontre avec le préhistorien Leroy-Gourhan?
Oui, j'ai rencontré, en 1984, André Leroy-Gourhan au Collège de France, pour une série d'entretiens destinés à la revue L'Art vivant à laquelle je collaborais. Il m'a montré que depuis que l'homme existe, il produit des images. Pendant mes études d'art à la Villa Arson, ce qui s'était passé dix ans auparavant m'apparaissait préhistorique. Leroy-Gourhan m'a donné du recul: pour lui, les cycles artistiques avaient trois à quatre mille ans. Il m'a expliqué que les éclipses iconiques étaient fréquentes, que des civilisations disparaissaient, que l'évolution des styles se percevait aussi dans l'art pariétal. Alors moi, avec ma vision des dix années, j'étais vraiment très, très court. C'est vrai que la suite de mon parcours s'est faite dans le reflet de ces interrogations.

Vers une écriture de lumière
L'art d'aujourd'hui qui succède à la modernité, à la post-modernité et au passage du millénaire nous interroge différemment.
Il est intéressant de constater, qu'en ce début de millénaire, la lumière est redevenue un sujet important dans l'art. Peut-être parce qu'elle est le lien entre l'esprit et la matière. Emmanuel Lévinas dans Le Temps et l'Autre 3 écrit: «La lumière est ce par quoi quelque chose est autre que moi, mais déjà comme s'il sortait de moi. L'objet éclairé est à la fois quelque chose qu'on rencontre mais du fait même qu'il est éclairé, on le rencontre comme s'il sortait de nous.» La lumière comme le langage relient et donc atténuent le troumatisme: c'est peut-être cela l'objet de l'art.
Les avant-gardes nous ont ouverts à tous les supports, à tous les médias, à toutes les pratiques. Cette ouverture du champ me permet d'utiliser la peinture, la vidéo, la photo, l'écriture, le son. Si je rapproche les mots comme je le fais pour les signes, le digital de l'anglais digit -le chiffre- renvoie au digital du latin digitus -le doigt. La digitalisation informatique et la trace de l'empreinte -pratiques qui pourraient sembler contradictoires- s'unissent dans mon travail comme dans le mot.
Un proverbe chinois dit: «Quand le sage montre la lune avec son doigt, l'idiot regarde le doigt.» J'ai envie de conclure cet entretien en parlant de mon dernier travail: un lien entre la main et l'infini dans des écritures de planètes et d'étoiles. J'utilise ma caméra pour capter la lumière des astres, comme un stylo aspirerait une encre lumineuse. Mon geste étant plus rapide que la mémoire du capteur, la lumière laisse la trace du signe dans la fusion de la vitesse de ma main et de celle de la lumière. Ce mouvement d'écriture, en face de l'immobilité du temps cosmique, tente de relativiser le vide.

Digne / Marseille, décembre 2003 - janvier 2004

1. Télérama n° 2679 du 16 mai 2001.
2. 1960, Gallimard, Paris.
3. 1983, PUF, Paris, conférences 1946-1947 au Collège de Philosophie

Between Voice and Silence - Interview with Jean Daviot, by Nathalie Ergino, in Le ciel au bout des doigts, Paris-Musées/Actes Sud, 2004

Otherness
In your use of tools like painting and the relationship with the body, is it the other – otherness, other people – you're experimenting with?
My work is based on permeability and the other. On the seizing of the presence of the other, and its transformation into absence. The void created by the absence of the other is also a withdrawal that triggers memory: a hole that beckons desire and nothingness. Jacques Lacan called it troumatisme ("holeness"). I close that void up.

You began with what you called your Ombrographies, then moved on to two other series, Visiteurs and Silences.
Yes. Ombrographies was a way of keeping a trace of bodies passing through. I caught their imprint via photocopying, a process that in fact captures shadow – unlike photography, which captures light. The pigment is laid down where there's shadow: it's the black of the toner that gives the trace its shape. I began this series in 1994. It's in two parts, one for the face and the other for the hands, because I noticed straight off that people didn't place their hands and their face on the photocopier in the same way. Through their hands they revealed an outward expression and through their faces an interior one. That's why I separated the two and made the series a diptych. And that's how Ombrographies became a starting point: for Visiteurs, in which the imprint of people dropping by the studio is rendered directly onto the canvas, and for Silences, where my interest was all the languages the hands were capable of conveying.

The Coming Of The Sign
Hands extend speech, the gesture extends the word. I explored these hand signs and called the series Silences, perhaps in reference to André Malraux's Voices of Silence. In an interview about his film Éloge de l'amour ("In Praise of Love"), Jean-Luc Godard quotes a sentence he says he learnt by heart from Robert Bresson's Notes on Cinematography: "Be sure you have exhausted all the possibilities of communicating via immobility and silence."1 A strange injunction for two film makers who have devoted their lives to movement and sound.
This immobility and this silence are the subject of the series. Hand signs appear in the holes of the void left by my face; I circle the emptiness with my finger, which leaves its print. Hebrew uses the same word for "mouth" and "hole", and Marc-Alain Ouaknin has related these shapes to the ephod, the priest's garment described in the Book of Exodus: its central opening for the head has a hem that cannot be torn, which is equated with the lips. In this series I reproduce by hand, and compare, the sign alphabets of different civilisations, from those of the prehistoric caves down to our own time. There are disturbing correspondences in these mute languages. I find the same signs at very different periods and in widely separated places. Their meanings, when we know them, are often very similar.
These concordances – from Buddhist ritual, Christianity, deaf-mute language, hunting signs from the indigenous people of New Guinea, signs of recognition – demonstrate the universality of signs allowing simultaneously for saying and seeing, for language and sight. This dual form of expression uses the hand to generate a tripartite relational phenomenon, a trinity with links to the real, the imaginary and the symbolic; the result is what you might call a kind of Borromean knot of the relationship to the other.

Ur-knowledge
In these series, but also in the films you've made with children, you seem preoccupied by the issue of nature and nurture, or rather by the possibility of a primordial instinct, an ancestral knowledge. For instance: is a body's situation in space determined by a cultural stance or by reflexes predating its birth – by a way of being that predates knowledge in the strict sense?
The way you place your body in space – your way of speaking with gestures, with posture – is in fact something very profound. When I got the same people to pose at different periods, they always took up the same posture. Likewise, the language produced by the sound of words is determined by accent, tone and a positioning of the voice specific to each person; you place yourself in space and use body language in exactly the same way. This accentuation of signs, of positions, is deeply rooted in both space and time: we can readily imagine that hand signs are contemporaneous with the appearance of mankind, given that we find them on the walls of caves going back to the earliest human times. Every human being has this power within himself; he elaborates it, complements it and, with the aid of knowledge, structures it. Children have the capacity to express it. At birth babies have a spinal column reflex that allows them to crawl, and which they lose after a few days. In the same way, the perception and comprehension born of that primordial knowledge can be discerned in the speech and drawing of children. I did a series of videos Qui? Quoi? ("Who? What?") in which I ask children metaphysical questions about the origin of the world, of light and of language. The answers are pretty exact. There are members of religious orders who asked children to interpret extracts from the Bible, and the results they got were really surprising. The freedom children reveal in their gestures and drawings is there in their words, too. They don't have the signifieds of learning, they have the emotion of innate knowledge. Art can be the preservation of that knowledge. When an art critic said to Miró, "You draw like a child," Miró's reply was, "I've spent my whole life getting back to that."

The Wrong Side Of The Wrong Side Of The Voice
These projects are all to do with gesture and sign, yet the sound of the voice is somehow – silently – omnipresent.
In the Book of Exodus, Moses tells the Israelites, "See the voices." In hand signs there is a link between eye and voice that goes beyond speech – men use their hands to push speech beyond words – and in the same way, through the sound of words, through sound-words, through emotion, there comes a sound beyond our understanding, an unheard vibration. This is what I've tried to make audible in the sound/video work L'Envers de l'envers de la voix ("The Wrong Side of the Wrong Side of the Voice"). Just as there's no civilisation without art, there's no human race without language. Language is fundamental and at the moment I'm working on this unheard element of the "right" side of the voice, and the way it becomes visible, and audible, on the "wrong" side.
From the wrong side of the voice there emerge sounds that are imperceptible on the right side. Here I resorted to the same process as the painters who used a mirror to look at their compositions in reverse and spot where they were out of balance. The composer Didier Pascalis recorded my voice and played it back to me in reverse through headphones. And I sang what I was hearing. I sang it because I didn't speak or declaim or recite it. I reproduced the sound as I perceived it, without its signified, and this released a speech music that flowed out through the sound of the words. We recorded this and then reversed it again, so as to find the right side in the wrong side of the wrong side. But two wrongs don't make a right: between the wrong side and the right side there's a space beyond the signified, an enchanted space of sound-words, of emotions that upset the sound-vibration field. Maybe in the wrong side of the wrong side I rediscovered the sound of a universal ur-language that I'd observed in signs made with the hands: a tower of Babel of sound, of accents and intonations, of languages I've never spoken and which exist in the shadow of our voices.

From Trace To Timelessness
To get back to the hand signs in Silences: as it happens, once having used the body of the other, at a given moment it was your own hands you put to work.
Yes, I was after the idea within the idea: what's shown is the hand that is making the work. In Silences the hand appears in an eye-shaped hole in which it could be the pupil: you can see with your hands as well. As the blind show us, the possibilities of seeing with your hands are enormous. I'm trying out this view of things. When you come down to it, my approach is somewhat phenomenological. In the chapter on "indirect language and the voices of silence" in Signs, Maurice Merleau-Ponty writes: "The artist always refers to his world as if the equivalence principle he will use to make it manifest has always been buried therein."2

So, in Visiteurs, do these gaps you're talking about – these traces of bodies – take the form of a silhouette or an area of colour?
A silhouette is an outline, and the word goes back to the 17th century. The aristocrat who was Minister of Finance had decided on cost-cutting measures for the state – they had that then, too. His name was Étienne de Silhouette and his idea was a land tax for the nobility and pension cuts for the privileged classes. They revolted, and to hold his thriftiness up to ridicule they applied the name "silhouettes" to the unadorned outlines of objects and faces that were very much in vogue at the time.
There's no outline for my Visiteurs. And no light for throwing a shadow – Pliny the Elder relates that Butades of Sicyones' daughter outlined the cast shadow of her lover on a wall. Here it's the visitor's body that holds the pencil and forms the line. The shadow merges with the body. I'm haunted by those inconceivable photos taken after the atom bomb was dropped on Hiroshima: the fusion of bodies caused by the flash from the bomb was projected as shadow onto the walls. In the film Hiroshima Mon Amour, Marguerite Duras' dialogue for Emmanuelle Riva/She and Eiji Okada/He runs, "I saw everything in Hiroshima, everything – You saw nothing in Hiroshima, nothing." The world was lost to us, lost to sight; and it's that loss of sight I try to give physical expression to in these paintings.

So these really are pictures.
Yes. And I use the word deliberately, as a jab at the current in contemporary art that excludes the term. The picture space is a fixed space, it has its limits. Each expressive space has its dimensions and time frame. The picture is outside time. It's not produced by a frequency of twenty-four images a second, or by a wave frequency. It's a space outside the contemporary system of image production – maybe the only space where you're not in the here and now. This is why the various art media have trouble getting a handle on it. The picture is the movement of a fall somewhere outside of time: it produces an indeterminate time. Whenever you enter a picture you're entering thirty thousand years of history. Inevitably that makes you stop and think. There's a question I'd like to put here: why are the two great periods of 20th-century art – modern art and contemporary art – named in relation to time? Why does our use of language bring art and time together?

This business of time and the way it can be stretched – doesn't that go back to your meeting with Leroi-Gourhan, the prehistorian?
Right. I met André Leroi-Gourhan at the Collège de France in 1984, for a series of interviews I was doing for L'Art vivant, a review I was working for. He showed me how the human race had been producing images from its very beginnings. When I was a student at the Villa Arson, what had happened ten years before seemed prehistoric to me, but Leroi-Gourhan taught me objectivity: he saw art cycles as running at three to four thousand years. He explained to me that whole schools were often eclipsed, that civilisations vanished, that you could detect stylistic evolution in cave art as well. So my ten-year view of things was very, very short-term. And the development of my work since then has been influenced by these questions.

Towards A Notation Of Light
As the successor to modernity, post-modernity and the change of millennium, the art of today is a different kind of challenge.
What's interesting, as the new millennium gets under way, is that light is once more an important subject in art. Maybe because it's the link between mind and matter. In Time and the Other Emmanuel Lévinas writes, "Light is what distinguishes something else from me, but as if that something else were emerging out of me. Not only is the lit object something we encounter, it is also, precisely because it is lit, something we encounter as if emerging out of us."3 Light and language both connect, and so cushion the troumatisme. Maybe that's what art is all about.
The avant-gardes have laid us open to all media, all techniques, all ways of working. This opening-up process means I can use painting, video, photography, writing and sound. If I compare words the way I compare signs, the digital of "digit" meaning "figure" echoes the digital of the Latin digitus meaning "finger". Computer digitisation and the trace of the imprint – two modes that might seem contradictory – come together in my work as they do in the word.
There's a Chinese proverb that says, "When the sage points at the moon, the fool looks at his finger." I'd like to close by saying something about my most recent work: a connection between the hand and infinity in the writing-down of planets and stars. I use my camera to catch the light of the stars, like a pen aspirating luminous ink. Since I move faster than the memory of the sensing device, the light leaves the trace of the sign in the merging of the speed of my hand and the speed of light. Set against the immobility of cosmic time, this writing-down seeks to relativise the void.

Digne / Marseille, December 2003 – January 2004

1. Télérama n° 2679 du 16 mai 2001.
2. 1960, Gallimard, Paris.
3. 1983, PUF, Paris, conférences 1946-1947 au Collège de Philosophie..