Ingrid MOURREAU 

Ce travail patient, très construit, élabore une somme obsédante de dessins, peintures, maquettes, dont le dénominateur commun est cette faculté que l'artiste a de s'immerger dans le fantasme et la volupté, à travers un processus d'élaboration extrêmement rigoureux et tendu. De cette invention sans cesse renouvelée d'un théâtre de la cruauté, où se côtoient la provocation affichée et la lucidité monomaniaque d'une artiste en introspection, naît une oeuvre singulière, parfaitement maîtrisée, toujours ludique.
Apparemment fascinée par le monde délicieux (et souvent délictueux) de l'enfance, l'artiste utilise tous les systèmes d'élaboration visuelle propres à cette période rêvée, nous semble-t-il, où notre imaginaire pouvait vagabonder à l'infini à partir de dérisoires montages de carton ou de papier : maquettes fragiles d'architectures ou d'intérieurs, silhouettages de figurines stéréotypées, juchées sur leurs petites assises de carton plié, grands dessins « plats » où la mise à plat, justement, de petites scènes sadomaso ou simplement méchantes car lucides, explore un univers parfaitement contrôlé, en apparence seulement, car ce qui s'y passe ou devrait s'y passer relève en fait du plus grand désordre.
Borderline et irraisonnable, ce jeu constant entre la plus âpre des réalités et le monde serein de l'imaginaire enfantin, induit un décalage irrévérencieux et caustique. Il suffit de voir par exemple ces planches de fleurs ou de papillons, exécutés minutieusement aux crayons de couleur, anodines au premier coup d'oeil, mais où l'on découvre en scrutant les ailes de ces aériennes créatures, de torrides scènes érotiques, directement issues des planches coquines du XIXe. Chez Ingrid Mourreau, la réalité n'est jamais là où on l'attend.
Apparences...Apparence quand tu nous tiens...Ces procédés subliminaux sont à l'oeuvre à tous les échelons du travail. Ceci est particulièrement vrai pour les maquettes, comme le superbe Open Mind, laboratoires d'études encéphaliques des créatures à chevelure blonde, qu'elle expose au project-room d'Art Dealers 2004, dans lequel l'artiste a reconstitué un espace « loftien » aux multiples cellules. Allant de la salle de gym au confessionnal, en passant par le caisson d'isolation ou le bloc opératoire, cette pièce reconstitue l'univers parfaitement surréaliste des émissions de télé-réalité, où chaque élément, réalisé minutieusement à l'échelle de la maison de poupée, concours à l'invention d'un théâtre de l'absurde, jusqu'aux délires les plus improbables que seul un scénariste sous ecstasy pourrait imaginer. Cette mise en scène allégorique du fantasme et du bâton révèle en fait une mise en abîme vertigineuse de nos propres systèmes modernes de représentation, où l'individuation en tant que telle n'est plus que le recours ultime d'une indifférenciation collective, quand les écrans ont remplacé la « vraie » vie en la sublimant dans un délire post-bigbrotherien. (...)
Les grands dessins « plats » réalisés cette année, quant à eux, nous renvoient à un système de construction identifié, celui de la planche imprimée où figurines et objets sont à découper ou à détacher. Ainsi cette Garden Party martiale, dans laquelle une théorie de personnages en tenue militaire, tous identiques en apparence, côtoie tables et reliefs d'un banquet improbable, digne du Dernier Tango...Où l'on se surprend à découvrir de surprenantes « choses » monstrueusement sexuées, tandis que tous les éléments constitutifs de la scène s'étalent à plat en un ordre tout militaire...
Bosquets, arbustes, tables et nappes, ustensiles divers voisinant avec de curieuses formes sexuelles, personnages en uniforme, tout ce paysage reconstitue de manière interactive un moment autobiographique qui, ici, est jeté en pâture à une reconstitution « à la carte » au bénéfice du spectateur. A lui alors d'animer cette ultime scène dans l'imaginaire forcement tordu de son propre cerveau : la panoplie au complet est là, il ne nous reste qu'à l'agencer à notre gré.
Au-delà, ce processus d'élaboration scénaristique colle parfaitement au procédé stylistique qui le fait vivre : les silhouettes sont détourées comme des décalcomanies, les éléments du paysage sont reproduits en « copié-collé », comme avec un ordinateur. Seule la réalisation léchée aux crayons de couleurs signale la singularité de la main qui l'a produite. Mais, identiques quoique dissemblables, ces modules rangés en un étalage plat et arbitraire, provoquent la lecture attentive et renouent avec notre vieux goût à jouer. La décalcomanie, le calque, la répétition appuyées de mêmes éléments formels, le « copié-collé », voici le répertoire visuel de l'artiste mis à nu par son auteur même, dans cette série de dessins dont la monumentalité, paradoxalement, nous pousse à l'examen attentif et patient. De la même manière qu'avec les maquettes, l'artiste nous invite à la jouissance intime d'un voyeurisme joueur et enjoué. Ces mini-théâtres de la réalité réalisent alors toute leur raison d'être : nous plonger dans l'insondable abîme de nos représentations mentales, un corps à corps avec la réalité qui ne doit pas nous laisser intact.
Mais, joueuse jusqu'au bout, Ingrid Mourreau ne s'arrête pas là. Soucieuse de s'investir de manière récréative dans un univers décidément impitoyable, l'artiste s'est inventé un clone idéalisé, une super héroïne à vocation universelle. Les aventures de Super Vengeresse Masquée, SVM pour les intimes, témoignent de cette volonté de l'artiste d'occuper tous les espaces de représentation, y compris publics. Ce personnage de bande dessinée vaguement bondage et complètement loufoque raconte donc de drolatiques et absurdes saynètes surréalisantes, dans lesquelles la panoplie formelle de l'artiste est reprise à plaisir. Réalisées directement sur le mur, ces pseudo historiettes en noir et blanc renouent avec la tradition muraliste, tout en maintenant fortement l'ancrage à leur temps, un temps où mangas et cartoons réinventent à leur manière notre rapport au monde. Simplement ici, comme dans toute l'oeuvre d'Ingrid Mourreau, l'absurde s'adosse au plaisir, le sexuel au virtuel, la cruauté côtoie l'innocence... Et l'art se nourrit de la « vraie » vie.

Marc Roudier, in art sud n°46, 2004


Techniques et matériaux


wall-painting
dessin / drawing
papier / paper
crayons de couleur / colored pencils
gouache / gouache
aquarelle / watercolor


maquette / scale-models
carton / cardboard
plâtre / plaster
bois / wood
Mots Index


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ironie / irony
régles de jeu
érotisme et pornographie / eroticism and pornography
architecture / architecture
fictions et utopies / fictions et utopias
champs de références


Dorothy Parker
Boulgakov, Le Maître et Marguerite
Grimm, Contes cruels
Apulée, L'âne d'or ou les métamorphoses
Albert Cohen, Belle du Seigneur
Pasolini, Théorème
Le Petit Larousse illustré


Marie-Claude Treilhou, Simone Barbès ou la vertu
Jean Eustache, Une sale histoire
Jacques Rozier, Maine Océan


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Elvis Presley
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Iconographie médiévale / Medieval iconography
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