STAUTH & QUEYREL 

MIEUX QUE LA BONNE MÈRE

Je me souviens de l'impression que me fit Marseille, lorsque je vins de mon Italie natale, m'y installer en 1948 ou 49.

La grande ville, ses monuments, son port immense, ses belles allées ombragées ne me laissèrent pas indifférente.

Mais plus que tout cela, et plus que la mer, le soleil, le pastis, le charme du Vieux Port, et même mieux que la Bonne Mère et son panorama magnifique, ce qui m'enchanta, ce fut l'air de décontraction, de culot, et de liberté qui y flottait.

Le cosmopolitisme de Marseille et le naturel avec lequel les diverses ethnies se mêlaient et affichaient sans complexe leurs costumes et leurs coutumes me semblaient matérialiser là, le grand idéal de la Révolution française et des Droits de l'Homme.

Venant d'une région d'Italie assez conventionnelle où l'on fait des efforts pour paraître comme tout le monde, pour disparaître somme toute dans l'anonymat de la tenue bourgeoise, classique et terne, je trouvais cette ville extraordinaire puisque ses habitants s'y sentaient "chez eux", pour se permettre d'arborer leurs différences ou bien, simplement, pour se vêtir du costume qu'ils avaient l'habitude ou le plaisir de porter sans que cela choque outre mesure.

Il était prodigieux, le spectacle qu'offrait La Canebière, surtout le dimanche, car des familles entières venaient s'y promener, vêtues de leurs costumes traditionnels. On pouvait y admirer la foule ponctuée, relevée, soulignée, pimentée par des habits et des coiffures fantasques et variées.
Les djellabas, parmi les robes et les tenues occidentales, côtoyaient les turbans qui croisaient les costumes et les coiffes des divers pays africains, arabes ou chinois...

Ce spectacle représentait pour moi la plus chaleureuse des "Bienvenues", car le peuple de Marseille semblait ainsi me dire : « Toi aussi, tu peux trouver ta place parmi nous », adoucissant ainsi les tracasseries administratives auxquelles sont soumis les étrangers d'extraction modeste comme moi.

Les quartiers de Marseille - presque des villages - si différents les uns des autres par leur structure et leur architecture, étaient investis par des groupes ethniques divers qui y pratiquaient, pour la plupart, un métier particulier.
Le quartiers des Arméniens - qui était surtout spécialisés dans la chaussure - sentait bon le cuir.

On était enivré des senteurs des épices dans le quartier arabe où éblouissaient les étals d'artisanat oriental et d'étoffes dignes des contes des Mille et une nuits.

L'odeur de la pizza du petit napolitain se mêlait à l'effluve du pastis et de la bouillabaisse.

De sorte que l'Italien qui, avec le Kabyle, construisait la maison du Français et se chaussait chez l'Arménien, avait l'occasion heureuse de parfaire sa connaissance de la belle langue française, d'apprécier certains plats de sa cuisine et bien d'autres choses encore.

Mais trêve d'angélisme, car à Marseille aussi, il y a toujours eu du racisme, et l'étranger n'a pas toujours été traité avec les égards qui lui étaient dûs... loin s'en faut.

Pourtant dans l'esprit de la plupart des Marseillais, ce racisme, bien qu'aussi criminel que les autres, ne voulait être que galéjade : L'expression d'une légèreté, d'une insouciance ; une dérision un peu perverse sinon une auto-dérision.

Il faut dire que nous étions alors au temps béni où la France avait besoin de la force de travail des Étrangers pour sa reconstruction après la tragédie de la guerre ; elle en avait besoin pour rebâtir sa richesse et sa grandeur.
La crise économique et sociale actuelle n'était pas encore passée par là.
Les détenteurs du pouvoir économique et politique mondial pouvaient encore, dans bien des pays, s'enrichir et dominer à l'intérieur de structures plus ou moins démocratiques.

Actuellement, pour continuer à faire du profit, ils doivent admettre des injustices de plus en plus criantes, car nous sommes arrivés à un point d'étranglement.

Pour masquer l'échec de la société qu'ils ont construite, et juguler toute révolte, il faut aux puissants un bouc émissaire sur lequel canaliser le mécontentement des travailleurs qui voient fondre leurs acquis sociaux et des chômeurs privés de tout. L'Étranger se trouve être l'Azazele parfait.

Ainsi l'extrême-droite gonfle le peuple de peur et de haine, jusqu'à ce que l'État démocratique se transforme en État répressif et totalitaire.

Le fascisme est la phase ultime de ce processus qui, par l'exclusion, tend à conserver, à accentuer les inégalités et le pouvoir d'une petite élite sur tous. Méfie-toi Marseille !

Ne quitte pas ton beau costume bariolé fait de tolérance ; ne laisse pas transformer ta belle faconde en un discours de haine, ton rire en un rictus... pour des intérêts qui ne sont pas les tiens.

CIAPACAN, collabore au journal de Frais Vallon, TA PAGE(S)

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