Timothy MASON 

Drive-by shootings : pour cette traversée du territoire américain, Timothy Mason a remis en jeu la forme du road movie, a priori épuisée tant par l'industrie cinématographique que par l'histoire classique de la photographie ou encore du récit littéraire. Dans son dispositif - appareil photo fixé à la vitre et déclenché "à l'aveugle" - l'automobile devient véhicule de travelling et machine de prise de vue. Il en résulte un ensemble de photographies panoramiques en noir et blanc, évitant l'anecdote et la répétition, où la forme de l'image autorise un fort effet de composition automatique tout en renvoyant métaphoriquement au format allongé de l'écran de projection autant qu'à celui du pare-brise.
La photographie n'est ici qu'un élément d'un dispositif bien plus ambitieux qui articule image (fixe et animée), texte et son.
Dans l'espace industriel requalifié du Transpalette, traversé au sol par une ligne jaune produisant un effet de réel, des images-textes, fragments agrandis de titres de journaux anglo-saxons, entrent en écho avec les panoramiques. Obtenus en utilisant la feuille de papier journal comme négatif ready-made, ces Headlines produisent tout à la fois un brouillage de l'information et une révélation de l'inconscient médiatique. D'un étage à l'autre, la vidéo Land of the Plenty, travelling monotone d'un chariot dans les allées d'un supermarché le temps d'un shopping, vient répondre à la photographie panoramique couleur, Chicago Board of Options Exchange, des travées d'une Bourse envahie d'écrans et de courtiers. Profusion de valeurs financières et d'objets de consommation : de l'abstraction de l'économie à sa matérialisation dans la réalité quotidienne. Enfin, une installation sonore, littéralement titrée Echelon, fait provenir du plafond les mots-clefs, égrenés par la voix synthétique monocorde de l'ordinateur, qui déclenchent le désormais fameux réseau d'espionnage économique anglo-saxon.
Par la superposition d'une géographie physique et d'un paysage mental, Timothy Mason introduit une tension entre mondes réel et virtuel. Il parvient à représenter la réalité de l'abandon de l'espace public au profit de la toute-puissante activité économique, animée par un fantasme permanent de dématérialisation et de déterritorialisation. Tout se passe comme si le réseau des highways et freeways empruntées était surplombé par le réseau virtuel de la communication désincarnée. Affleure alors la légère paranoïa contemporaine de l'individu solitaire conscient d'être toujours sous contrôle.

Pascal Beausse, Timothy Mason, Le Transpalette, 23 septembre-30 octobre 2000, in Art Press n° 264, janvier 2001

Retour aux reproductions d'œuvres