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Rosa & Rosæ, les Amazones amazoniennes.
Soeurs jumelles nées sur l’équateur, sur la ligne médiane de l’actuel terrain de foot de Macapà pour être exact, Rosa & Rosae furent baptisées ainsi par leur(s) sauveur(s) à peine mises au monde vers l’an 15OO. Elles auraient été extraites de l’infanticide réservé aux jumeaux dans leur tribu amérindienne par un conquistador et un prêtre. Il s’agirait en fait d’un couple homosexuell de passage, portugais très célèbres à l’époque: Pedro Alvares Cabral et Bartolomeu Dias de Novais (voir illustration). René d’Azur avait huit ans, il était du voyage, il était déjà là.
Cabral et Dias, parents adoptifs de Rosa & Rosae,
en négociation avec le père, René est là.
Terriblement sensuelles, elles étaient à tour de rôle dures et cruelles ou tendres et aimantes, probablement des séquelles dûes à leur venue sur cette terre à cheval sur les hémisphères. Leur charmant visage enfantin traversé d’une longue balafre sur la joue de manière mystérieusement symétrique parlait à tour de rôle latin ou grec au quotidien et leur culture, leur connaissance du monde antique occidental en étonnait plus d’un. En réalité le fatigué père Bartolomeu n’aurait pas péri cette année-là dans un naufrage au large du cap de Bonne Espérance mais se serait fait porté disparu sur cette terre encore nommée Santa Cruz. Il allait enfin pouvoir être père et, avec l’aide d’un frère ou d’une bonne soeur, et de Dieu, s’attacher à l’éducation des fillettes. Une éducation sévère accompagnée d’une instruction classique. À ce propos, par exemple, leur fascination devant le destin des Amazones, ces guerrières légendaires ne supportant pas la présence des mâles, devrait expliquer l’ablation d’un de leur sein pour mieux tirer à l’arc. Quel sein, on ne saurait dire, du droite ou du gauche pour Rosa ou Rosae. Toujours prêtes à montrer leurs fesses, leur poitrine demeurait invisible. Cependant nous savons qu’elles confectionnaient des prothèses en pain qu’elles utilisaient quand elles chassaient l’homme avec d’autres armes, que ces pains étaient très petits, qu’il y avait des seins droites et des seins gauches et qu’ils étaient extrèmement divergents.
René et Roger, au sommet de leur gloire ou mauvaise réputation selon les points de vue, font alors régulièrement escale à Belèm pour affaires et plaisirs étroitement mélés. Or l’équipage de “La Ganda“ est depuis longtemps, parfois, en voie de guérison, les marins robotisés et principalement le capitaine refaisant surface puis replongeant comme un bouchon de canne à pêche. En cette année 1520 ils reprennent possession du navire au port de Belèm. “La Ganda“ est en rade après la mutinerie.
En attendant l’heure de la vengeance, René et Roger vendaient sur le marché au bord du fleuve Amazone des carcasses de poulet grillé froid, ou plutôt des carcasses froides grillées de poulet, ou..., dans une sommaire petite bicoque bancale. Ils devaient rencontrer ici les jumelles sauvages Rosa & Rosae.
Emblème de Rosa&Rosæ
Les femelles venaient de débarquer en provenance de Macapà. Nos deux compères furent tout d’abord frappés par leur démarche souple, leur corps élastique et la jeunesse de leur visage, leur lourde chevelure noire et brillante, leur regard de braise glacée et la finesse de leurs traits malgrè la longue ligne qui barrait leur menu minois symétriquement. Roger, toujours prompt à tout abordage, se lança le premier auprès de la plus souriante des deux filles. Mal lui en prit, le sourire se mua à l’instant en moue sévère et il du rebrousser chemin tandis que la frimousse de la deuxième, rébarbative jusque là, étalait une superbe rangée de dents blanches à René. Les jeux n’étaient pas encore faits et rien n’était encore dans le sac. Par chance ils avaient pour l’heure un vécu voisin: entre autres, ils avaient terrorisé les mers, elles avaient terrorisé les terres, elles vendaient des abats de poulet de l’autre coté de l’embouchure et ils vendaient des carcasses de ce côté-ci.
Drapeau "tête à tête"
Et puis elles étaient restées d’éternelles enfants malgrè leurs dix-huit ans et René avait toujours eu avec ceux-ci un savoir-faire bien à lui. Une complicité s’installa très vite, contrariée il est vrai par les sautes d’humeur intempestives et alternatives de ces sottes natives. Quand l’une était aimable et attentive, l’autre était colérique et capricieuse, puis quand la première se mettait à grogner, la deuxième roucoulait. Si bien que nos deux pirates déchus ne savaient plus sur quel pied danser. D’ailleurs ils dansaient probablement dans une des nombreuses guinguettes au bord du fleuve, se conseillant ou se critiquant, se congratulant ou se disputant, qui sur la gastronomie, qui sur la piraterie, dissertant sur la Gaule et la galliña.
Drapeau "tête à queue"
Le lendemain, après une nuit torride, les deux couples faisant la paire devaient se réapproprier “La Ganda“ avec une facilité déconcertante. Les mutins, à la vue de Rosa & Rosae, firent une rechute et obéirent définitivement au doigt et à l’oeil de l’une ou de l’autre.
Il est temps à présent de dire un mot de cet équipage. Le livre de bord de “La Ganda“ mentionne vaguement un capitaine unijambiste, sourd comme un pot et affecté de strabisme mais ambidextre et à la vigie un hurleur bègue, borgne et manchot. Nous n’en savons pas plus à ce jour. Ils allaient écumer la région et bien au-delà.
Drapeau "tête à cul"
Ce que Roger nommait affectueusement les “gamineries roses“ (1) relatif aux nombreuses bizarreries de leurs amies rappelait à René les petits pains de son enfance et surtout, surtout, ce jour où les deux bébés furent adoptées, ce jour où il avait rencontré La Ganda, la petite fille dont la saveur avait la peau si douce.
Nous ignorons combien de temps dura cette association, faute de précieux outils de connaissance mais nous avons tout lieu de penser que c’est bien “La Ganda“ qui fut retrouvée bien plus tard par le plus grand des hasards et par l’expédition de José Arcadio Buendia (un héritier As’Ur, di Azuro, N’Diaz ou autre Dias?) entre Macondo et la mer, dans l’Aracataca en Colombie et dans ”Cent ans de solitude” . Comment en est-il arrivé là ce galion fou surnommé parfois à juste titre le bateau ivre? Ça c’est une autre histoire