Jean-Baptiste AUDAT 


V.R.P.
Voyageur - Représentant - Plasticien


DESCRIPTION
Réalisation d’oeuvres retraçant ma production sous le nom de Jean-Baptiste Audat, sur une période de vingt-cinq ans. Ce sont des facssimilés fabriqués sous forme de modèles
réduits, à la dimension d’une main d’écrivain et de son outil d’écriture.


CONTEXTE
Cette construction d’un musée de poche d’écrivain prend son origine dans la mise en mémoire de tous les travaux que j’ai effectués en Afrique noire, relatés dans le livre « Ma petite O.N.G », accompagnés d’un texte de Frédéric Valabrègue : Jean-Baptiste.
En écho, je mets en chantier la production d’un artiste du Nord, ce que j’ai fait ici en France, durant la même période.
Il sera produit en trois exemplaires, comprenant chacun 37 fac-similés environ correspondant aux différentes étapes de ma production, depuis les années 74, jusqu’à aujourd’hui.


LE PROJET

Dans un premier temps
Au fur et à mesure que les oeuvres sont fabriquées, elles sont envoyées à deux écrivains, une femme et un homme, qui ne se connaissent pas, et qui n’auront durant toute la durée de ce projet, aucune relation épistolaire. Par contre ils m’écrivent, l’un et l’autre à propos des oeuvres reçues. A la fin des envois, les oeuvres rassemblées
en deux exemplaires appartiennent aux écrivains définitivement.

Dans un deuxième temps
Toutes les lettres (copies), sont alors confiées à deux autres personnes, une femme et un homme, qui ne sont pas écrivains, vivent dans une autre ville que la mienne, connaissent très bien mes travaux Nord et Sud. Eux, par contre, vont se rencontrer régulièrement, discuter des écrits qui leur ont été confiés, enregistrer leurs conversations, ayant en main le troisième exemplaire.

Dans un troisième temps
Une valise rassemblant les fac-similés de ce troisième exemplaire, sera emmenée par mes soins, en Afrique Noire. La valise permet le transport et l’échange lors de mes déplacements en Afrique, comme un représentant de dialogues.

Le titre du projet est V.R.P (Voyageur, Représentant, Plasticien).

Synthèse
Le catalogue comprendra la reproduction des fac-similés, les travaux des quatre intervenants, la valise etc. La forme sera définie par la totalité des échanges, lettres, conversations, voyages, messages, fabrication des oeuvres…



-1-


Sans titre 1974
Gant, ficelle de lin, ech. 1/1

Au pays des peccamineux

Le miracle de l’absurde est qu’il ouvre le discours, pense le voyageur assis sur un rocher en regardant, à travers les nuages, le pays des peccamineux. Peuple surprenant que
ces peccamineux, puisqu’il est frappé — depuis combien de temps —, à cause de ses vices, par la colère divine. Les peccamineux, dans le passé, quand ils jouissaient de toute leur splendeur, comme on dit dans la langue de bois des récits de bonne facture, formaient un peuple de voleurs dont la cupidité était connue d’un bord à l’autre de l’univers. Les voyageurs qui traversaient leur pays en ressortaient ni plus ni moins que nus, quand ils en ressortaient. Bref, les peccamineux étaient des voleurs, mais des voleurs d’une espèce particulière, dont la rapacité se doublait d’une avarice incommensurable qui leur faisait accumuler les richesses sans en jouir. Misérables, ils vivaient dans des cases de boue et raclaient sans cesse la terre dans l’espoir d’y trouver un je-ne-sais-quoi de précieux. Une fois l’an, leur roi, aussi mal loti que le plus humble de ses sujets, ouvrait les cavernes où s’entassaient ses trésors et, une journée entière, le peuple défilait, émerveillé, devant ces richesses dont personne ne profitait ; puis la fermeture des portes, pour un an, éteignait la lumière des ors et des joyaux. Jamais, de mémoire de peccamineux, un seul d’entre eux n’avait tenté de violer le trésor. Leur plaisir n’était pas la dépense mais l’accumulation. C’est pourquoi leur dieu, qui n’est pas forcément Dieu, les avait frappé, lassé de leur stupidité, d’une malédiction. Ou plutôt
d’une double malédiction. Il en avait fait des hommes poules, mais des hommes poules à différents stades de leur transformation. Les peccamineux avaient vus leurs mains
remplacées par des griffes. Leurs doigts atrophiés s’étaient couverts d’écailles, leurs ongles allongés en agressives pointes, et leurs lèvres durcies de corne. Moyennant quoi,
ils ne pouvaient plus ni écrire, ni dessiner, ni embrasser, et la caresse leur étant devenue impossible, la part, déjà minime, qu’ils accordaient autrefois à l’érotisme, se réduit aujourd’hui au strict nécessaire pour assurer la reproduction de l’espèce. Mais le plus curieux est que les sujets de sa gracieuse majesté le roi des peccamineux ne se trouvent pas tous au même stade de leur évolution vers le gallinacé.
Bien sûr, tous, en place de mains, ont bien des pattes de poule, mais chez certains le bec est encore peu marqué, ils se déplacent sur leurs deux jambes, quoique plus penchés qu’un homme normal, alors que chez d’autres, déjà, la peau se couvre de plumes, l’oeil s’arrondit en glissant sur le côté de la tête, et les jambes, s’atrophiant, ils ne se déplacent plus qu’en équilibre sur leurs solides mains griffues, picorant, de-ci, de-là, la vermine ou les graines. Evidemment, ces peccamineux au stade ultime de leur
évolution forment une sous-classe exploitée par les autres, ceux qui ont encore apparence presque humaine. On dit même que, dans les périodes de disettes, les peccamineux les moins évolués dévorent les autres ; mais ce ne sont peut-être que des racontars… Il est vrai que la malédiction divine ayant aussi entraîné une transformation morale, les peccamineux, se désintéressant de l’or, ne tournent plus leur avidité que vers le pur alimentaire. La caverne au trésor reste close à présent. Sait-on encore où elle se trouve ? Désormais, les voyageurs peuvent traverser le pays sans se faire dépouiller. Assis devant la porte de leur case de boue, les peccamineux se contentent de les suivre de leur oeil rond, quémandant en vain, d’un gloussement misérable, ces grains ou vermisseaux que ni vous ni moi ne transportons dans nos poches.
René Pons



(...)


-11-


Sans titre 1977/78
Feuilles de papier, colorant en
poudre à l'eau, moulage à la
peinture à l'huile blanche, liant
acrylique blanc, ech. 1/5

Un monde de papier

« Au fond, mon ami, vous fuyez vos responsabilités en ne parlant pas vraiment, deux fois sur trois, de l’oeuvre qu’on vous présente ?
— Quelles responsabilités ?
— Celles du discours critique.
— Je vous ai déjà dit ce que j’en pensais et je vous répète que je ne suis pas critique. Je suis seulement un amateur — celui qui aime — et, comme tel, je revendique la liberté de l’amateur, de qui, loin de se référer, pour tâter (et non juger) une oeuvre, à quelque table de la loi que ce soit, ne parle que de l’écho spontané qu’elle déclenche en lui. Les oeuvres de J.B., que je reçois depuis quelques mois, je n’en dis que ce qu’elles me disent, les histoires qu’elles me racontent. À travers leur matière, elles m’entraînent
vers un orient extrême seulement connu par les livres ou les oeuvres entrevues dans les musées. Pourquoi cela se passe-t-il ainsi ? Je n’en sais rien. Que le hasard y ait sa part ne me gêne pas. Que j’ai suivi la pente des images plutôt que du raisonnement me plaît. J’ai, ainsi, la sensation de secouer la poussière d’un savoir que j’abandonne sur le seuil de ces objets. Je suis dans le bonheur de l’errance,
loin des agences touristiques de la critique, comme un Colomb découvrant, en se trompant d’ailleurs,
l’Amérique. Selon moi, Colomb devrait être le patron des amateurs d’art. Saint Colomb priez pour nous !
— Vous plaisantez ?
— Que nenni : j’oublie seulement le pathos d’érudition dont on m’a chargé l’esprit, je jette aux orties les menottes professorales pour me laisser glisser, au fil des associations, sur une jonque de papier.
— De papier ?
— Oui, de papier, car tout ici est en papier, les mats, la coque, les quais auxquels nous abordons, les couchers de soleil et les nuits, les cataclysmes et les aurores…
— A propos de papier, savez-vous qu’il aurait été inventé par un certain Cai Lun, haut fonctionnaire de la cour de Han, au début de notre ère ?
— C’est du moins ce que l’on dit, mais d’autres pensent qu’il est bien plus vieux, datant sans doute de l’époque du général Moug-Tiang, sous le règne de l’empereur Shi-Houang entre 220 et 210 avant notre ère.
— Est-on, avec l’électronique, à la veille de sa disparition ?
— Pensez-vous ! On a besoin de son contact. Et puis, livres et rouleaux sont fascinants de la stratification de leurs feuilles qui ressemble à celle des civilisations, ces strates de mémoire à travers lesquelles les archéologues s’enfoncent vers l’horizon de nos origines. D’ailleurs, le papier n’est pas que livre, les japonais, ces prodigieux perfectionneurs, en ont fait des vêtements, chauds comme la laine, des armures légères, solides comme le fer, des imperméables résistant aux averses les plus affolées, des ombrelles impénétrables à la mort lumineuse, des éventails chasseurs de canicules, et même des maisons où les
panneaux glissants inventent de nouveaux espaces, comme ici l’artiste ne cesse d’en tirer sans cesse de nouvelles formes.
— A vous entendre, on croirait que le papier est le matériau par excellence ?
— Il l’est, puisque toute la mémoire du monde est conservée à sa surface et qu’au fond de la plus profonde prison le moindre de ses fragments donne au prisonnier un moment d’existence. Puisqu’il offre à qui écrit le puits béant d’une blancheur d’où peut sortir la vérité, puisque… Excusez-moi, mais le mot papier me fait devenir lyrique avec sa racine végétale et fluviale et toutes les dérives qu’il peut engendrer et auxquelles pour aujourd’hui nous mettrons fin. »
René Pons




(...)


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Sans titre 1979/80
Feuilles de papier, colorant en poudre à l'eau,
moulage à la peinture à l'huile blanche, liant
acrylique blanc, ech. 1/10

Au pays des vulcaniens

Chez les vulcaniens, tous les champs sont de longues parcelles triangulaires effilées, de dimensions identiques, disposées de telle manière que chaque culture mitoyenne ait une couleur différente. Ainsi, le jaune intense du colza voisine avec le bleu du lin qui lui-même borde le vert des blés naissants, le rouge des coquelicots et ainsi de suite. Bien sûr, comme toutes ces plantes ne fleurissent pas en même temps, ces couleurs alternent plus qu’elles ne s’unissent et, filmée en accéléré, cette floraison doit faire ressembler la surface du pays des vulcaniens à un kaléidoscope sans fin changeant. Ces champs accolés forment de vastes surfaces de forme ovale entre lesquelles se situent les villes, les forêts ou même les déserts, car il y en a ; et le centre de ces surfaces, là où les champs effilent leur pointe, est formé d’un trou de forme ovoïde creusé, au sommet d’une colline, comme une sorte de cratère, les champs étant cultivés non sur les endroits plats mais au flanc des collines qui sont ici nombreuses et dont la terre est exceptionnellement fertile. Pourquoi ces cratères en forme d’oeuf ? Parce que, dans la cosmogonie vulcanienne, le créateur du monde, n’habite pas le ciel mais les profondeurs de la matrice terrestre, là où sans fin bouillonne le feu central et où, après leur mort, revenant dans l’oeuf maternel, les morts descendent pour réchauffer leurs os refroidis. C’est pourquoi, sans doute, les vulcaniens, pour prier,
ne se prosternent pas, ne s’agenouillent pas, ne se balancent pas, mais se couchent, recroquevillés comme des foetus, yeux clos, une oreille collée au sol pour entendre la voix lointaine et grondante du dieu qui exaucera, ils en sont sûrs, leur prière. Ce trou, creusé à la pointe des champs, sorte d’oxymore
spatial, puisqu’il conjugue à la fois, par sa forme ovoïde, la génération, et par sa nudité— il ne faut pas que le moindre brin d’herbe y pousse — la béance d’un ventre stérile, est, pour les vulcaniens, un lieu de méditation. C’est là qu’ils viennent, silencieux, se pencher et jeter des morceaux de papier sur lesquels ils inscrivent les questions qui les préoccupent, pensant, à juste titre, que rien ne ressemble plus à une question qu’un trou et, qui plus est, un trou ovale. D’ailleurs, ce trou, ils ne le trouvent jamais assez profond, puisque leur désir est d’atteindre l’antre surchauffé du dieu, là où les roches ne sont plus roches mais gluant magma crevé de bulles huileuses. Il y a même, de colonie à colonie — ainsi appelle-t-on, les divisions du pays — une émulation à s’enfoncer toujours plus vers le centre de la terre ; et cette émulation, par l’enthousiasme qu’elle suscite, provoque bien des accidents mortels, des éboulements ensevelissant les fidèles, baptisés fanatiques par les esprits forts , qui se livrent à ces laborieuses prières, mais qu’importe, puisque mourir ainsi fait de la victime l’élu d’un dieu à la gueule béante, sorte de Saturne amorphe, qui leur fait la faveur de les dévorer.
René Pons



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Sans titre 1981/82
Acrylique, huile sur toile, coton et tarlatane, ech. 1/1
Collection FRAC Aquitaine

Divin cosmos

L’oeil, la cible, le cosmos.
Voilà les trois mots qui me viennent à l’esprit devant cette toile ou, plutôt, ce patchwork circulaire fait de tissus divers.
L’oeil, celui d’un Dieu unique omniprésent, colossal, de la dimension de l’univers et dont la pupille, multicolore et crépitante, projette, depuis son chaos sanglant circonscrit, des rayons aveuglants vers la terre.
La cible; mais une cible vivante qui aspire les traits lancée vers son centre ouvert sur l’infini, c’est-à-dire l’inconnu, labyrinthe d’astres violents qui obéissent à des lois subtiles auxquelles ils échappent parfois, se heurtant — désastre — en une explosion dont l’écho met des millénaires à nous parvenir.
Le cosmos, la carte de l’univers, l’explosion d’un arc-en-ciel géant brisé et dont les morceaux ont été recollés pour faire du chaos une harmonie.

Bref, le mouvement toujours, d’un solaire magma lumineux, le tournoiement, en trois dimensions, d’un
univers en fusion, une violence giratoire colorée et sonore.
Car la peinture peut émettre des sons, et battre, comme le réseau des artères sur le fond de l’oeil où se forme la vision, ce globe minuscule dans lequel se projette l’image de l’univers.
Après tout, l’oeuvre n’est peut-être que l’oeil inversé de celui qui la regarde, projetant en elle ce que bon lui semble et lui donnant ainsi un titre qu’elle n’avait pas.
René Pons


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