Gilles MIQUELIS 

Gilles Miquelis : C'est arrivé près de chez vous ! 

L'oeuvre de Gilles Miquelis est à la croisée du documentaire, du voyeurisme et du naturalisme. Une sorte de « Strip-tease » communautaire, le récit pictural d'un contemplatif qui donne à voir ce qu'il a dérobé au quotidien, à l'instant x où l'ordinaire se confond avec l'extraordinaire !

La nouvelle peinture figurative aura donc enfanté à Nice de jeunes talents prometteurs. Gilles Miquelis fait partie de cette génération qui, avec Gregory Forstner, envolé pour New-York et Axel Pahlavi, pour Berlin, donnèrent un coup de jeune à la toile de maître, chacun empruntant un sillon différent. Pour Gilles, qui partagea avec Axel une exposition à la Villa Tamaris (La Seyne-sur-Mer), puis à Londres, ce sera la comédie humaine vu des coulisses. Un spectacle de l'intime dérobée, un quotidien recadré à la manière d'Edward Hopper (1882/1967), un peintre qui dans l'ouest américain proposa un nouveau regard sur un monde en pleine mutation industrielle.
Et si à force d'être familier l'ordinaire devenait extraordinaire ! C'est tout le propos de Gilles qui convoque dans ces toiles, des baigneuses décomplexées, des ronds de cuirs en RTT/VTT, des beaufs avachis, des chiens enragés, des ménagères très libérées... Bref si Monsieur de Fursac habillait l'homme, Miquelis, lui, le déshabille, le croque à nu et à cru. A lui, les bas morceaux et « le sot l'y laisse » ! Et pourtant on lui donnerait volontiers le bon dieu sans confession. Visage d'ange, sorti d'un casting de jeune premier de la nouvelle vague, faux airs de Sami Frey, élégant, sobre ! Son coup de pinceau lui ressemble. Méfions-nous de l'eau qui dort !

Olivier Marro




Jacques Henric : Et ils ne virent plus qu'ils étaient nus...

Comme toujours avec les images, quelles qu'elles soient, il faut reprendre les choses d'un peu loin. Surtout lorsqu'il s'agit d'images peintes, faites de main d'homme. Je ne parle pas des images qui peuplent, involontairement, l'imaginaire des sapiens sapiens, qui habitent ses doux songes éveillés ou ses cauchemars, qui lui rappellent un passé, lui annoncent un futur, lui brouillent le présent, qui le font rêver, s'effrayer, s'exciter, délirer. Encore que... Est-on assuré que tous ces défilés ininterrompus de figures, de tableaux, de scènes, qui occupent notre cerveau, ne doivent rien à ce que des mains d'humains ont déposé depuis la nuit des temps, d'abord sur la paroi des grottes, sur du parchemin, du papier, de la toile, puis sur de la pellicule photographique, sur du film, aujourd'hui sur les écrans numériques de nos caméscopes? C'est un peu le dilemme: oeuf ou poule? Lequel, en premier? Est-ce que ce sont les images de carnages, de massacres, de visages défigurés, telles qu'on les voit quotidiennement sur nos écrans de télévision, qui nous font comprendre Picasso? Ou est-ce Picasso qui nous aide à voir la monstruosité du 2Oè siècle et de celui qui se prépare?

Prendre les choses d'un peu loin, même, et surtout, quand on se trouve devant les dessins et tableaux d'un tout jeune homme, (puisque c'est le cas de Miquelis, qui en est, m'assure-t-on, à ses premières productions graphiques), aide à y voir un peu clair dans le tout-venant de la création contemporaine. Prendre les choses d'un peu loin s'impose quand vous avez devant les yeux la figuration de corps humains, hommes, femmes, ados, adultes, vieillards, fillettes, enfants, et quand ces figures, croquées avec un mélange de tendresse, de cruauté, d'ironie vacharde, de pudique compassion, de réalisme aigu, vous renvoient, pour les confirmer, pour les contredire, pour les affiner, pour les critiquer, à vos propres observations, vos propres visions, vos propres fantasmes, à votre intimité et à votre histoire. En somme, les images de Miquelis, minis reportages à caractère quasi sociologique sur une part importante de notre quotidien spectacle, nous interrogent plus profondément, au-delà du témoignage direct, sur l'essence de l'image, et, disons-le sans trop d'emphase, sur l'essence de l'humain.

La chronique de notre actualité, vous l'avez là, sous les yeux, sans enjolivements, à cru: les plages en été avec leurs bellâtres à casquette, à slibard, rouleurs de mécaniques se grattant la queue, buvant une canette de bière, faisant la roue devant une nénette à poil se dorant au soleil, ou avec un couple de nudistes à gros bides et à grosses miches. Ce n'est pas du Reiser, avec son Gros dégueulasse, le trait de Miquelis ne vise pas la caricature, son registre n'est pas celui du grotesque, même si la volonté satirique est présente, elle ne vise aucune critique sociale, politique, idéologique, morale. Miquelis ne juge pas, il se contente de constater. Vous l'avez aussi, la chronique, avec cette prostituée à grosses fesses celluliteuses, en string, corset et gants noirs, sur la promenade face à la mer, attendant le client; avec cette jeune femme, torse nu, l'air triste, assise dans sa cuisine; avec cette skieuse, rigolarde, descendant à poil une piste; avec cet intello à lunettes pissant dans un bidet; avec cette blonde à monstrueux nibards rappelant ceux de Lolo Ferrari ; avec ce photographe prenant des clichés d'une autre volumineuse blonde; avec ce couple de gays moustachus enlacés; avec cette mi-femme migamine allongée, sexe exhibé, se caressant le sein, sortie de l'imaginaire d'un Egon Schiele; avec ce gros clebs au milieu d'un champ de fleurs; avec ce bébé encore sanguinolent tout juste mis bas; avec toutes ces minettes prenant des poses aguicheuses...

Prendre les choses d'un peu loin, c'est se demander quelle catastrophe est arrivée à notre humaine espèce, à nos corps, à nos âmes, pour en arriver là, à ces images de nous que nous voyons aujourd'hui dans le miroir qu'un artiste nous tend. Je dis nous, car qui oserait prétendre que ces personnages émouvants et ridicules, beaux et moches, poseurs, narcissiques et misérables souvent, ne sont pas une part de nous, une part de cet humain d'après la catastrophe?

Quelle catastrophe? Prenons donc les chosés d'un peu, loin remontons le temps: la dégringolade du Paradis. Ce fichu péché originel, La pomme, le serpent, Ève...Et la biblique conséquence: " Et ils virent qu'ils étaient nus ".

Une histoire de la peinture commence alors, effet de la Chute. Soit les descendants du couple originaire, négligeant cette histoire pour eux abracadabrantesque de fruit défendu, de Dieu vengeur en colère, ou l'interprétant à leur façon, se voient bien nus, mais beaux, entiers, pleins, indemnes de la salissure originelle. On a alors ces milliers de corps peints, de Masaccio à Matisse, admirables, peuplant nos musées. Soit une autre lignée d'artistes, enregistrant la culbute originelle des corps et des âmes, voient bien qu'ils sont nus, mais eux se voient blessés, défigurés, abîmés, sabotés, salis, tachés, et sexués, donc divisés, plus entiers, plus pleins, plus enveloppés, protégés par quelque grâce d'avant la Chute. Arrêtonsnous devant Goya, Rembrandt, Toulouse-Lautrec, Schiele, Artaud, de Kooning, Bacon... Arrêtons-nous devant une possible image de nous.

Mais si, par hypothèse, nous étions entrés dans une nouvelle ère de l'histoire de la représentation. Si nous étions dans une post-post catastrophe. Dans d'une sorte de catastrophe au carré. Plus grave que le " Ils virent qu'ils étaient nus ", n'en serions-nous pas aujourd'hui à ce constat: " Et ils ne virent pas qu'ils étaient nus ". Même avec casquettes, slibards, strings, bottes, bas, collants, pantalons, corsages, manteaux, et même nus, carrément nus, ils ne voient plus qu'ils sont nus, que leur corps et leur âme sont nus. Désertés. Privés d'une parole qui vivifie. Peut-être qu'une jeune génération d'artistes, comme celle à laquelle appartient Miquelis, peintres, auteurs de B.D, de vidéos, est en train de rendre compte de cette déréliction qui guette chacun de nous? Sans doute se cherchent-ils encore eux-mêmes, sans doute avancent-ils encore avec des hésitations, des maladresses, en tout cas, il serait dommageable pour les rescapés des catastrophes que nous sommes, de ne pas leur prêter attention.





Vices privés et vertus publiques

Né à Nice en 1976 en pleine jacquerie punk, au moment où le classement X permet à la bourgeoisie de s'encanailler dans l'obscurité autour de films aux titres si suggestifs qu'ils auraient pu être ceux de ses toiles, si l'artiste n'avait eu d'autres visées. « Le sexe, la nudité, ce n'est pas une fin en soi. C'est la façon la plus efficace que j'ai trouvé de traiter l'humain sans vernis protecteur, tel qu'il est, tel que nous sommes tous en privé, loin des regards ! » Car c'est bien de regards qu'il s'agit dans la peinture de Miquelis, « la technique suit » explique ce dernier qui se souvient de celui tendre et cruel de Reiser qu'il classe dans son panthéon aux côtés de celui d'Hopper ou de David Hockney, deux peintres du backstage de l'American way of life.
Au sortir du lycée, Gilles, qui taquine le crayon prenant pour modèles « Des photos de starlettes de Cinémonde et des héros de la revue Strange », s'expatrie, après un passage à la Villa Thiole et à Montpellier pour y faire ses Beaux-Arts. «  La peinture, c'était pas l'orientation de la Villa Arson. A Montpellier on était quatre à peindre sur 200. Bref, on considérait alors le dessin comme un outil, alors que c'est l'arme absolue ! »
Cette passion, il la tient de son père, scaphandrier de profession qui peignait des aquarelles et s'adonna à la BD mais aussi de pioches plus improbables « ... des illustrations à la gouache des revues des sixties, des affiches de films des années 50, des couvertures racoleuses des tabloïds à sensation comme « Détective ». Une low culture qui aiguise sa libido et lui ouvrira bientôt la voie d'un itinéraire bis dans sa quête plastique.



Fenêtre sur cours

« J'observe, je ne peins rien qui ne soit volé à la réalité. Mais je ne le fais pas pour choquer juste pour documenter ». La mariée, clope au bec et presque mise à nue, c'est une de ses copines, le jour de ses noces. « C'est assez grossier, mais quand j'ai fait des croquis de prostituées, j'ai demandé à mon épouse qui était enceinte de m'accompagner en voiture pour les photographier en douce ». Scandale, outrage ? Non anthropologie ! Et Lautrec, Goya ou Egon Schiele s'y prenaient-ils plus habilement ? L'artiste travaille d'après nature mais aussi d'après photos. Puis il dessine sur rhodoïd et charge à l'huile parfois sur la toile, parfois sur d'immenses calques. Fenêtres opaques, glaces sans tain ? Un exercice initié en 2003 et présenté à la galerie Norbert Pastor dont l'artiste fit partie avant de rejoindre la galerie RDF puis Sintitulo à Mougins. Les galeries passent mais les séries s'enchaînent, le peintre épiant par les planches disjointes, la province qui fait relâche le dimanche et vaque à ses occupations dans les jardinets, arrière-cours, terrains vagues, campings, plages etc. Parfois on isole le sujet comme un freak sous formol, on le capture en smala, ou en duo scabreux canidé/femme ! « Les chiens, je m'en sens comme une présence masculine dominante, ce sont aussi des gardiens ». Des chiens de berger qui rameutent le corpus social qui s'égare, qui barrent le passage à l'intrus ? Des cerbères qui, livrés à eux-mêmes se sautent à la gorge comme dans son oeuvre extraite du guide « Ici Nice » et proposée à l'exposition éponyme au chantier Sang Neuf.



« Ma peinture est une critique de la société actuelle. Manet, Van Gogh faisaient le même travail en leur temps. C'est le sujet qui m'intéresse, la peinture sublime l'intention, l'enrichit ! ». Ainsi les coulisses deviennent l'avant-scène, les « girls from next door », héroïnes malgré elles d'une peinture de moeurs à forte valeur cinématographique. Le 7ème art est d'ailleurs l'une des autres références du peintre, du cinéma italien (« Affreux, sales et méchants ») à celui de Bertrand Blier qui titille la condition humaine via la scène belge qui s'en fit le chantre inspiré, de « C'est arrivé près de chez vous » à la série documentaire « Strip-tease ». Et le théâtre de l'absurde n'est jamais loin : « L'humour, c'est dur à traiter en peinture, mais c'est un défi qui me plaît. Picasso dans le genre, reste le maître absolu. Il m'a inspiré dans ce sens ». Il est vrai que le grotesque selon l'angle où l'on piège peut être un puissant révélateur ! Alors, pendant que la population enfle, fait craquer les coutures, le vernis, Miquelis joue les « Peeping Tom », ses pinceaux fouillant le ventre des tribus modernes avec cette férocité mêlée d'empathie qui ne semble jamais vouloir se contenter du jugement des hommes.



champs de références


Reiser
Vuillemin
Picasso
Bukowski
Bertrand Blier
De Kooning