Jérôme GRIVEL 

Jérôme Grivel est un artiste français né en 1985.
Son travail s'étend à divers médiums, de la sculpture à l'installation en passant par le dessin et la performance.

Au coeur de son oeuvre réside une interrogation sur les violences sous-jacentes dans nos sociétés contemporaines. Ses créations portent en elles une révolte implicite, dépeignant non pas un parti pris mais une mise à nu froide et parfois brutale des angles morts de notre époque. Ce sont des propositions plastiques mais surtout mentales, renvoyant aux caractères dystopiques de notre monde et oscillant entre construction critique et absurdité drôlatique. Elles jouent sur la frustration, l'aliénation et les pressions sociales, politiques et économiques qui gouvernent nos vies, celles des artistes. En résulte une pratique protéiforme où le dessin, la sculpture ou encore la performance peuvent tour à tour devenir le médium qui saura le mieux décrire cette recherche.

Dans ses performances intitulées "Occurrences", Jérôme Grivel "use sa voix", hurlant au micro dans des musées et centres d'art, créant un décalage glaçant avec son environnement. Ces cris, qui progressivement se transforment et se répètent grâce aux dispositifs électroniques de mise en boucle qu'il met en place, forment une matière sonore complexe, toute en nuances, reprenant les vocalisations des chanteurs de musiques extrêmes (punk hardcore et métal), des courants musicaux souvent méconnus et parfois méprisés. Allant jusqu'à son propre épuisement, ces pièces sonores font passer le spectateur de l'état de stupeur à une transe presque méditative. Proche d'un Chris Burden, Grivel nous met face à une violence sonore directe et perturbante. Il pirate les lieux et nous questionne sur ces temples modernes où règne habituellement un silence religieux, que sont les musées et centres d'art, ici perturbés par les cris d'un artiste.
Dans ses sculptures et dessins, Jérôme Grivel représente des architectures qui contraignent le visiteur, des escaliers menant à des cages, des giratoires où l'on ne rencontre jamais l'autre, des sculptures de métal aux formes minimalistes évoquant des cellules. Ces propositions plastiques s'inscrivent dans une recherche sur la place des corps dans l'architecture, elles sont dans la continuité de celle d'un Absalon ou encore d'un Bruce Nauman. Chaque oeuvre est une stratégie d'évasion que l'artiste nous présente, mais dont la finalité n'est pas une solution mais une constatation inquiétante : l'incarcération permanente. En cela, elles sont les images mentales d'une tension entre l'homme et son environnement, le besoin de liberté et la réalité contraignante voire violente et répressive.

Dans sa récente série des "Paysages-clôture", il réalise des dessins au fusain, des paysages entre étrangetés et banalités quotidiennes sur lesquelles des grillages métalliques sont juxtaposés. Ces grilles, à la fois décoratives et obstructices, prennent des allures mondrianesques et renvoient à la modernité. Le dessin et la virtuosité sont visibles mais à travers les barreaux de cette prison créée par l'artiste mettant le spectateur face à un dilemme : si ce dessin est en cage, est-il dangereux ? Ou bien est-ce la cage qui muselée ? C'est sans doute entre le dessin et la grille qu'un espace se crée et donne toute sa profondeur à cette nouvelle série.

Fondamentalement, l‘oeuvre de Jérôme est issue d'une colère provoquée par la condition humaine. Elle pointe la faculté qu'ont les gens d'ignorer les situations qui les dérange voir les oppressent.

C'est cette violence sourde qui irradie dans son travail et qu'il s'emploie à nous remettre sous les yeux sans fard ni grand discours.
Damien Levy










L'éclat du cri, une journée dans l'exposition-résidence de Jérôme Grivel, Christian Ruby, TK21 n°154, juin 2024

• Interview de Jérôme Grivel pour Métaphysiques des occupations, Laurent Bourbousson, Ouvert au public, avril 2024









Jérôme Grivel (né en 1985, vit et travaille entre Montreuil et Nice) place son corps et les nôtres au coeur d'une réflexion à la fois sensorielle, physique et critique. L'artiste s'appuie sur les théories sociopolitiques et son expérience personnelle pour formuler un constat : nos corps sont régis et contraints par un système hétéropatriarcal, capitaliste, occidental et raciste. Ce constat n'est pas nouveau puisqu'il trouve une résonnance transhistorique. Les rouages acerbes de ce système autoritaire contraignent les corps : physiquement, psychologiquement et économiquement. Jérôme Grivel propose des tactiques pour s'émanciper individuellement et collectivement de ce système d'oppression et d'exclusion des corps qui refusent de se soumettre à ses diktats.

Les oeuvres peuvent alors prendre différentes formes et techniques (vidéo, performance, sculptures, projets architecturaux). Par elles, nous faisons l'expérience extrême des relations de pouvoir entre les corps dominés et les corps dominants. Extrême, parce que l'artiste n'hésite pas à s'emparer de la violence et de l'absurdité de son objet d'analyse. Par elles, Jérôme Grivel fabrique des situations inconfortables et déstabilisantes qui génèrent une alternative à la soumission, la possibilité d'un affranchissement. Par le mouvement et la prise de décision, il propose de retourner une situation qui semble empêchée. L'esthétique froide et minimale des oeuvres est inhérente au système mis en critique par l'artiste. C'est l'introduction des corps, le sien comme les nôtres, qui va innerver l'oeuvre d'émotions et d'états nouveaux : l'empathie, le choix, la tendresse, l'humour, le mouvement. Les oeuvres manifestent un refus pluriel, celui de la contrainte, de l'invisibilisation, de la fixité, du renoncement et de l'indifférence.

Julie Crenn
(extrait du texte commandé par le Centre d'art Madeleine-Lambert, Vénissieux)








• Entretien avec Héloïse Lauraire pour Artaïs contemporain
https://www.youtube.com/watch?v=CDlW5jQhJqA


• Vidéo d'artiste confiné – Artaïs contemporain
https://www.youtube.com/watch?v=YSiq6aBYXXE







Artiste et musicien, Jérôme Grivel déploie une oeuvre pluridisciplinaire questionnant les relations entre espaces, expériences et limites. Décliné sur le mode performatif, son répertoire sculptural, vocal et filmique convoque les « tactiques » émises par les courants conceptuels subversifs des années soixante-dix et les cultures musicales alternatives avec l'apparente légèreté des reprises de tubes. Désamorçant les faits perceptuels mêmes qu'elles semblent appeler, ses oeuvres tantôt labyrinthiques, cryptiques ou énigmatiques ouvrent des perspectives critiques sur les mécanismes informant nos expériences et nos émotions, et sur la faculté des corps à répondre, détourner ou s'accommoder de situations particulières. Contraintes absurdes, détournements d'usages normatifs donnent lieu à des situations extrêmes autant que dérisoires, brisant toute fétichisation des codes et langages, esthétiques y compris. La coercition apparente peut ainsi venir révéler la possibilité d'une prise de liberté et la frustration être le vecteur d'une réinvention des capacités de faire et d'exister.








Si l'on devait trouver un dénominateur commun au travail pluridisciplinaire de Jérôme Grivel, ce serait celui de la perception. Qu'elles se concrétisent sous forme de sculptures, d'installations sonores, de vidéos ou bien encore de performances, les stratégies en jeu dans son travail visent constamment à impliquer les limites physiques et perceptuelles des spectateurs ou de son propre corps. Jérôme Grivel reprend (quasiment au sens musical du terme « reprise ») les tactiques de l'ensemble que constitue ses références (l'avant garde des années 70, le cinéma expérimental, les musiques extrêmes) tout en les désamorçant. Dispositifs sonores muets, architectures s'écroulant sur elles mêmes ou bien vaine tentative d'hurler plus fort que le train qui passe sont quelques exemples à l'oeuvre dans ses propositions. Volontairement aussi bien efficace qu'inefficient, le travail de Jérôme Grivel questionne, avec une ironie dissimulée mais tout en s'interdisant le moindre cynisme, nos manières d'être face aux objets, aux formes et autres stimuli qui nous entourent.

Alys Demeure








• Lire l'entretien publié dans le catalogue de l'exposition Premier rendez vous #5, 2019








Jérôme Grivel s'intéresse à la faculté des corps, ou des sculptures qu'il construit, à répondre à des situations contraintes, à la recherche de ce point de rupture à partir duquel un état bascule dans un autre. S'agissant de ses Improvisations architecturales, l'affaire est entendue : cette série, initiée dès 2009, est composée de structures complexes qui, construites avec des matériaux non appropriés, finissent par s'effondrer. On contemple alors le résultat de la contorsion opérée par la matière – les tiges de métal plient mais ne rompent pas – sous l'effet de forces physiques qui accueillent un aléatoire.
Avec le spectateur, évidemment, la question se corse, puisqu'à l'effet mécanique se substitue la question du choix, de la prise de décision voire de la créativité. Les Structures déambulatoires de l'artiste attendent, donc, d'être complétées par les visiteurs. Il s'agit, cette fois, d'un assemblage de barres d'acier qui s'apparente à l'ossature d'un labyrinthe à contre-emploi, puisque l'on ne peut s'y perdre. Ces formes strictement géométriques, minimales, ne débordent pas leur fonction de « cadre ». Mais un cadre transparent, donc, à rebours de nos sociétés de contrôle basées sur l'induction de contraintes qui conditionnent nos modes de vie et de pensée. « Je m'intéresse à la façon dont les corps peuvent, dans une situation donnée, retrouver un espace de liberté à l'intérieur, la subir ou la détourner », explique Jérôme Grivel.
La liberté n'est pas sans choix et sans doute pas sans résistance, dans l'espace normé qu'est aussi le lieu d'exposition. Pièce de repos (2013) se présente ainsi comme un espace « semi privé », délimité par des structures de lattes en bois le dévoilant aux regards extérieurs : il offre la possibilité au spectateur de s'allonger sur une stèle légèrement inclinée, la tête plus basse que les pieds, pour entendre en direct le son à peine amplifié de l'espace d'exposition.
Enfin à ce jeu là, Jérôme Grivel ne s'épargne pas lui-même. Dans un cycle de vidéos consacré au thème du cri, on le voit s'égosiller tout en retenant le son de sa propre voix jusqu'à épuisement (Parabole #3, 2015). Ou, doté d'un casque et d'un micro connectés en circuit fermé, se hurler dans les oreilles à n'en plus pouvoir (Parabole #2, 2010). Il s'agit bien, ici, d'habiter la contrainte – puisqu'il y a toujours un cadre – et par là même d'exister, c'est-à-dire étymologiquement de « se tenir hors » d'une illusoire autonomie. Pour explorer les possibles.

Marine Relinger
Texte publié dans le catalogue : En forme de vertige, Bourse révélations Emerige 2017