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| Un doigt pour des nuages
La tête morte recule, soumise à ce geste qu'elle ne peut pas voir et qui la porte à la renverse : écarquiller les yeux (éveil d'un cerveau sourd). La peau peut être grise, crayonnée, quand elle lève les yeux, c'est la mort qui s'étire et le désir qui met à nu. Naissance muette et féline, fauve-pierre, décillée. Le dessin n'est pas seulement étonnant, il est étonné et c'est par ce dernier trait qu'il est premier: encore une fois, et de façon toujours inédite, il lève un cran de sureté. C'est la mort qui se découvre et ainsi, se révèle sans défense. Dessiner n'a peut être été que cela depuis un temps immémorial, l'approche sourde et muette mais d'une lucidité imparable, d'une mort sans défense, destituée du chapitre ou de l'en-tête qui semble toujours la placer au même endroit couvre- chef ou vanité. Elle n'est pas un attrait pour le dessin, mais elle peut demeurer comme un principe d'attraction dont chaque figure esquissée et portée à terme, se fait aussi la distraction (une vie en toute innocence). Distraction d'illuminée: ouvrir grand les yeux pour qu'en appel une autre orbite promette d'autres horizons... Promesse de corps que les doigts cernent avec la plus extrême des délicatesses; eux seuls mesurent les étranges épaisseurs animales qu'il faut à cet être traverser pour ne pas être sidéré.
Doigts sur-cils. Vibratiles. Reptiles. Doigts qui baguent l'orbite des yeux, aimantant autour de leur fixité cette limaille de faits qui pourraient la briser ou la menacer, l'aveugler avant l'heure, empoussiérer son désir de sonder. Fragiles remparts issus des bras au sang gris... Insensiblement ils sont montés au front... Juste au seuil de cette dentelle de fleurs qui est aussi le manteau ou la traîne d'une mort blanche. Le dessin y oppose ses propres battants et battements; son étrangeté dégrise l'espace. Et, pourtant, cet être indistinct quant au genre cherche à distinguer quelque trait jusqu'à lui passé inaperçu. Peut-être est-il né d'une ombre âgée, ou d'une double pénombre que l'absence de couleur rend transparente ou diaphane? Peut être s'éprouve-t-il comme un étrange revenant, ignoré, épargné par tous ces temps morts qui sont aussi la poussière des cieux? Il cherche, au coeur de ce qui n'est plus une nuit mais un temps sans néant, l'étrange débouché, ce don inassimilable d'un dessin qui nait bouche-cousue, bouche absente, où le son se fait l'ombre muette d'une oreille dressée à tout (susceptible d'entendre mais sourde toutes ces choses qui s'effacent sans avoir pu être coupable de voies de fait). « Un animal dans la lune » (La fontaine) ne rêvasse pas, il voit, c'est-à-dire redresse la chose dans son invisibilité congénitale : « Mon âme en toute occasion, / Développe le vrai caché sous l'apparence; / Je ne suis point d'intelligence / Avec que mes regards peut être un peu trop prompts, / Ni mon oreille, lente à m'apporter les sons... ».
Il c'est aussi bien cet autre, aux grandes oreilles: un indistinct inégalable, unique au monde dans sa façon de mélanger les genres, si parfaitement hybride qu'il excède, absolument, toute nécessité d'identification (ou de classification). Il tient entre ses doigts la théière-sachet noire qui est au principe de ses infusions, de cette modalité d'être qui est la sienne, à lui seul, « infus » au monde, loin de toute confusion et voyant ce qui n'est pas visible avec un tact de regard qui exclut toute forme diffuse. A ses yeux, tendus par les oreilles, rien ne fut... et chaque trait est. Il est présent comme tout... Et ne répondant à aucun dessein, témoin presque sans charge d'un état atone, auquel le dessin seul a le singulier pouvoir de donner corps, anomal. Il n'existe que par la peau et les yeux... sans ossature, dissimulant (par ce qui est plus qu'une pudeur) un membre caché ou fantôme qui n'est pas le signe d'une infirmité mais peut être le tenant d'un deuil dont le monde n'a pas idée. Ou d'un jeu, qu'on ne saurait se représenter, atrophié. Atrophie qui innocemment intrigue. Un monde second vient à soi et semble venir à nous mais il veille ses temps et ses approches; il délègue de fragiles sentinelles. Il vient par parties, par corps à peine constitués mais pourtant intègres. Il vient par ailleurs, inquiet peut être, soucieux de discerner les parages qui sont les siens, et ceux vers lesquels il semble s'orienter, pressentant qu'ils pourraient être hostiles ou trop rudes. Evaluation de deux mondes à la fois convexes et complexes (le temps s'y pointe et s'y étend): leur rapport doit être tout sauf irréfléchi, surtout s'il est déraisonnable. Ici- et donc là- c'est ce qui est vérifié qui marque l'appoint propre à une déraison conjurant toute folie. Au sommet de cette tache rose comme un nuage de baudruche, le petit garçon vérifie la mèche (celle qui, détachée de la masse, fait que la vérité d'un rapport tiendra à un cheveu, question d'oreille et de langue, d'assise et de chaise porteuse). Cette mèche-là ne se vend pas. Elle s'étire hors des lieux communs. Elle évente les sorts, effile les sortilèges. Elle semble reliée à un bien au-delà, dont on a pas idée. S'en tenir à ce seuil - momentanément. Un espace vient. Sensible comme un éventail fait pour dissiper, peu à peu, les nuages et leurs apparences. Il vient et le souffle qui l'habite se laisse deviner avec un demi-doigt dressé. Souffle au long cours ... Daniel Dobbels (juillet 2006)
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Techniques et matériaux
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Matériaux divers et supports : papier, toile, mur, bois, carton, carton plume, béton, verre, ... Techniques du dessin, de l'estampe, peinture à l'huile, peinture acrylique | |
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Mots Index
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matrice apparence - face imaginaire sensibilité inscription énigme présence signifiant distribution carbone économie théorème rêverie goûter lettre consteller essor geste | |
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champs de références
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Albrecht Dürer
Ecrits de Robert Smithson
Maurice Blanchot
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