Ymane Fakhir est une artiste en art visuel basée à Marseille, et la fondatrice de Daret. Elle s'intéresse à la construction et à la transmission des récits et des sources orales au Maroc. Elle observe et revisite leurs déploiements, pour interroger leur place dans l'imaginaire collectif de la société contemporaine.
Ces dernières années, elle a travaillé sur des courts-métrages et des installations, comme The Lion's Share (2017), qui examine la question de l'égalité d'accès à l'héritage entre les femmes et les hommes au Maroc, également présenté à l'Institut des Cultures d'Islam (2022) ou encore Le gouffre du Léopard (2020) sous la forme d'une lecture performée ainsi que la vidéo installation As we go along dans le cadre de manifesta 13 et Mécènes du sud à Marseille.
Plus récemment, elle a divisé son temps entre sa pratique artistique et la mise en place de Daret. Dans cette nouvelle mission, Ymane repense l'espace de résidence comme un espace sécurisant et un moment de transition pour les artistes, où ils peuvent explorer l'imaginaire marocain et façonner d'autres conditions de création.
Ymane Fakhir est engagée dans une pratique de la photographie, qui croise des procédés documentaires et incursions fictionnelles. Ses oeuvres ont fait l'objet de nombreuses expositions en France et à l'étranger, et notamment à l'occasion d'Africa Remix qui a voyagé de Düsseldorf, à Londres, en passant par le Centre Pompidou à Paris, et jusqu'à Tokyo et Johannesburg. Son travail s'inscrit dans un territoire extensible qui tente des passerelles entre la France et l'aire méditerranéenne, et en particulier le Maroc, son pays d'origine.
Dans ses photographies, elle explore la question du féminin, lorsque sa touche à la dichotomie entre espace public et espace privé, renvoyant ainsi aux dimensions normatives des usages sociaux dans la culture arabo-musulmane. Ainsi, Son travail photographique documente la permanence de phénomènes sociaux et anthropologiques anciens, alors même que les sociétés arabo-musulmanes tentent de négocier le virage de la modernité. En effet, dans tous ses projets, et notamment dans les deux plus récents - Le trousseau et Le bouquet elle s'empare d'objets liés aux quotidiens, apparemment triviaux comme par exemple le trousseau traditionnel que toute mère se doit de constituer pour sa fille : serviette, bijoux précieux et de pacotilles, objets décoratifs, chemises de nuit et pantoufles, parures de lit, et vaisselles. Tous ces objets renvoient à la maison telle qu'elle doit être tenue par toute femme de bonne famille, alors même que leur accumulation forme un univers clos que la jeune mariée sera condamnée non seulement à habiter, mais à perpétuer. Le Bouquet (2006-2009) s'attache aux décorations florales qui ornent les belles voitures de location qui forment le cortège des mariés. Il s'agit ici d'inventer un roman familial qui place les membres de cette cellule dans un espace-temps hors classe social pour l'espace d'une journée,. Ainsi, sur un mode métonymique, chaque détail de ces deux séries révèle les contradictions profondes et les mécanismes de construction d'un espace et d'un imaginaire social, qui irriguent sa culture d'origine.
Ymane Fakhir explore les signes de mutation de l'espace urbain dans cette ville tentaculaire qu'est devenue Casablanca, surnommée la New York de l'Afrique. On voit ainsi fleurir des constructions massives de lotissements bon marché à destination de nouvelles classes moyennes issues de l'économie informelle, et parallèlement des bâtiments dédiés aux acteurs de la nouvelle économie de marché marocaine. En témoignant et en révélant les mécanismes des transformations de ce paysage urbain, elle rend compte de cette modernité contradictoire dans laquelle est engagée le Maroc et de nombreux pays de cette région du monde : la survivance d'une économie de la “débrouille“ à côté des méthodes les plus efficaces du capitalisme avancée.
La transmission comme moteur artistique, une interview de Ymane Fakhir, par Afrique In Visu, 2024
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