Bernard POURRIÈRE 

Alexandre Castant, Le corps, véhicule sonore , in catalogue Bernard Pourrière Performances, installations sonores et vidéos éditions Silvana Editoriale, 2015

Dans l'oeuvre de Bernard Pourrière, installations, performances et dessins, photographies et vidéos ont, à chaque fois, une autonomie plastique : ils constituent les étapes successives, moins d'une exploration des médiums sonores, que des matériaux et des médiums artistiques par et avec le son et ses déclinaisons. Dans cette perspective, le travail de Bernard Pourrière sur la couleur, ou plutôt sur les fragments d'une gamme de monochromes (noir, gris, ivoire, blanc...) qui constituent régulièrement ses pièces, introduit son expérimentation artistique. Tout comme un travail sur la ligne (plastique, graphique) qui figure traits et tracés dans l'espace (avec des agencements et des installations de fils électriques et de câbles, par exemple dans Sans titre, 2013 ou dans Installation 1 préparatoire à une performance sonore, 2014). Or, telle recherche sur la plasticité expérimente le son : le dessin sonore en sera la première expression... Ainsi de partitions dessinées ou gestuelles (qui rencontrent, évidemment, l'intérêt de Bernard Pourrière pour l'oeuvre de Cornelius Cardew), mais aussi numériques (Partitions 23, 24, 25, 26, 2008) qui donnent à voir le son, avant même sa production et précisément pour le produire, et, ce faisant, en sont l'expression plastique à l'état de silence.

Du silence des instruments à la musique aléatoire

La forme souvent incongrue des instruments de musique que Bernard Pourrière invente ou assemble – leur silhouette étrange pourrait-on dire – participe également de cette exploration graphique dans Sans titre, 2013 (pied à roulette métallique, bois) ou dans Sans titre, 2014 (pied charleston, cymbales, tiges métalliques). Instruments irréels faits d'enceintes, de percussions ou d'objets numériques, utopies sonores souvent montées sur des roulettes, et donc possiblement mobiles, mécaniques déposées dans le vide, et en général silencieuses, cet instrumentarium imaginaire semble être fait pour être vu et figurer un déclenchement ou une mobilité du son dont le hasard, des machines, serait le véhicule. Dès lors, entre aléatoire et programmation, ou entre composition et interaction, Bernard Pourrière a aussi bien réalisé une pièce d'après Musique pour carillon n° 2 de John Cage (1954) que, en 2010, une installation faite de multiples haut-parleurs, posés sur des tréteaux de bois, qui évoque un orchestre d'instruments de musique dans le vide, un concert d'enceintes aléatoires... Éloge ludique du probable et de l'incertain... À cet égard, l'étrange désordre (précis et très ordonné dans son chaos !) dans lequel ces instruments de musique trouvent une place épurée, et se déplaceraient si la consigne de se mouvoir leur était donnée (dans Sono mobile, 2012, des enceintes sont posées sur un chariot), constitue une plate- forme d'attente pour une action sonore en devenir.
Il y a souvent une part de dérèglement dans les performances de Bernard Pourrière. Par exemple, dans Un tabouret, deux chaises (2014), les gestes qui servent de structure de base (notamment : souffler dans une trompette en papier, répéter des mouvements anodins...) organisent les éléments précaires d'une performance qui, allant de plus en plus vite dans la répétition et l'endurance, devient un jeu sur l'épuisement du processus de départ et son double (qui est l'aléatoire). Il en va pareillement dans une performance récente en Chine où, mêlé à un public qui s'entraîne dans un parc, Bernard Pourrière suit leurs exercices physiques dans le rythme jusqu'à ce que la mécanique de ses propres gestes se dérègle, et que, au milieu de ce même public, il produise des mouvements si décalés qu'ils en deviennent absurdes.

Contrainte et burlesque – un corps sonore

Mécaniques, automatiques puis déréglés, les gestes sont produits en quelque sorte pour eux- mêmes dans les vidéos de Bernard Pourrière. Tel le vocabulaire éphémère de leur propre dynamique, ils sont vides de sens apparent et le corps y est souvent mis en difficulté, dans une contrainte, presque maltraité, contrarié. Ainsi, coincé sous une table ou élaborant une position impossible, le corps (de l'artiste? du performeur? d'un sujet à l'état d'idée?) produit un mouvement d'abord minimal qui procède, ensuite, du burlesque. En s'inscrivant dans une tradition qui traverse alors le cinéma (on songe aux mouvements de Jacques Tati), l'art contemporain (aux performances de Bruce Nauman) et la chorégraphie (à Silence Must Be ! de Thierry de Mey), entre mime et signaux, ce corps se fragilise : contrarié mais déterminé, il devient de plus en plus perdu mais aussi musicien, ou plutôt il véhicule des sons. Dans un paysage lumineux (Court circuit, 2012), des capteurs sont posés sur le corps de l'artiste qui, sur un tuyau en plastique, va à l'endroit, à l'envers, puis fait une course à l'endroit, à l'envers... Variations électromagnétiques et musicales... Car il y a, aussi, un corps sonore quand Bernard Pourrière se déréalise pour devenir percussion, caisse de résonance, casques ou enceintes dans Écoute à deux en 2012. Dans cette dernière perspective un rien potache – entre Laurie Anderson (The Handphone Table, 1978) et Cabines d'écoute de Vincent Epplay – le corps se métamorphose en conducteur de sons pour, soudain, se réinventer dans l'espace.

Alexandre Castant est essayiste, critique d'art, professeur des Écoles nationales supérieures d'art, il a notamment publié Planètes sonores, radiophonie, arts, cinéma (Monografik, 2007 & 2010).






Jean-Yves Bosseur : Bernard Pourrière, le son, le corps et l'outil technologique, in catalogue Bernard Pourrière, éditions Silvana Editoriale, 2012

Dans le cas de certaines oeuvres s'apparentant au domaine de la sculpture sonore et de l'installation, la notion de participation du spectateur prend un tout autre sens que celui qui lui est habituellement attribué dans le cadre de représentations publiques. Afin que l'expérience acoustique ne soit pas réservée à ceux qui possèdent une base instrumentale, certains musiciens et/ou plasticiens préconisent le recours à des sources ou objets sonores des plus diversifiés, par delà toute pratique préalable.
Sans nécessairement devoir être pris comme une fin en soi, les moyens techniques développés au cours de ces dernières décennies pour la production et la diffusion des phénomènes acoustiques et visuels ont incontestablement modifié aussi bien notre appréhension du son que les rapports que celui-ci entretient avec les composants visuels liés à sa manifestation même et à son environnement. Actuellement, la plus grande partie des musiques que nous percevons est orientée, de gré ou de force, vers l' électro-acoustique, c'est-à-dire toute musique conçue, en tout ou en partie, par rapport à un support (analogique, digital, informatique). Notre perception apparaît donc de plus en plus explicitement médiatisée par l'électronique et il n'est pas étonnant que, au-delà d'un constat qui ne serait que passif, un certain nombre d'artistes, tel Bernard Pourrière, élaborent des hypothèses de réaction créative, voire subversive, à un tel état de fait. Des productions électro-acoustiques aux installations, la voie semble tracée, le recours aux nouvelles technologies représentant un moyen de jonction entre des modes d'expression dont les circuits de diffusion ont longtemps été maintenus à l'écart les uns des autres.
Dans la plupart des projets multimedia, la mise au point d'un circuit électronique audio-visuel devient partie intégrante de la composition, au même titre que la définition d'un matériau plastique ou d'une instrumentation musicale, contribuant à donner son identité à chaque projet.
Il est bien sûr très difficile d'opérer une classification stricte entre des "catégories" comme performance, multi ou inter-media. La nature même de telles activités brouille justement tout critère de classement. Le sonore intervient parfois comme un contrepoint critique nécessaire au visuel. Au croisement de plusieurs tendances bien distinctes mais qui ont malgré tout en commun l'ambition de passer outre les divisions ressenties comme trop schématiques entre modes d'expression artistiques, l'installation pourrait bien apparaître comme l'héritage, d'une part, des inventeurs de nouvelles lutheries, des adeptes des multi-media, des plasticiens pour qui l'élément sonore est devenue une composante à part entière de leurs processus de création. Dans l'installation, la notion de participation du spectateur se charge d'implications très différentes de celles que l'on peut observer dans les "happenings", où celui-ci est généralement incité à réagir instantanément à des stimulations qui lui sont adressées à l'intérieur d'un temps qui demeure celui de la représentation ou du spectacle. L'installation donne à l'auditeur/spectateur la possibilité de se forger son propre parcours, dans une durée qu'il se détermine lui-même. S'il lui est proposé d'être "actif", ce sera tantôt au niveau de la perception, tantôt de la manipulation des objets disposés dans le lieu d'exposition.
En ce qui concerne le recours aux nouvelles technologies, un des axes d'approche consisterait à partir d'outils détournés de leurs fonctions initialement prévues. Il est en effet manifeste que la plupart des équipements dont nous disposons aujourd'hui, tels les synthétiseurs, ordinateurs, ou équipements interactifs, ont été conçus à des fins commerciales ou fonctionnelles assez étroitement prévisibles. Il appartient alors aux artistes qui les reprennent à leur compte de montrer dans quelle mesure ce que l'on attend d'eux peut être transgressable, dans un sens critique ou ludique. Le procédé technologique devient un instrument mis au service d'un processus compositionnel. Dans ce cas, le prestige de sa nouveauté ou de sa complexité s'efface pour laisser s'imposer le propos de l'oeuvre proprement dite, afin que celle-ci soit autre chose qu'une démonstration habile à partir de données techniques préexistantes. Or il faut bien admettre que plus la séduction exercée par la technologie est forte, plus la tension qui permet à l'artiste de faire valoir ses droits sur elle suppose l'enjeu d'un projet personnel capable de s'émanciper de ce qui ne serait qu'une application par trop littérale de ses modes de fonctionnement. On peut toutefois constater que l'attitude de récupération, souvent teintée d'humour, des matériaux les plus hétéroclites, éventuellement tirés de l'environnement le plus quotidien, présente dans de nombreuses oeuvres liées à la sculpture sonore, s'est étendue, ces dernières années, au champ de la technologie qui, à son tour, a pris le caractère d'un gigantesque bric-à-brac, jusqu'à perdre peu à peu quelque chose de son aura naïvement sacralisée. Cela a pu conduire certains artistes à coupler les objets les plus élémentaires, ainsi que le corps, avec des moyens de programmation informatique des plus sophistiqués. L'oeuvre de Bernard Pourrière est particulièrement significative à cet égard.
Plus généralement, la diffusion différée transforme la perception que l'on a d'une source sonore et favorise précisément de fertiles quiproquos. Le fait d'oblitérer l'origine visuelle du son et de l'inscrire dans un contexte inédit contribue à le dépayser, perturbe tout sentiment d'évidence ou de familiarité, faisant activement intervenir l'action de la mémoire. L'outil technologique devient de ce fait un auxiliaire susceptible d'"interpréter" la nature selon des modalités qui échappent aux moyens traditionnels et ouvrent vers l'inconnu. Mais les technologies n'engendrent-elles pas elles-mêmes rapidement des systèmes de convention et de conditionnement ? Dans les installations, le son contribue à délimiter activement un lieu, résorbant l'opposition dualiste entre temps et espace, une des propriétés du son étant en quelque sorte de sculpter l'espace.
On pourrait par ailleurs distinguer les installations où l'auditeur/spectateur est mis en présence des mécanismes ou composants technologiques qui donnent naissance aux objets sonores, pouvant dans certains cas infléchir leur production, de celles où l'origine du son et ses transformations apparaissent partiellement "dématérialisées", l'invitant plus à se concentrer sur le son lui-même et le rapport qu'entretient celui-ci avec l'architecture du lieu que sur son mode de fabrication.
Dans certains cas, le dépistage des mouvements du spectateur est à l'origine de séquences de sons dont l'articulation dépendra étroitement de ses déplacements. Par exemple, dans une installation de Pourrière réalisée en 2007, une caméra reliée à un ordinateur capte certains mouvements de la personne assise au centre d'un espace prévu à cette intention ; ses gestes déclenchent des chants d'oiseaux dont elle peut faire varier à volonté l'organisation. Encore convient-il d'ajouter que, dans ses installations, ce sont des cris d'animaux, des chants d'oiseaux ou des bruits d'êtres humains téléchargés sur internet puis retravaillés sur ordinateur, comme si l'artiste tenait, par là même, à travers la mise en place de tels « objets sonores trouvés », à instaurer une distance avec ce qui pourrait apparaître comme la conséquence de choix essentiellement subjectifs, pour s'orienter de préférence vers une forme de collecte et d'archivage. Tout se passe comme si Pourrière se plaisait à jouer sur l'aspect de représentation que suppose la transmission de tels phénomènes sonores à travers un médium comme Internet, et cela lui permet en outre d'intégrer toutes sortes de bruits parasites, d'imperfections, donc d'inscrire l'accidentel au coeur de sa démarche.
Les séquences sonores qu'il réalise sont basées sur des techniques de découpage et de mixage. Selon ses propres termes, « des fragments sont isolés et peuvent fonctionner indépendamment, ou bien s'associer à d'autres par le jeu des “copier-coller” et des duplications. Le fragment peut se démultiplier, se scinder et se coupler à d'autres fragments, empruntés à d'autres espèces ». Plus qu'une déconstruction, on observerait plutôt chez lui « la mise à plat d'éléments modulables, capables d'interactions, de regroupements, d'extensions, de dilutions, voire d'effacements parce qu'ils ne sont pas figés, ni déterminés ». Ces opérations lui donnent la possibilité de manipuler à sa guise des éléments pour forger des matières hétérogènes. Et cela constitue aussi pour lui une manière personnelle de décliner des principes comme ceux de l'hybridation et du clonage, tellement déterminants dans le travail sur le son au moyen des techniques électro-acoustiques les plus récentes.
« L'aléatoire est une partie importante de mon travail aussi bien dans la manipulation des fragments sonores que peuvent générer les spectateurs/acteurs par leurs déplacements, que par des combinaisons que je propose dans mes performances où peut s'instaurer un jeu entre quelque chose de plus calculé (pouvant s'apparenter à une partition) et quelque chose de plus expérimental. Ce côté expérimental est aussi important dans le sens où j'essaye de mettre le corps en difficulté dans ces mouvements et ces gestes, le rapport du corps à l'outil technologique, et où le corps peut devenir un outil de composition, surtout quand je travaille avec plusieurs personnes en même temps ».   
Pour Space 2007, un dispositif de capteurs balaye un périmètre défini. Ceux-ci déclenchent des phénomènes acoustiques en fonction des mouvements d'une personne qui a simultanément la possibilité de les visualiser sur écran. Dans une autre installation de 2007, les déplacements du spectateur, lorsqu'il marche ou touche les tapis disposés au sol et sur le mur, influent sur le dispositif, constitué aussi bien d'éléments vidéos que de phénomènes sonores.
En effet, l'équipement propre à une installation sera fréquemment présenté comme générateur de faits tout à la fois visuels et sonores, les deux aspects visant à s'accorder dans la perception. C'est pourquoi les câbles, tiges métalliques, les microphones et leurs pieds, les haut-parleurs... ne sont nullement dissimulés, participant à leur manière d'une sorte de dramaturgie du sonore. On ne saurait toutefois nullement déceler de parti pris esthétique artificiel dans de tels dispositifs, qui sont avant tout présentés comme la condition nécessaire à la mise en oeuvre et à la manifestation d'un processus, avec les multiples aléas que cela suppose.
Chez Bernard Pourrière, le dispositif électro-acoustique représente un pôle d'intérêt visuel à part entière qui permet à l'auditeur/spectateur de saisir, ou en tout cas de pressentir, de quelle manière les sources sonores ainsi provoquées peuvent être manipulées en temps réel. Il devient, pour un temps, un « performeur », invité à faire corps avec un équipement technologique spécifique associé aux séquences de sons préenregistrés. Très souvent, ses installations mettent en relief des expériences individuelles. Par exemple, dans Gym 2007, couché sur un tapis de caoutchouc, les genoux pliés, un auditeur/spectateur déplace avec ses pieds un haut-parleur équipé d'un capteur, ce qui, dès lors, modifie le son émis.
Il peut également arriver que plusieurs personnes conjuguent leurs actions, un peu comme s'il s'agissait d'un petit effectif de musique de chambre. Ainsi, dans une installation de 2007, les mouvements et déplacements de trois personnes modifient-ils le son en temps réel, tandis qu'un quatrième participant module leurs interventions au moyen d'un ordinateur.
La plupart de ses installations reposent sur des gestes simples, chacune étant polarisée sur une action unique, comme s'il s'agissait d'un solo, ou mieux, d'un duo entre le corps et l'équipement technique propre à chacune : le fait de tourner sur soi-même, de se balancer, d'être en équilibre, de bouger les pieds, remuer les mains, de façon plus ou moins maîtrisée. Certaines peuvent donner lieu à une situation qui semble évoluer d'elle-même : dans Sous table, le performeur, qui tient dans une main un capteur relié à un ordinateur interférant sur la fréquence et la tonalité d'un chant d'oiseau, expérimente un espace où le geste se fait de plus en plus restreint, ce qui n'est pas sans rappeler le propos théâtral d'un Beckett. Dans Tonneau, le performeur se sert manuellement de deux manettes WIi pour gérer le résultat sonore, tout en devant assumer la difficulté de se déplacer.
À la croisée de l'intelligence artificielle, de la robotique et de la génétique, les processus générés par Pourrière restent largement ouverts, au sens où l'auditeur/spectateur se trouve nécessairement confronté à une part d'inattendu, d'inentendu. Alors que de nombreuses oeuvres basées sur les nouvelles technologies ont tendance à se refermer sur des objets clos, il en va tout autrement dans ses installations et performances, qui intègrent de plein droit les notion de jeu et de flexibilité.




Didier Arnaudet : Le plaisir des bifurcations, in catalogue Bernard Pourrière, éditions NeKaTONEA, Domaine d'Abbadia, 2008

"Oreille différente, oeil neuf,
reste à trouver les ressorts de cette métamorphose."
Robert Pinget

Il se passe quelque chose et quelque chose cherche à s'échapper, se redistribuer selon une autre donne. Des éléments s'associent parce que leur objectif semble être le même mais cet objectif est difficilement identifiable. Des forces s'orientent vers de nouvelles demandes, d'autres territoires où les pleins et les vides alternent sans interruption. Pieds métalliques, haut-parleurs, lecteur cd, câbles, walkmans, casques, ordinateur, caméra, lecteur vidéos, moniteurs, capteurs, tabourets, socles, estrade, tapis, rythmes de respirations, battements de coeur, chants d'oiseaux : jeu de ressemblances, de parallèles et d'échos où chaque repère, au lieu de se boucler sur lui-même, s'ouvre sur ce qui l'entoure. Le monde convoqué par Bernard Pourrière est un monde où tout se tient et tout se fragmente, un monde où des énergies se propagent, gagnant de proche et proche tous les points de l'espace, en sorte que chaque proposition particulière influence l'ensemble, mais que l'ensemble aussi exerce une action sur chaque point déterminé. Il n'est pas uniquement en évolution puisqu'il avance aussi une réaction à cette évolution. La démarche consiste ici à mettre en contact deux phénomènes : l'un se déploie et revendique sa visibilité d'appareillage, l'autre résiste, donc prolifère, se module, se divise au gré des conditions de son émergence, de sa réception et de l'infini désir, des possibilités, des ressources de l'espace. Outils technologiques, dispositifs, actions, séquences sonores, images se confrontent et se conjuguent, se recouvrent et se découvrent. Un ensemble constitué de poussées, de pressions et de résistances n'est possible que parce qu'il existe entre ses composants un équilibre qui permet à ces poussées, ces pressions et ces résistances d'opérer. Cet équilibre, c'est la jonction du corps qui mobilise, enclenche et du corps qui regarde et écoute.

Le corps est ici une question ouverte, mouvante, jamais définie, maintenue sous pression par une succession de reprises qui l'amène pour ainsi dire, au seuil de la rupture. En même temps, elle acquiert par là une énergie qui lui restitue une vitalité que lui aurait fait perdre toute tentative de définition. Car cette question n'est pas donnée une fois pour toutes dans une formulation stéréotypée. Elle progresse en refusant tout cadre définitif, en élargissant son champ d'investigation, se multiplie en se répétant, et s'amplifie au fil des propositions à saisir, à entendre, à actionner. Comme si pour atteindre la matière sensible, il fallait se perdre dans l'enchevêtrement des images, des sons et des gestes qu'elle fait naître, sans prétendre l'organiser autrement qu'à travers cet imaginaire qui la rend perceptible. Bernard Pourrière nous invite à pénétrer dans ce motif du réseau convoqué par la question du corps, à expérimenter ses appels, ses circulations et ses freinages. Car se rendre disponible, s'enfoncer dans ce jeu de contacts, de sensations, de souvenirs et d'inventions, se laisser entraîner par ses recours, ses résonances, voilà bien la bonne manière d'adhérer à lui, de s'en servir mais aussi de l'excéder, d'approcher de ce qu'il cache, de ce foyer de rencontres insoupçonnées. Et à mesure que l'on accepte ses sollicitations, que l'on participe à ses énigmes, l'idée même d'une finalité, d'un terme à atteindre s'efface peu à peu devant le plaisir des embranchements, des arrêts et des bifurcations. Le seul but qui s'impose alors, c'est celui de s'inscrire dans l'ampleur de l'étendue des registres qui s'offre à nous, d'agir sur son grain vivant, de profiter pleinement de l'extrême variété des événements qui s'y produisent.





Lire aussi le texte de Pierre Paliard : Bernard Pourrière. Les musiques de l'absence., in catalogue Espèce composite, Pierre Paliard, Fabien Faure, Centre d'art contemporain du CAIRN, Digne.




Since the beginning of his career, Bernard Pourrière has examined the evolution and transformation of life in relation to new technologies. He is interested in the notions of space-time and in the shifting, movements and gestures of the body in space in correlation with digital media. He has developed an experimental acoustic work since the late 90s, which includes both performances and at times interactive installations. He has collaborated with musicians, dancers and choreographers on numerous occasions, and composed a great number of soundtracks for artists' videos.



Techniques et matériaux


performance
installations, techniques multiples / installations, mixed media
dessin numérique / digital drawing
ordinateur / computer
photographie
son / sound
vidéo
Mots Index


nature
artificiel
science
technologie
homme
corps
animal
mixer
performance
installation sonore
son
musiques expérimentales
nouvelles technologies
multimedia
vidéo
électro-acoustique
corps
body art
espace
espace-temps
manipulation
mutations
artificiel
clonage
partition
sound art
electronic media
silence
danse
mouvements
gestes
scénographie
aléatoire
in situ
champs de références


Musique : Jean-Yves Bosseur, Maurizio Kagel, Georges Aperghis, Philip Glass, Thierry de Mey, Parmegiani, Pierre Henry, Pierre Schaeffer, John Cage, Luc Ferrari, La Monte Young, David Tudor, Cornelius Cardew
Poésie : Julien Blaine, Christophe Tarkos, Ghérasim Luca, Ma Desheng, Bernard Noël, Bernard Heidsieck, Raymond Queneau
Danse : Anna Halprin, Yvonne Rainer, Olga Mesa, Lucinda Childs, Martine Pisani
repères artistiques


Art conceptuel, Nam June Paik, Donald Judd, Art Minimal, Max Neuhaus, Bernhard Leitner, Bruce Nauman, Laurie Anderson, Vincent Epplay