Mireille LOUP 

Mireille Loup, l'Arlésienne ou "chacun de ses visages"

« Pendant qu'il boit, séduit par l'image de sa beauté qu'il aperçoit, il s'éprend d'un reflet sans consistance, il prend pour un corps ce qui n'est qu'une ombre. »
Ovide, Métamorphoses

Formée à l'École Nationale de la Photographie d'Arles, Mireille Loup y revendiquait déjà son penchant pour le ton tragi-comique. Curieuse et avide de théorie, elle écrit un mémoire sur le "contre-sérieux", nourri en partie de recherches préliminaires sur Marcel Broodthaers, à Bruxelles. Fascinée par l'articulation sémiotique du texte et de l'image, Mireille Loup s'attarde sur les rares légendes des photographies de Weegee et de Magritte, mais aussi sur les caricatures érotiques de Michel-Ange. Elle réalise alors ses premiers livres d'artiste autobiographiques, comme l'unique Un jour il faudra que je pense à me marier (1994).

Dès l'âge de dix ans, Mireille Loup se rendait une fois par semaine dans la cabine d'un photomaton et consignait dans des albums l'accumulation de ses identités, veillant à leur attribuer un genre respectif BCBG, sentimentale, rock. On peut dire qu'une des premières séries de l'artiste trouve ses origines dans ces rituels d'enfance. La pièce Chacun de mes visages, commencée en 1992, est une recherche autobiographique en work in progress. Elle se compose aujourdhui de quatre-vingt cinq portraits photographiques - mis en scène ou non - et d'autoportraits de l'artiste, disposés en frise sur la cimaise. Suivant un cadrage récurrent, serré autour du visage de Mireille Loup, tous les genres sont exploités, depuis les prises de vues à l'Instamatic au flash, en studio, jusqu'aux mises en scène les plus rocambolesques et drolatiques. Cette série importante constitue la clef de voûte d'un corpus d'oeuvres déjà très cohérent, où domine la maîtrise du mode narratif.

Mireille Loup pratique l'art du scénario avec aisance. Christophe, Anne, la photographe et leurs amis (1991-1997) rassemble six récits micro-fictionnels, conçus à l'origine comme des storyboards aux titres représentatifs du langage de l'artiste : Rencontres a contrario I, II, III, Lutte interne, Sociologie gisante, Les paquerettes oblongues. Les photographies mettent en scène des personnages inspirés de son autobiographie, à qui l'artiste attribue des légendes ou des clins d'oeil aux références contemporaines : elle se voyait finalement satisfaite d'avoir lu tout Derrida, Cindy faisait des autoportraits en Bacchus. Une autre série de photographies, De ces couples qui se sont tant aimés (1998), propose cinq situations amoureuses, bucoliques ou citadines, véritables variations sur l'appropriation des clichés romantiques. Lorsque Mireille Loup imagine une version contemporaine du mythe de la citrouille (L'homme à la courge, 1999), elle rend hommage aux films dont elle partage l'univers, comme Les enfants du paradis et La bergère et le ramoneur.
La vidéo permet à l'artiste de prolonger cette démarche. Influencée par un père chanteur d'opéra, elle est très tôt immergée dans l'univers de la comédie. Dans la trilogie Henri (1994), Henri II, Le retour (1998), Henri III, La chute (1999), Mireille Loup incarne différents stéréotypes féminins suivant une série de saynètes humoristiques (déclaration d'amour, vie de couple, séparation) où elle s'adresse à un personnage fictif, Henri. Ces vidéos sont un écho de Chacun de mes visages, bien sûr. On découvre encore les portraits multiples de l'artiste dans Achetons français (1998), contre-pied et satire du système D, en lien direct avec deux livres d'artistes, Réflexion d'une artiste subventionnée par le R.M.I. et Réflexion d'une vacataire au chômage technique (1997).1
Mireille Loup domine surtout l'orchestration de complexes installations visuelles et sonores. Après Hyper (1998)2, gamme polyphonique et polysémique en hommage au père, l'artiste s'adresse cette fois à la mère. Avec Une femme de trente ans (1999-2001)3, elle propose la reconstitution de la vie dune femme imaginaire. Point de départ du projet, la nouvelle de Mireille Loup s'inspire de la vie de trois femmes (l'artiste elle-même, sa mère, sa modèle Anne Savi), et prend pour modèle le célèbre récit d'Honoré de Balzac, La femme de trente ans (1828-1842), composé sur commande d'un éditeur désireux de rassembler six nouvelles de l'écrivain relatives à trois femmes différentes4. Éditée chez Filigranes, la nouvelle s'accompagne d'une lecture en studio soutenue par des créations musicales. Sur les photographies en couleur disposées en frise, l'héroïne jouée par Anne Savi dévoile au spectateur les instants de sa vie mystérieuse5, avant sa disparition brutale - énigme de la nouvelle. Une vidéo tournée en style documentaire vient conforter le caractère policier de cette intrigue, à l'aide de témoignages fictifs de l'entourage de l'héroïne. Certaines clefs de la fiction émergent, comme la récurrence d'un portrait photographique noir et blanc de la mère de l'artiste - de l'héroïne ? - à l'âge de six ans. Un double hommage, en somme, à la mère et à Roland Barthes : « J'observais la petite fille et je retrouvais enfin ma mère »6.


1 Les livres d'artiste de Mireille Loup, en exemplaires très limités et rarement montrés, représentent une part non négligeable de son oeuvre - en tant que pratique proche de celle du journal intime - et symbolisent l'unité cohérente de sa démarche depuis 10 ans.

2 Trois installations ne seront pas abordées ici, qu'il convient de citer cependant. Les Fatigués (1997), inspirée de l'Essai sur la fatigue de Peter Handke, est une fresque de 42 photographies couleur accompagnée d'une bande sonore rythmée de phrases stéréotypées sur le thème du pseudo-dynamisme exigé par une société de surconsommation. Hyper (1998), conçu par Mireille Loup comme un hommage à son propre père, est un mur recouvert d'une centaine d'images dénonçant l'excessivité des attitudes sociales, renforcée par le ton paradisiaque et virtuel de la bande sonore. L'Hors de soi (1999), enfin, répond à une commande de la Scène Nationale de Mâcon, et met en scène des comédiens prononçant les phrases correspondant aux légendes décalées de portraits photographiques.

3 Mireille Loup, Une femme de trente ans, Trézélan, Filigranes Éditions, 2001. Voir le site web associé à l'installation : http://femme30ans.free.fr, primé au Festival International du Film de l'Internet (FIFI) de Lille.

4 Mireille Loup précise ainsi sa proposition : « Un siècle et demi après La femme de trente ans d'Honoré de Balzac et la naissance de la doctrine féministe, trente ans après mai 68 et (...) la libération de la femme, comment regarder et comprendre aujourdhui une femme qui a trente ans à l'aube du troisième millénaire ? »
« Tandis que Julie, l'héroïne de Balzac, se voit enfermée à vie par un mariage déçu, la femme de trente ans actuelle est libre de partir sans culpabilité à la recherche d'un amour qu'elle ne rencontrera sans doute qu'une seule fois, ou peut-être jamais (...). Mais elle sera seule responsable, seule détentrice de son libre arbitre, face à un appel affectif qui parlerait d'inconfort moral, enivrant, épuisant. »

5 Le visage de l'homme sans nom apparaît toujours brouillé sur les photographies, renvoyant à son absence et à la solitude de l'héroïne.

6 Roland Barthes, op. cit.


Extrait du texte de Cécile Camart Histoires de filles Autoportraits et mythologies aux miroirs in Fictions d'artistes, Art Press Hors Série, avril 2002


« While he drinks, seduced by the beauty of his image perceived, he is overcome by a reflection without substance, he mistakes what is but a shadow for a body. »
Ovide, Métamorphoses
Trained at the École Nationale de la Photographie d'Arles, Mireille Loup brandished her penchant for the tragi-comic tone while still a student there. Curious and avid for theory, she writes a thesis on the "counterserious", partially informed by preliminary research on Marcel Broodthaers, in Brussels. Fascinated by the semiotic articulation of text and image, Mireille Loup dwells upon the rare captions accompanying photographs by Weegee and Magritte, but also upon the erotic caricatures by Michel-Ange. During this period she realizes autobiographical artist's books, such as the unique edition of Un jour il faudra que je pense à me marier (1994) (One of these days, I should think about getting married).
From the age of ten, Mireille Loup would go to the photo-booth once a week and compile her accumulating identities in specially designated photo albums, taking care to assign them respective genres such as PREPPY, sentimental, rock. It might be said that obe of the artist's first series originates with these childhood rituals. The work entitled, Chacun de mes visages, commenced in 1992, is an autobiographical request in the form of a work in progress. It is currently made up of 85 photographic portraits -staged or unstaged- and self-portraits of the artist, presented as a frieze on the wall. Tightly framed around Mireille Loup's face, the pictures run the gamut of genres, from instamatic flash photos, studio shoots, down to the most incredible and strange stagings.
This important series represents the cornerstone of a body of already very coherent work, where the mastery of the narrative mode dominates.
Video allows the artist to widen the scope of her process. Influenced by a father who was an opera singer, she is quickly immerged in the world of comedy. In her trilogy Henri (1994), Henri II, Le retour (1998), Henri III, La chute (1999), Mireille Loup incarnates different feminine stereotypes in a series of humoristic skits (declaration of love, life as a couple, separation) where she adresses a ficititous character named Henri. These videos are of course an echo to Chacun de mes visages. The artist's multiple portraits areto be discovered yet again in Achetons français (1998), a counterpoint and satire of système D, in direct relation to twoartist's books, Réflexion d'une artiste subventionnée par le R.M.I. et Réflexion d'une vacataire au chômage technique (1997).1
Mireille Loup domine surtout the orchestration of complex visual and sound installations. After Hyper (1998)2, a polyphonic and polysemic range paying tribute to the father, the artist this time adresses her mother. In Une femme de trente ans (1999-2001), she proposes a reconstrcution of the life of an imaginary woman. Point de départ du projet, Mireille Loup's story takes its initial inspiration from the life of three women (the artist herself, her mother, her model Anne Savi), and models itselfon the renowned story by Honoré de Balzac, La femme de trente ans (1828-1842), composed on commission by an editor eager to compile six stories by the writer eprtaining to three different women4. Edited by Filigranes, the story is accompanied by a studio-recorded reading backed with musical creations. In the color photographs presented as a frieze, the heroine, played by Anne Savi unveils moments of hermysteriouslife to the spectator5, before her brutal disappearance - the story's enigma. a video shot in a documentary style bolsters the detective nature of the intrigue, helped along by fictitious eyewitness accounts from the heroine's entourage. Certain clues to the fiction emerge, csuch as the recurring black and white photoportrait of the artist's mother - the heroine ? - at the age of six. In short, a doubletribute, to themother and to Roland Barthes : « I observed thelittle girl and I found my mother »6.

1 Mireille Loup's artist's books, edited in extremely small numbers and rarely shown, represent a non-negligeablepart of her work - as a practice in close realtion to her diary - and symbolize the coherent whole of her work for thelast ten years.
2 Three installationsnot dealtwith here withinshould nonetheless be cited. Les Fatigués (1997), inspired by Peter Handke's Essay on fatigue, is a fresco of 42 colorphotos accompanied by a soundtrack whose rhythmis provided by stereotyped sentences on the subject of the pseudo-dynamism demanded by consumer society. Hyper (1998), conceived by Mireille Loup asatribute to her own father, is a wall covered over with a pproximately one hundred images denouncing the excesses of social attitudes, reinforced by the paradisiacal and virtualtone of the soundtrack. Lastly, L'Hors de soi (1999) was conceived in response to acommission by the Scène Nationale de Mâcon, and uses actors pronouncing sentences corresponding to the out-of-whack captions from photographic portraits.
3 Mireille Loup, Une femme de trente ans, Trézélan, Filigranes Éditions, 2001. See the web siteconnected tothe installation : http://femme30ans.free.fr, primé au Festival International du Film de l'Internet (FIFI) de Lille.
4 Mireille Loup clarifies her proposition : « One hundred anfd fifty years afters Honoré de Balzac's La femme de trente ans and the birth of the feminist doctrine, thirty years after May 1968 (...) and womens' lib, how are weto look at and understand a thirty-year old woman in the wake of the third millenium ? »
« Whereas Julie, Balzac's heroine, sees herself condemned for life in a dissapointing marriage, today's thirty year oldwoman is free to leave without guilt in search of love she will certainly only encounter once, or perhaps never (...). But she alone shall be responsablefor this, she alone wields her free will , confronted with the affectionate yet uplifitng and exhausting call call that speaks of moral discomfort face à un appel affectif qui parlerait d'inconfort moral, enivrant, épuisant. »
5 The image of the man who has no namealways appears out of focus in the photos, harkening his absence andthe heroine's solitude.
6 Roland Barthes, op. cit.

Excerpts from the text by Cécile Camart Histoires de filles Autoportraits et mythologies aux miroirs in Fictions d'artistes, Art Press Hors Série, avril 2002







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