Hildegarde LASZAK 

Texte d'Anaïs Dormoy
Voici la mise en exergue d'une charge humaine et politique du Dessin : la reconnaissance de l'autre. Il y semble important d'éviter toute interprétation du positionnement de l'artiste tant la revendication d'abondance est ici sans arrogance, mais à l'inverse nous indique que la production de forme lui est essentielle. Croyez l'artiste car elle avertit justement de ce qui va suivre...

L'erreur première serait donc d'accorder une allure performative à sa production en place du caractère vital à oeuvrer : la question de faire autre chose ne se pose pas, il y a abondance de dessins ou il n'y a pas ! Cette ampleur résulte d'un investissement "corps et âme" dans la création d'un monde en continu, générateur de succession de pages, de couches. C'est, pour Hildegarde, une mise au service de la profusion d'images comme de l'affluence d'impressions persistantes qui instaurerai/restaurerai une mémoire sans fin.

L'imagerie dessinée est tirée tant de la fiction que du tangible et les allusions sont faites essentiellement à l'histoire de l'art et la culture populaire. Des périodes de vie (moments, phases, événements) se dégagent et viennent teinter la production passionnante  (érotisme, boisson, musique, mort, etc.) : l'évolution "sans filet" dans une subsistance cyclique. Cependant, la conception d'un "monde idéal" ne se fait pas exclusivement par sa représentation, elle naît
déjà dans la place accordée à l'expression : donner forme à l'informe, au sans-forme... « Soutenir l'insoutenable »¹.

L'artiste donne à voir de vieux, de nouveaux dessins, avec ou sans qualité à ses yeux et le questionnement de la pratique passe intuitivement par l'utilisation de techniques traditionnelles (crayon, plume, encre de Chine, acrylique, collage, etc.), parfois numériques. C'est l'occasion de certifier une absence volontaire de hiérarchie, intimement complice de la posture sensible et sincère de l'artiste. On découvre la proposition à sonder un récit du monde à travers l'actuelle place des images dans notre société et avec elles, leur potentiel allégorique.

La récurrence de certaines figures ne vient pas appuyer un principe tautologique, mais davantage le signe d'un glissement de position : Hildegarde se place en (ré-)interprète de ce qu'elle produit, travaillant, s'évertuant à donner des tonalités différentes. Peut être, est-ce la marque d'une volonté de dire, plus, mieux ou autre chose en vue d'une guérison... par la résurrection ? Le spectateur assiste alors à une valorisation de l'exercice du processus de création, une mise en jeu particulière entre "intention" et "création".

Lorsque l'écriture et le dessin se partagent l'espace du support, il ne s'y joue aucune autorité entre ces deux formes : L'artiste écrit à la main et indique discrètement qu'il s'agit de dépasser l'émancipation du trait pour entreprendre la libération des carcans. Outre la poésie des "mots-gimmics" d'Hildegarde, c'est le signe du territoire d'une "poéso-graphie" [création-description(dessiner, écrire)].

Le corps n'échappe pas aux sujets de représentation. Il est illustré parfois abîmé, meurtri, amputé, dans la perspective de révéler les liens entre l'esprit et ce médium unique d'existence. Ce témoignage de vie se dégage de plus belle sous une autre forme, la traçabilité des gestes. Tâches et ratures ponctuent et organisent l'espace du support différemment du trait ; elles figurent les marques d'une considération pour la main. L'attestation de son autonomie, en ce sens qu'elle n'est, plus estimée comme simple exécutante de l'esprit : elle a libre court et peut se prendre en compte jusqu'à interroger sa propre légitimité à être.

« De l'esprit aux membres supérieurs : c'est le premier geste qui traduit ce qu'on ressent. »²

Si la création passe inéluctablement par le dessin, la démarche dépasse, s'accroche, glisse et se déplace. Cette idée d'extension du support conduisant à un lieu, introduit la question du corps et de sa présence obligatoire pour valider l'espace. Le spectateur assiste/se confronte à un déploiement : le "dessin augmenté" s 'acquitte de son support de complaisance - le papier - pour devenir installation. Est envisagé ici, le fait que les intentions viennent influencer et remanier les dimensions prises en compte dans l'oeuvre. En conséquence, l'organisation mentale vient s'articuler dans l'espace physique et propose un dispositif topographique.

L'enjeu systématique d'Hildegarde Laszak est de happer le spectateur, de l'emmener tester les limites et réinterroger les dimensions du support. Le trait nous apparaît, alors comme guide et on apprend l'existence d'un pouvoir, un rattachement à plus grand que ça : on découvre qu'il ne se joue pas un délire hallucinatoire, mais une fulgurance créatrice. L'artiste nous montre bien plus qu'un mode de vie, c'est une vocation absolue pour le dessin et le combat est perpétuel.


¹ Jean-Luc Nancy. Le plaisir au dessin. Catalogue d'exposition , P.91. Edition Hazan, Paris 2007 et Musée des Beaux Arts de Lyon, Lyon 2007.

² Barthélémie Toguo, Barthélémi Toguo et le dessin, Interview, Drawing Now, Paris 2014.