David MOZZICONACCI 

Un robinet, froid métal poli ; une série de photographies des dormeurs, allongés sur des matelas, à même le sol ; des lugeurs, au loin dans un paysage aux douces et reposantes ondulations ; deux points lumineux réguliers, tels deux yeux trouant l'obscurité. Autant de lieux disparates, autant de situations apparement étrangères les unes aux autres.
Depuis maintenant deux décennies, une question lancinante traverse la pratique photographique soucieuse d'approche documentaire : comment restituer un état de la société, comment travailler en image les mutations de nos environnements familiers, urbains, professionnels ? Décrire le monde des objets ? A cela deux réponses souvent, un peu vite opposées l'une à l'autre : le travail en série, systématique (le propre de la reproduction photographique a-t-on souvent dit), ou la recherche de l'image, juste, et son élaboration. Pour reprendre deux figures tutélaires la photographie, d'un côté le systématisme obstiné des Becher, de l'autre les mises scène et en espace méticuleuses de Jeff Wall. Et une voie médiane, celle d'une captation précise mais ouverte, soucieuse de synthèse mais attentive à l'occasion, la trouvaille, l'accident d'une rencontre, ce qui caractérise nombre travaux de William Eggleston.
Le travail photographique de David Mozziconacci, se rattache à cette dernière approche, ne renonçant pas à l'occasion aux rigueurs de la série, ancrée dans notre monde contemporain mais ne se refusant pas les échappées sur la fiction, approchant dit-il “une photo plus documentée que documentaire”. Des séries qui sont à prendre comme des chantiers, toujours en cours, menés de front et jamais terminés. Un lieu, une occasion, une commande, une résidence en fait l'amorce, mais le fil continue ailleurs, rebondit, et la série au delà des contingences, évolue, se diversifie.
Des séries ouvertes, comme la bien nommée Nyc (Not Yet completed), 2004-2010, réalisée au Vietnam. Centrée sur l'univers du travail dans un de ces pays-usine de l'Occident, elle se décompose en blocs constitués de plusieurs images : où l'on est attentifs aux gestes du travail induits par l'outil dans l'univers industriel ; où l'on aperçoit, dissimulés, absorbés entre les machines des dormeurs, faisant la sieste ; où notre attention est focalisée sur de objets apparemment familiers, tels ces coussins aux couleurs chatoyantes, mais à l'usage incertain. Destinés aux ouvriers, ou fraichement fabriqués ? A chaque fois un format précis, une mise au mur spécifique : la continuité horizontale pour les dormeurs, la confrontation échelle un en un face à face pour les ouvriers, l'individu effaçant la fonction professionnelle, une dimension sculpturale presque monumentale pour ces oreillers, présence énigmatique, voire inquiétante par leur banalité même.
Ainsi, autre axe de ses recherches, l'idée de paysage, genre pictural constitué et dont la photographie a vite repris les cadres dès ses débuts (au sens propre comme au figuré) que David Mozziconacci s'approprie et revisite. En témoigne l'ensemble intitulé Iab (Invisible architecture of Berlin)-Onkel's Tom Hütte, 2005-2007, réalisé à Berlin : des lugeurs dans un parc, photographiés à bonne distance pour laisser place au lieu dans son ensemble, à sa topographie. La description d'un lieu, d'une activité ? Pas seulement. Jouant des limites et des paradoxes de l'image, David Mozziconacci nous mène au-delà du constat, hors de la seule visibilité immédiate, d'une simple tautologie du type “ce que vous voyez est ce que vous voyez”. Des lugeurs, oui, mais sur une colline artificielle, vestige imposant et néanmoins invisible des destructions de la ville durant la seconde guerre mondiale. Lieu de sédimentation, construction sur les ruines réelles, concrètes, de l'Histoire. Paysage emblématique d'une image refusant la dramatisation immédiate ou les effets de manche pour mieux travailler les profondeurs, ici articuler le présent au passé. Ce qui est aussi à l'oeuvre dans certaines images réalisées au Pérou, telle cette automobile à la fois noyée et à l'orée d'une étendue désertique.
Ténuité qui émane de ces descriptions méticuleuses et dont certaines appellent une narration, comme cette femme prostrée, au croisement de deux rues de New-York de la série AKA ­Enchanted, 2009 : un récit qui pourrait s'amorcer, une subjectivité dont on nous refuse l'accès, une situation dont on n'a pas les clés. Entre déception et impossibilité à clore, des images mutiques mais qui refusent tout romantisme mélancolique : à la fois imposantes et en retrait. Paradoxe de la photographie et de l'image, jouant de l'ouvert et de l'invisible.

Nicolas Feodoroff, janvier 2010
Mots Index


image
bruit
répétition
machine
travail
histoire
élévation
architecture
couleur
son
individus
ville
champs de références


Robert Linhart, L'établi, éditions de Minuit, 1981
Peter Szendy, Ecoute, une histoire de nos oreilles, éditions de Minuit, 2001
Samuel Beckett, Compagnie, éditions de Minuit, 1980
François Bégaudeau, Dans la diagonale, éditions Verticales, 2005
Thomas Bernhard, La cave, Gallimard, 1982
Thomas Bernhard, Béton, Gallimard, 1985
Joy Sorman, Du bruit, Galllimard, 2007
Joy Sorman, Gros oeuvre, Gallimard, 2007
Cormack Mc Carthy, Sutree, 1979
Cormack Mc Carthy, All the pretty horses, 1992
Cormack Mc Carthy, The crossing, 1994
Cormack Mc Carthy, Cities of the plain, 1998
Cormack Mc Carthy, The road, 2006

Lee Lynch et Lee Ann Schmitt, The wash, 2005
Lee Lynch et Lee Ann Schmitt, California compagnie town, 2008
Lee Lynch et Lee Ann Schmitt, Bower's cave, 2009
Valérie Jouve, Grand littoral, 2003
Sharon Lockhart, Lunch break, 2008
FF Coppola, Apocalypse now, 1979
Apichatpong Weerasethakul, Syndromes and a century, 2006
Boris Breckoff, Allemagne, terrain vague, 2003
Jean-Luc Godard, Lettre à Freddy Buache, 1982
Jean-Luc Godard, Je vous salue Marie, 1985
Jean-Luc Godard, Eloge de l'amour, 2001
Jean-Luc Godard, Notre musique, 2004

Walker Evans

http://www.myspace.com/stephenomalley
http://www.myspace.com/ktlrule
http://www.myspace.com/borisdronevil
http://www.myspace.com/aethenor
http://www.davidcoste.com/acceuil.html
http://www.jeanmarieblanchet.fr/
http://www.ideologic.org/
http://www.paulgrahamarchive.com/
http://www.fidmarseille.org/dynamic/
http://antoinemeyer.free.fr/
http://ericpasquiou.blogspot.com/
http://www.hd-pf.com/
http://www.egglestontrust.com/
http://www.303gallery.com/artists/stephen_shore/
http://www.amcbooks.com/
http://www.kickthemachine.com/
http://www.libraryofwater.is/
http://www.mercigeorges.com/
http://www.r12.at/arnold/
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