Charlie VEROT 

ENTRETIEN AVEC CHARLIE VEROT - JUILLET 2019
Hugo Pernet
Texte de l'exposition Master of Reality, solo show à 7 clous à Marseille, chez Patrick Raynaud, Art-o-rama 2019


HUGO PERNET : J'ai vu que tu peignais des carlins ces jours-ci : vous aimez les chiens ?


CV : Les noirs oui. Je regardais comment me procurer un carlin noir, et en y regardant de plus près j'ai remarqué qu'ils avaient la même tête que Ad Reinhardt (vérifie tu verras). Je me suis dit : ils sont tout noir et ils ont une tête absurde, j'ai donc vite pensé aux pein- tures noires et aux caricatures d'Ad Reinhardt. Le carlin noir est alors devenu un bon sujet de peinture. En plus ces chiens ont un pedigree, une espèce de système de parenté un peu débile qui fait que leur prix est le même (voir plus pour certains) que ceux de mes tableaux actuels. Tout me semblait fonctionner pour une bonne peinture.

HP : Il paraît que les chiens ont un muscle facial qui les différencie des loups et qui leur fait prendre cette expression de « chien battu » qu'on aime tant. Tu ne crois pas que les tableaux ont aussi des stratégies pour se faire « adopter » ?

CV : En effet, tu as bien compris mes Black (Dog) Paintings, certaines peintures d'autres peintres (je pense que tu trouveras facilement des exemples) jouent de la séduction et font la moue. En général ce genre de peinture m'agace, alors je me suis dit que moi aussi j'allais en faire une et y aller à fond. J'ai donc peint un chien comme je peindrais un monochrome noir qui fait la moue de chien battu !

HP : Mais alors est-ce que tu aimes la peinture ? Quand je pense à ton travail je me dis que c'est juste du remplissage, du noir sur du blanc parce qu'il faut bien peindre quelque chose. Que ça soit une peinture abstraite, un logo ou un chien mignon ça ne change pas grand chose, non ?

CV : « Allez underground, ne laissez personne savoir que vous travaillez » (Duchamp). J'aime l'idée que mes tableaux semblent détachés de toute forme de labeur : pas besoin de frimer à être un bosseur pour justifier sa peinture. Je souhaite que mes tableaux soient détachés au maximum de moi, qu'ils soient autonomes. Donc qu'on ne voie pas mon travail dessus c'est idéal. Mais dans un sens tu as aussi raison, le sujet ne change pas grand-chose, du moins pour moi. Leur interaction m'intéresse, le fait aussi qu'ils génèrent un paradoxe. Je souhaite plutôt rétablir le doute, poser des questions, plutôt que de répondre et pointer. C'est peut-être la leçon que j'ai tiré du Tableau retourné de Norbertus (Cornelis Norbertus Gysbrechts) et du Saint Georges et le dragon d'Uccello. Par exemple, juste le fait de se dire « c'est un carlin ? C'est juste une grande tache noire ? c'est quoi ce bazar ? », ça m'intéresse déjà, et j'ai envie d'amplifier ça. J'ai d'autres exemples si tu veux. Sinon, bien que mes tableaux manifestent une certaine pauvreté, ils nécessitent chacun beaucoup de travail d'élaboration et d'ajustement pour être le plus précis possible. D'ailleurs en disant ça je justifie mon labeur, quelle horreur. En tout cas voilà une question sur laquelle nous pourrions glander à nous attarder. Et non je n'aime pas la peinture, je l'adore, c'est l'enfer (tu comprendras le paradoxe).

HP : Un truc qui m'a frappé quand on a pris un coup de soleil en terrasse ce printemps, c'est que tu as parlé de la peinture comme d'un travail, et du tableau comme quelque chose de moins important que l'activité de peindre. Le tableau est juste un rapport d'activité ?
CV : Oui le tableau c'est ce que je donne aux autres, le tableau est fini, mais pas le travail, qui lui continue.

HP : Un truc nous rassemble, c'est que tu ne parais pas très doué en affaires, toi non plus. Quel est ton rapport à l'argent ?


CV : Hier j'ai acheté des AIR MAX PLUS blanches / or iridescentes et un diamant.

HP : Il y a des artistes qui, d'une manière ou d'une autre, se protègent du succès. Est-ce qu'il ne vaut pas mieux ne jamais devenir riche et célèbre, si on veut rester un artiste d'avant-garde ?


CV : Je pense que le mieux serait d'être riche et d'avant-garde, manger des huitres c'est bien meilleur pour la santé que des Panzani.

HP : Ah oui il faut que je te pose la question à un moment, qu'est-ce que tu fais à Marseille ? C'est la « lumière du Sud », c'est ça ;) ?

CV : Tu veux la réponse officielle ou officieuse ?

HP : Sur Instagram, tu postes des photos de peintures que tu n'as pas encore faites, des simulations, est-ce que c'est une manière de tester leur efficacité ? Ou de dire que le fait de les réaliser n'a pas tellement d'importance ?


CV : Les réaliser ça n'a pas d'importance. Sur Instagram, que la peinture soit vraie ou simulée ça n'a pas d'importance non plus.

HP : Tu publies aussi des photos du travail en cours, mais tu ne sembles jamais vouloir t'interrompre avant d'obtenir le résultat prévu. Tu veux absolument t'en tenir au plan A ?


CV : À vrai dire je n'ai pas de plan A. Le plan A ne marche jamais. Je n'ai pas plus de plan B, un plan B c'est bien trop bancal. Je dirais plutôt que je m'en tiens au plan C, un plan en constante évolution. Comme je te l'ai dit le tableau est un objet fini mais le travail ne s'arrête jamais. Donc disons que je ne m'arrête jamais de travailler.

HP : La réalité pour toi c'est qu'il n'y a pas de plan B ?

CV : Pas plus de plan B que de plan A.

HP : D'ailleurs est-ce que tu as un plan B dans la vie ?


CV : Je m'en tiens au plan C.
 
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