Charlie VEROT 

‘TIL I DIE
Entretien entre Hugo Pernet et Charlie Verot, octobre-décembre 2019
Texte de l'exposition The Lost Battle , duo show avec Hugo Pernet à OÙ en tournée à H.L.M., Marseille, 2019


HP : À la radio ce matin, un scientifique parlait des prix Nobel et disait plus ou moins cette phrase : « Il ne faut pas oublier que ce n'est pas en cherchant à améliorer la bougie que l'électricité à été inventée ». Qu'est-ce que ça t'inspire ?

ChV : Que Black Sabbath n'a pas cherché à améliorer Sergei Rachmaninov, que la fellation ne sert pas à faciliter la sodomie et que la sauce tomate et le ketchup n'ont pas vraiment le même goût. C'est deux choses différentes. La bougie nous ramène à Moby Dick et à la chasse à la baleine. L'électricité a permis l'ampoule que tu oublies toujours de changer quand elle a grillé. Et en même temps, va savoir pourquoi, je pense aussi à Fernand Léger : « La peinture, parce qu'elle est visuelle, est nécessairement le reflet des conditions extérieures et non psychologique. Toute oeuvre picturale doit comporter cette valeur momentanée et éternelle qui fait sa durée en dehors de l'époque de création ». La peinture ne serait-elle pas aussi un consommable ?

HP : Je ne sais plus comment on en est venus à parler de fantasy et du kitsch de cette imagerie, mais les travaux qu'on a prévu d'exposer ensemble se tournent vers cette esthétique. Et j'ai remarqué qu'on n'était pas les seuls : regarde la pochette du nouveau Nick Cave ou les sculptures de Jean-Marie Appriou. On dirait carrément des figurines en plomb. Mais bordel pourquoi est-ce que ça nous intéresse ?


ChV : À mon avis on devrait déjà enlever le terme « kitsch » de notre réflexion. Soyons honnêtes ça ne veut absolument rien dire. En ce qui concerne la Fantasy, je pense que pour toi et moi et d'autres de notre génération, c'est une imagerie ancrée dans notre jeunesse. Son grand retour n'est pas un mystère : c'est Netflix. Appriou, ça ne m'intéresse pas des masses, Nick Cave c'est différent.

HP : Je me demande si la science fiction n'est pas devenue trop sérieuse, trop mainstream. Après Kubrick et Tarkovski, les réalisateurs se prennent pour des philosophes en faisant leur film de SF. La Fantasy c'est kitsch et malgré le succès du Seigneur des anneaux ou de G.O.T, ça ne porte pas tellement à la réflexion. C'est de la pure évasion dans un sens. Alors d'après toi la peinture c'est plus de la philosophie ou de l'Entertainment ?

ChV : « Kitsch » on peut enlever, « mainstream » aussi je pense. Le parallèle entre SF et Fantasy, même si certains tentent un croisement, c'est là aussi deux choses différentes. Le problème de la SF, c'est que dans les années 80/90 elle nous faisait rêver avec toutes ces inventions incroyables. La clé c'était la technologie. Mais aujourd'hui on vit dans la SF qu'on a fantasmé et même dépassé. C'est comme si on était post-futur. On a bien compris que tout ce qu'on obtiendra c'est des écrans tactiles et des caisses automatiques à Super U. Pour les voitures volantes, les overboards, la téléportation, les pilules goût hamburger, le sexe par télépathie on pourra toujours se gratter. La Fantasy, elle, ne nous a jamais rien promis. Elle est sûrement plus émancipée. Je repense à un groupe que j'écoutais ado, Rhapsody of fire. C'est une sorte de métal symphonique où se croisent du violon, du synthétiseur, des guitares lourdes, des chants lyriques, des doubles pédales et de la flûte. Avec des titres comme Queen of the Dark Horizons. Les couvertures d'album sont incroyables. Le tout crée une sorte de Fantasy héroïque rapide, violente et pathétique toujours aussi mauvaise (et que j'aime toujours autant). J'ai l'impression d'écouter du Glenn Gould. J'aurais aimé entendre Glenn Gould jouer The Wisard's Last Rhymes sur un orgue comme il joue du Bach. En ce qui concerne la réflexion, je pense qu'il est possible de la pousser sur absolument tout. Et savoir si la peinture est plus de la philosophie ou de l'Entertainment (le franglais c'est flagada), je ne me suis jamais posé la question : elle ne m'intéresse pas.

HP : L'année dernière je suis allé voir la grotte d'Arcy sur Cure dans l'Yonne. Dans les années 80 le propriétaire a fait nettoyer la grotte à l'acide parce qu'elle était pleine de suie de fumée : on la visitait depuis le 17ème siècle à la lumière de la torche pour la beauté de ses formations calcaires. Mais on n'avait jamais pensé qu'elle pouvait être ornée. Du coup quand ça a coulé rouge il était déjà trop tard, et des peintures à peine moins anciennes que celles de la grotte Chauvet ont été effacées quasi intégralement. C'est ballot. Mais il reste quelques peintures au fond de la grotte, et des mains négatives d'enfants. C'est très émouvant. Par contre le guide les présente toujours comme faisant partie de rites chamaniques. Franchement quand je vois la grotte avec ses dessins qui s'animent par la lumière, je pense surtout au cinéma et au divertissement. Tu ne crois pas qu'il soit possible de faire de la (bonne) peinture pour toute la famille ?


ChV : Pour ce qui est du rapport à la famille, je te laisse répondre, c'est quelque chose qui m'est inconnu. Par contre en ce qui concerne la peinture et le divertissement je pense que nous serons toujours déçus. L'avantage c'est que c'est ce qui nous pousse à continuer et à ne jamais nous arrêter car on y croira toujours. Mais on peut aussi se souvenir que tout est voué à disparaître (et heureusement).

HP : Dans nos conversations instagram tu m'as écrit cette punchline : « Le Bauhaus a fini sur des boites de médicament et la peinture du Moyen-Âge dans les manga ». Ça claque. Mais je ne suis pas très calé en Manga. Tu peux m'expliquer ?

ChV : Le Bauhaus et les médicaments ce n'est pas de moi, et le parallèle entre un Saint-Georges et le dragon de Ucello et les mangas je ne suis sûrement pas le premier. Je n'ai pas de connaissances approfondies sur le sujet. Mais oui dernièrement j'en ai regardé quelques uns avec mon oeil de peintre. Et c'est là que j'ai retrouvé tout l'imaginaire et l'iconographie féodale occidentale dans des productions Japonaises. Au départ je m'attendais plutôt à croiser des Samouraï, des Katana, des Hara Kiri et non des batailles de la guerre de 100 ans. Après j'ai surtout décortiqué de la confiture pour les cochons comme Berserk et Claymore, je n'ai pour l'instant qu'une vision subjective de la chose. Mais je me suis dit que ça pourrait être intéressant d'être un occidental qui travaille à partir d'éléments de l'orient eux mêmes empruntés à l'iconographie occidentale du moyen âge. J'ai la sensation que ça devrait faire un bon tartare au couteau.

HP : Pourquoi mes questions ressemblent à des réponses ?

ChV : Car tu répliques avant même d'avoir été attaqué.

HP : Extinction Rébellion ils seraient d'accord pour remplacer tous les néons par des bougies (et les Dan Flavin par des bougies parfumées) ?


ChV : C'est pas à moi qu'il faut poser la question.

HP : Un tableau de George de La Tour, ça s'éclaire comment ?

ChV : Au néon noir, je serais curieux de savoir ce qu'on y trouve.



ChV : On a parlé il y a quelques temps de la figure du chevalier errant. As-tu plus d'intérêt pour celui en armure à la recherche d'aventures pour prouver ses vertus chevaleresques ou pour celui au plumage gris au niveau des ailes et du dos avec un ventre blanc et un large motif tacheté au niveau de la poitrine lorsqu'il revêt son plumage nuptial ?

HP : Celui en armure, mais qui est un oiseau blessé.

ChV : Je relis des écrits de Malcom Morley ce matin et je suis tombé là dessus : « Radical et forcé. Les peintures abstraites me faisaient l'effet d'une absence de peinture. Comme quelqu'un qui ne pourrait pas peindre ». Selon toi, la Fantasy peut-elle aider à ça ?


HP : C'est justement ce qui m'a intéressé dans l'abstraction au départ. Ce mutisme, l'impossibilité de faire autre chose. C'était une abstraction négative, par défaut. Un peu comme Andreï Roublev quand il refuse de peindre Le Jugement dernier, car il ne veut pas effrayer les gens.

ChV : Et la Dark Fantasy ?

HP : Fantasy ou Dark Fantasy, ce sont des sous-genres de genres mineurs, donc oui s'il s'agit de trouver un sujet aussi éloigné de nous que peut l'être une figure géométrique. Mais en fait ces sujets sont forcément autobiographiques pour toi et moi, car ils nous renvoient à notre adolescence. Donc je crois que ce sont des peintures très romantiques.

ChV : Es-tu sorcier ? En français la question tombe à l'eau, elle est bien plus pertinente en anglais : Are you Wizard ?


HP : Quand j'étais pré-ado et que je jouais à ces jeux de rôle, mon imaginaire en était tellement imprégné que je pensais avoir des pouvoirs, tout en sachant que c'était faux. Après ma séparation il y a trois ans, j'étais paumé et perdu, et je pensais aussi avoir des pouvoirs magiques. J'ai lancé quelques sorts. Je pense que les pouvoirs magiques dépendent autant de l'émetteur que du récepteur. S'il n'y a personne pour recevoir un sort, il est impossible de le lancer.

ChV : As-tu déjà vu la scène de Berserk où Gut le jeune mercenaire, le bras coincé dans les mâchoires d'un démon et regardant la femme qu'il aime (mercenaire elle aussi) se faire violer par son ami le plus cher, s'arrache lui-même le bras afin de se libérer et tenter d'agir d'une seule main bien qu'il perde sur la route une quantité titanesque d'hémoglobine ?


HP : Non.

ChV : Ce qui me fait penser à cette question que je ne t'ai jamais posé et pour laquelle je n'ai pas de réponse précise : quelle importance accordes-tu au sujet en peinture ?

HP : Il en a une. C'est l'identité du tableau. Idéalement, c'est par le sujet qu'il m'échappe. Et c'est aussi par le sujet qu'il incarne quelque chose comme une émotion. Je crois que c'est important de s'impliquer émotionnellement dans sa peinture, c'est le risque à prendre pour que les autres puissent faire quelque chose de ton travail. Il ne s'agit pas d'imposer ton émotion aux autres, mais de laisser l'émotion « pousser » la forme et en faire quelque chose d'inattendu. D'unique.

ChV : Pour rester dans le ton, où placerais-tu notre ambition fantaisiste par rapport à : « se rappeler qu'un tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées » ?


HP : Je pense qu'ayant toi et moi commencé par une abstraction négative, on peint en sachant tout ça par coeur.

ChV : Es-tu vaniteux ?


HP : Oui parfois. À cause de mes pouvoirs magiques atrophiés.

ChV : Écoute Rain of a Thousand Flames de Rhapsody et donne moi ton avis.

HP : Ah ah. C'est nul !

ChV : Que penses-tu du tableau de Vigo Von Homburg Deutschendorf ?

HP : Attends je regarde sur google. Ah ok, ça me fait penser à la dernière campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen, les candidats présentaient leur programme culturel sur Arte. Le Pen avait proposé un jeune artiste qui avait fait un portrait en pied de lui habillé en Corsaire. Plus sérieusement je ne crois pas que les tableaux parlent. Ils font de la télépathie.

 
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