Lionel SCOCCIMARO 

Slick ?

À première vue, Lionel Scoccimaro s'intéresse à la surface de la sculpture, et non à sa profondeur, ce qui ne veut bien sûr pas dire qu'il serait superficiel, mais simplement qu'il est moderne . Encore faudrait-il savoir ce qu'on entend par moderne. Car loin d'incarner les sublimes objectifs d'autonomie du médium assignés à l'art moderne voici environ un demi-siècle par Clement Greenberg, Scoccimaro mêle allègrement les genres et multiplie les emprunts à ce que Greenberg qualifiait avec mépris de « kitsch de la culture populaire ». De ce point de vue, l'artiste marseillais s'inscrit résolument dans une esthétique d'après la modernité, mais qui n'est certes pas « post-moderne » au sens d'une appropriation, parodique, citationnelle, etc., des formes passées. En effet, le fond ou plutôt les multiples réservoirs d'images où puise Scoccimaro, loin de renvoyer aux icônes passées de l'histoire de l'art, nous mènent dès le premier regard vers des cultures parallèles, marginales, souterraines, minoritaires, ou archi-populaires : bikers bardés de cuir, rock de la contre-culture américaine, surfers, séries télé grand public. Ainsi, Scoccimaro nous fait entrer de plain-pied dans des cultures de l'objet industriel, du déplacement, du jeu, de la glisse, donc de la surface.
Slick, en américain, signifie lissé, brillant, luisant, glissant, léché . Les cultures dont s'inspire Scoccimaro sont slick, sa sculpture aussi est slick : recouverte de peinture au pistolet et à l'aérographe par des spécialistes de la carrosserie automobile pour la série des Custom Made, arborant la brillance scintillante du sucre dans les impeccables tours creuses et les igloos tout aussi creux patiemment construits en morceaux de sucre par l'artiste, sans parler de la brillance des tirages photographiques de la série des Octodégénérés, où la grand-mère de l'artiste, accompagnée de son demi-frère, jouent comme de vieux enfants avec des ballons, des legos, des bulles de savon, se regardent comme s'ils allaient danser, quand elle ne tire pas la langue au spectateur, histoire de lui dire d'aller se faire voir ailleurs...
Certes, les gestes sculpturaux classiques sont bien là : empiler, mais des morceaux de sucre et non des blocs de marbre de Carrare ; enrouler, des kilomètres de laine en tournant autour de la dérisoire effigie humaine comme un sculpteur classique avant de la chausser de bottes de biker et de la recouvrir d'un borsalino de truand ; tailler, pour obtenir le profil parfait d'un hybride entre la quille et le culbuto, mais avant de le recouvrir de peinture à carrosserie. Ce que l'artiste déplore parfois chez lui-même comme relevant d'une attitude « primitive », voire « tâcheron », s'explique sans doute par son souci d'apprendre à fond une technique de production spécifique, à chaque fois renouvelée : loin de se limiter, comme d'autres, à l'exploitation d'un « fond de commerce » rentable, à la production réitérée de variations sur un même thème labellisé par le « milieu », Scoccimaro préfère suivre la maxime duchampienne : ne jamais refaire deux fois la même pièce. Ce qui est plutôt bon signe.
Et, à travers la diversité des propositions plastiques, on constate l'émergence de constantes : la dimension du jeu, avec ce qu'il implique de nostalgie de l'enfance ; la prise en compte, à chaque exposition, du lieu - ainsi la tour en sucre construite dans la galerie de l'École des Beaux-Arts d'Aix-en-Provence fait-elle écho à un pilier blanc de la salle d'exposition - ; des pièces parfaitement « finies », dont l'aspect slick nous amène à deux conclusions contradictoires : on devine tout le travail, voire le labeur, impliqué par une telle finition, mais en même temps cette finition parfaite suggère insidieusement qu'aucune main humaine n'a touché ces sculptures ou ces photos, qui semblent ainsi sorties, neuves et immaculées, de quelque fabrique inhumaine. Un peu comme le fameux parallélépipède noir de 2001, Odyssée de l'espace, sculpture parfaite tombée du ciel telle quelle, mais avant sa customisation par Scoccimaro.
Il suffit néanmoins de faire légèrement osciller les culbutos de Lionel Scoccimaro pour entendre une espèce de carillon grêle niché à l'intérieur : dans ce qui semblait de prime abord dénué de toute profondeur, un son de l'enfance tinte, issu du passé. Preuve que derrière cette surface qui fascine autant qu'elle repousse, se niche une inquiétante ritournelle : le slick se nuance soudain d'ambiguïté, le ver est dans le fruit - la fête risquerait-elle de mal tourner ?

Brice Matthieussent
Marseille, janvier 2004
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