Lionel SCOCCIMARO 

Richard Leydier : Lionel Scoccimaro pour les jeunes de 7 à 87 ans, in Art press n°342, février 2008
English translation, click here


Deux octogénaires s'adonnant à des activités purement enfantines, des architectures éphémères en sucre, des jeunes femmes peu farouches posant avec des culbutos customisés... Riche en interprétations, l'oeuvre de Lionel Scoccimaro décline la notion de jeu, mais n'exclut cependant pas de plus noirs desseins. Après ses expositions, l'automne dernier, dans les Pyrénées à lmage/imatge (Orthez), à l'École supérieure des arts et de la communication (ESAC, Pau) et à la chapelle Saint-Jacques (Saint-Gaudens, jusqu'au 23 février), l'artiste exposera à la VF galerie (Marseille) du 22 mars au 26 avril.

Sur le sol de la chapelle Saint-Jacques (Saint-Gaudens) gît un tas d'environ cinq mètres de diamètre d'une matière immaculée qu'un premier regard identifierait comme de la neige ou de la poudre de marbre. En s'approchant davantage, on constate que cette sculpture quasi pyramidale est en fait constituée de milliers de morceaux de sucre en vrac. Sa masse est trouée, çà et là, de petites constructions apparaissant comme autant de cabanes ou de souterrains qui permettent de s'enfoncer en son sein. Bikini (2007) évoque les installations militaires américaines sur l'atoll éponyme, où se déroulèrent de nombreux essais atomiques. La lueur de ces hivers nucléaires répétés sous des cieux tropicaux pourrait trouver un lointain écho dans l'éclat froid et cristallin du sucre. Si Bikini subit une force entropique qui la cloue au sol, Maybe (2007) défie a l'inverse les lois de la gravité. Dans cette installation s'élèvent diverses constructions rappelant les stupas orientaux, les gratte-ciel new-yorkais et l'architecture soviétique. A la fois futuriste et hors du temps, cette mégapole miniature est également constituée de sucre en morceaux, mais ils sont ici consciencieusement appareillés, selon une stéréométrie savante générant d'audacieux encorbellements. Sa réalisation a nécessité des heures d'un travail minutieux et répétitif... en pure dépense : à la fin de l'exposition, l'oeuvre sera détruite. On devine ici comme un écho à la fragilité de toute civilisation, si puissante fût-elle. Mais surtout, e caractère éphémère des architectures évoque cette aptitude des enfants à bâtir, des heures durant, de magnifiques cités a l'équilibre précaire, qu'un démiurgique et destructeur revers de la main balayera soudainement afin de tout remettre en jeu. Reset.

La dimension ludique est ce qui fonde au premier abord l'art de Lionel Scoccimaro. Le jeu est traité plus manifestement dans la série photographique et vidéo des Octodegénéres (2002-2007), exposée dans sa quasi-totalité à Orthez. Le principe en est simple : l'artiste fait rejouer à sa grand-mère Lucette et à son frère jumeau Georges (tous deux octogénaires) des photographies de famille montrant des enfants occupés à des jeux de leur âge. Ici, la vieille dame tire malicieusement la langue, là elle pose en maillot de bain, ceinte d'une bouée. Ailleurs, Georges trône sur une bicyclette bien trop petite ou joue au ballon avec sa sour. Il adopte le sérieux fiérot du petit garçon venant tout juste de déballer son cadeau de noël, elle simule l'espièglerie de la gamine facétieuse. Le fond neutre du studio où ils posent instaure une distance qui les isole au sein d'un espace intériorise, mental. Délires de vieillards retombés en enfance ? Désir de jeunisme ? Capacité à conserver une âme d'enfant ? A l'heure où les fillettes singent de plus en plus tôt la coquetterie des trentenaires, et où les dames d'un certain age tentent par tous les moyens chirurgicaux de ressembler à la dernière Lolita à la mode, que penser de ces vieillards qui jouent à être des bambins 7 Images ambivalentes où le décalage saisissant installe un malaise lancinant.

Flaming

Dans une photographie, Lucette et Georges apparaissent tête-bêche, allongés sur un tapis, à la manière de nouveau-nés auxquels on a pris soin de laisser à portée de la main des jouets du premier âge. Parmi ces derniers figurent des culbutos, qu'on retrouve démesurément agrandis dans la série des Custom made (2003-07). Dans cet ensemble de sculptures, la forme du culbuto est épurée jusqu'à adopter, en gros, celle d'une quille de bowling. Chaque exemplaire arbore un custom personnalisé constituant un hommage à une personnalité importante pour l'artiste - le catcheur Hulk Hogan, les cinéastes Russ Meyer et Harmony Korine, le motard Eve) Knievel, le musicien Jerry Garcia... -, une sorte d'héraldique où les motifs de flammes et de damiers dessinent autant de blasons pour ces icônes de la contreculture américaine. Dans une série de photos réalisées en studio, des jeunes filles très peu vêtues posent avec les sculptures, empruntant à cet effet la posture des playmates de magazines pour grosses cylindrées. Si les octodégénérés manipulaient des jouets d'enfants, elles engagent véritablement une sorte de combat érotique avec les culbutos, lesquels apparaissent dès lors comme de véritables «jouets pour adultes» des sex-toys gargantuesques.

Fuite du temps

L'artiste ne tarde pas à appliquer le principe du custom a d'autres oeuvres, exposées pour beaucoup à Pau. Ce traitement pictural, tout en langues de feu et dégradés, fait bien sûr écho aux mondes des bikers et du surf. Car Scoccimaro est motard et surfeur. De l'Indonésie à la Californie, en passant par le Mexique et le Sénégal, il a longtemps vécu au rythme des saisons et des vagues. La Mini Surfcar (2004), flamboyante MINI Cooper entièrement customisée, évoque avec une certaine nostalgie cette époque bénie. Plus qu'un leu, et bien plus qu'un sport, le surf est pour Scoccimaro une philosophie amenant dans ses bagages l'idée du voyage, des découvertes et des fantasmes qu'il génère. Un exemple : la magnifique jarre customisée, dont surgissent des cannes de bois chantourné, couronnées chacune d'un crâne chromé (BJNSS [1], 2006). Cette oeuvre évoque à la fois la canne du dandy, la culture néo-vaudou des surfeurs des années 1950, le passé de réducteurs de tête de certaines peuplades tropicales, ainsi que le cinéma gore des années 1970 genre Cannibal Holocaust. La décapitation trouve un autre écho dans une oeuvre récente. Pour l'exposition Enlarge your practice, l'été dernier à Marseille (2), Scoccimaro crée le Customised Palm Tree, îlot comptant pour seul habitant un palmier de huit mètres de haut dont s'écoule, telle une cascade, une grappe de cent cinquante casques de moto, tous customisés selon divers motifs. S'agit-il des trophées d'un serialkiller, comme Obelix le Gaulois collectionne les casques des Romains ? L'ensemble rappelle également certains ex-votos comme on peut en rencontrer sur le bord des routes au Mexique. Sous les tropiques, les accidents de motos sont dus pour une grande part aux noix de coco tombées sur la route.
Si leur richesse sémantique suscite de nombreuses interprétations, dans les oeuvres de Lionel Scoccimaro, la mort n'est finalement lamais bien loin. On aura compris que le vernis coloré de leur ludisme solaire masque à chaque fois un côté obscur. Freud: " L'opposé du jeu n'est pas le sérieux, mais la réalité". Entre l'enfance et la vieillesse, entre la vie et la mort, il n'y a finalement qu'un pas, que l'artiste, sur la marelle de la vie, franchit violemment d'un bond pour signifier la fragilité de l'existence. Au premier abord sucrée, enjouée, et multipliant les références à de nombreux univers, cette oeuvre laisse en définitive un goût amer. Celui d'une impuissance face à l'inexorable fuite du temps. La vie apparaît rythmée par le balancement métronomique d'un culbuto, égrenant les minutes comme autant de morceaux de sucre. S'il est une manière de résister, de célébrer la vie, et d'occuper le temps qui nous reste à développer la pratique d'un certain plaisir, le jeu permet fondamentalement d'embrayer, l'air de rien, sur des sujets plus graves. C.D. Friedrich : ((L'art est un jeu, mais c'est un jeu sérieux. » Et de comprendre autrement le titre de l'exposition de Scoccimaro au château de Morsang-sur-Orge en 2004: Rira bien qui rira le dernier.


1. Black Jarre n' Silver Skulls.
2. Exposition organisée à la Friche/la Belle de mai par l'association (S)extant et plus, commissariat de Jean-Max Colard, Clare Moulene et Mathilde Villeneuve.

Richard Leydier : Custom Made: Kids 7-87 Seriously at Play, in Art press n°342, 2008 (translation, L-S Torgoff)

Two octogenarians reveling in the most childish activities, ephemeral buildings made out of sugar cubes, come-hitherish young women posing with custom-made roly-poly dolls... Saturated with possible interpretations, Lionel Scoccimaro's work surveys the world of games and toys, but without excluding darker dimensions. After his shows last fall in the Pyrenees at Image/imatge (Orthez), the Ecole Supérieure des Arts et de la Communication in Pau and the Chapelle SaintJacques in St-Gaudens (through February 23), his work will be on view at the VF gallery in Marseille March 22-April 26, 2008.


On the floor at the Chapelle Saint-Jacques in St-Gaudens lies a pile, about five meters in diameter, of an immaculately white substance that at first glance looks like snow or powdered marble. As you step closer, you notice that this almost pyramidal sculpture is in fact made of thousands of stacked sugar cubes. Here and there the solid mass is pierced by little structures that look like shacks or tunnels giving access to the interior. Bikini (2007) is about the American military bases on the eponymous atoll, site of many atomic bomb tests in the 1950s. The dim glow of these repeated nuclear winters under tropical skies could be considered to have found a distant echo in the cold and crystalline shine of sugar. While Bikini is subjected to an entropic force that nails it to the ground, Maybe (2007), on the contrary, defies the laws of gravity. Amid this installation arise various structures recalling Buddhist stupas, New York skyscrapers and Soviet architecture. Both futuristic and timeless, this miniature megapolis is also built of sugar cubes, but here carefully fitted together, the skillful stereometry forming audacious cantilevered overhangs. Its making required hours of painstaking, repetitive work, all in vain since the piece will be destroyed when the exhibition is over. We can guess that this is about the fragility of all civilizations, no matter how powerful. But even more, the ephemeral quality of these structures invokes children's ability to spend hours building magnificent but precariously balanced cities that a demiurgic and destructive swipe of the hand will suddenly sweep away in order to start the game all over again. Reset.
At first take, games seem to be what Lionel Scoccimaro's art is about. The subject is most obviously taken up in the video and still photo series Octodé générés (Octodegenerates, 200207), shown almost in its entirety in Orthez. The principle is simple: the artist staged his grandmother Lucette and her twin brother Georges (both octogenarians) acting out family photos showing children playing games appropriate for their age. Here the old lady cheekily sticks out her tongue, and poses in a bathing suit with a rubber ring around her waist. Georges sits on a far too small bicycle and plays ball with his sister. He adopts the prideful seriousness of a little boy who has just unwrapped his Christmas present, while she simulates the mischievousness of a little girl fooling around. The neutral background in the studio where they are posing establishes a certain distancing that isolates them in an interiorized, mental space. Doddering old farts revisiting their childhood? A perverse longing for youth? The ability to retain the playfulness of a child? At a time when little girls imitate the flirtatiousness of 30-somethings at a younger and younger age, and ladies of a certain age resort to plastic surgery in a quest to resemble the latest pinup Lolita, what should we make of these senior citizens playing at being kids? In these ambivalent images, the striking incongruousness creates an acute sense of unease.

Flaming

In one photo, Lucette and Georges appear lying head to foot on a carpet, like two newborns with toys appropriate for their age carefully placed within their reach. One of these toys is a roly-poly figure, like the ones shown enormously enlarged in the Custom Made series (2003-07). In the latter ensemble, the shape of these dolls is abstracted so that it resembles a bowling pin. Each of them is customized to constitute a tribute, in one way or another, to a famous figure important to this artist-the wrest1er Hulk Hogan, filmmakers Russ Meyer and Harmony Korine, motorcycle daredevil Eve( Knievel, the Grateful Dead's Jerry Garcia, etc. In this heraldry, flames and checkerboard motifs adorn the coats of arms of icons of the American counter-culture. n a series of studio shots, next to these sculptures scantily dressed young women assume the kind of bimboesque poses seen in men's car magazines. While the octodegenerates play with children's toys, these young models enter into erotic combat with the roly-poly dolls, which thus seem to become more like "toys for adults," gargantuan sex accessories.
Scoccimaro was quick to apply this principle to other works, many of them on view in Pau. The kitschy painterly treatment of these works, complete with tongues of fire and shadings of color, is of course meant to allude to the worlds of motorcycles and surfing, two of this artist's hobbies. From Indonesia to California, passing through Mexico and Senegal along the way, he has long lived his life to the rhythm of seasons and waves. His Mini Surfcar (2004), a totally customized and over-the-top Mini Cooper, exudes nostalgia forthat glorious era. For Scoccimaro, surfing is not just a game and far more than a sport. It is a philosophy carrying in its baggage the idea of travel, discoveries and the fantasies they generate. Take, for example, the magnificent customized large jar with carefully fashioned wooden canes sticking out of it, each crowned with a chromed skull (BJNSS [1], 2006). This piece simultaneously brings to mind a dandy's cane, the neo-Voodoo culture of 1950s surfers, the headshrinkers in the past of certain tropical peoples, and of course 1970s gore movies of the Cannibal Holocaust genre. Decapitation also rears its head in a more recent piece, Customized Palm Tree, made for the exhibition Enlarge Your Practice (2) last summer in Marseille. The tiny island has only one inhabitant, an eight-meter palm tree from which flows, like a waterfall, a cluster of 150 motorcycle helmets, all customized with different motifs. Are these the trophies of a serial killer, just as the Gaul Obelix collected Roman helmets? The ensemble also recalls certain roadside ex-voto offerings to be found in Mexico. In the tropics, fallen coconuts on the road cause many motorcycle accidents. Especially at night, they are difficult to avoid.

Time Flies

While the semantic richness of Scoccimaro's work provokes many different interpretations, death, in the end, is never far away. As is obvious by now, its playful, sunny, colorful glaze always hides a dark side. As Freud remarked, "The opposite of play is not seriousness, it is reality." Between childhood and old age, between life and death, there is, it turns out, but a single step, which this artist, in the hopscotch game of life, jumps over in a violent leap to signify the fragility of existence. At first glance sugary, bright and full of references to many universes, when all is said and done, his work leaves a bitter aftertaste. That of a powerlessness in the face of the inexorable flight of time. Life seems to follow the rhythm of the metronomic swaying of a roly-poly doll, marking out the minutes like so many sugar cubes. If it is a way to resist, celebrate life and fill the time remaining to us to develop the practice of a certain pleasure, playing games makes it possible to connect to far more serious subjects without that appearing lugubrious. As C. D. Friedrich said, "Art is a game, but it's a serious game." Isn't that the point of the title of Scoccimaro's exhibition at the Château de Morsang-sur-Orge in 2004, Rira bien qui rira le dernier (He Who Laughs Last Laughs Best)?

(1) Black Jarre'n'Silver Skulls.
(2) Exhibition organized at the Friche/La Belle de Mai by the (S)extant et plus club, curated by Jean-Max Colard, Claire Moulène and Mathilde Villeneuve.
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