Katharina SCHMIDT 

Plans, grilles et autres quadrillages - Vanessa Brito / Katharina schmidt

V.B : La série Belsunce, que tu entames en 2013, a pour point de départ un plan du quartier, un dessin numérique fait à partir d’une vue aérienne. Au fil du temps, cette vue d’en haut laisse progressivement la place à une description du territoire vu d’en bas, à une série de dessins faits à partir de photos que tu prends dans les rues du quartier. Quel est le rôle du plan dans cette série de dessins ?

K.S : J’habite à Belsunce depuis 2004. D’abord rue du Baignoir, puis rue Tapis Vert. À 150 m de distance, ces deux rues représentent des réalités profondément différentes. Les marchands rue du Baignoir sont des maghrébins qui vendent des sacs, valises, tapis, tissus et petits articles ménagers à un public mixte. L’étalage des articles se déploie à l’extérieur et recouvre les façades des magasins. Dans la rue, on se retrouve entouré de toutes sortes d’objets et de matières aux motifs variés, très colorés. La différence entre intérieur et extérieur est quasiment effacée. Les bruits de la ville sont étouffés par l’accumulation des marchandises. En revanche, les magasins rue Tapis Vert appartiennent à des grossistes de vêtements et de bijoux. Ils ont un public exclusivement professionnel. La rue est très fréquentée par des camions qui chargent et déchargent la marchandise, ce qui provoque des embouteillages et des concerts de klaxons. Les bijoux et les textiles, souvent en provenance de la Chine, sont soigneusement présentés dans des vitrines. Les vêtements, disposés en harmonies chromatiques, présentent toujours les couleurs de la saison. Cette description vue d’en bas n’évoque que deux ambiances parmi d’autres encore très différentes qui se rencontrent dans un espace urbain restreint, étroit et très dense. Le plan
apparaît dans ce contexte comme un moyen d’éliminer un maximum d’informations afin d’obtenir un aperçu purifié et assez froid. J’ai tracé le dessin sur ordinateur avec Illustrator à partir d’une vue de Google Earth. Il s’agit d’un dessin vectoriel et non pas d’une image. Il me semble que toute représentation, en tant que traduction d’un phénomène visuel sur une surface bidimensionnelle, constitue un effort d’abstraction. En ce sens, une représentation en peinture ou en dessin a toujours été un moyen pour mieux comprendre le monde qui nous entoure.

Le plan et la grille sont dans mon travail des tentatives pour « objectiver » un espace, une surface ou un terrain de manière provisoire. Ils s’inscrivent dans une réalité qui me paraît beaucoup plus chaotique, en contradiction avec le caractère « objectif » de la représentation. Ils ont la fonction d’un terrain de jeu, dont les règles varient selon le projet.

V.B : La même année, tu commences en parallèle une autre série de dessins, La Joliette et autres lieux (2013-2014), dont le point de départ est aussi une vue aérienne du port. L’emplacement des containers, alignés les uns à côté des autres, forme une sorte de grille que tu reproduis et redessines de nombreuses fois en combinant différentes techniques et jeux de superpositions. Au cours de la série, cette grille est troublée et modifiée par le processus même de reproduction, comme si tu cherchais à épuiser son potentiel à travers une série de variations et de combinatoires possibles. Comment joues-tu avec la grille dans ce projet ?

K.S : J’ai commencé la série La Joliette et autres lieux après avoir trouvé une photo du port Elizabeth, le plus grand terminal du port de New York et du New Jersey, que le critique d’architecture Reyner Banham publie en 1967. La photo est banale, elle montre des rangées de containers et quelques grues au bord de l’eau. La qualité d’impression est très grossièrement tramée. C’est ce qui m’a plu. Pour Banham, ce paysage de containers évoque toutes les qualités d’une ville idéale : modulaire, évitant toute hiérarchie et en évolution constante.

Dans mon travail, il m’arrive d’évoquer l’architecture de la modernité pour son potentiel à développer des idées utopiques, mais je la perçois aussi de manière ambiguë : elle est trop autoritaire, trop mégalomane, trop attachée à une croyance au progrès. Je me suis donc intéressée au travail de Reyner Banham et aux artistes et architectes de l’Independent Group qui ont tenté de rompre avec le formalisme pur de la modernité à la faveur d’une conception plus ordinaire et populaire de l’architecture et de la culture. Leurs approches partagent un certain optimisme et cette croyance au progrès que j’évoquais, mais sont peut-être moins égocentriques. Leur exigence en termes de fidélité aux matériaux, leur intérêt pour le processus, les parallèles faits avec l’improvisation dans le jazz, leurs tentatives de travailler de manière pluridisciplinaire sont des aspects auxquels je me suis identifiée.

Les deux premiers dessins de la série tracent l’emplacement des containers dans le port de la Joliette et sont donc une sorte d’adaptation de la réflexion de Banham sur le port de New York. Ils sont agrandis en photocopie pour devenir des supports sur lesquels je trace des gestes qui respectent ou contredisent les grilles des dessins de départ. Je fabrique et applique ensuite différents pochoirs : une maison d’Allison et Peter Smithson, une station service de Jean Prouvé, une façade des tours Labourdette au centre-ville de Marseille. Ces représentations servent à introduire des perspectives différentes. Les outils sont divers : crayons, craies, feutres, aquarelles, couleurs à la bombe. Chaque étape est photographiée, reproduite et réinjectée dans le processus. Le passage par la photocopie ajoute un facteur qui échappe à mon contrôle et unifie les étapes précédentes. Ce qui m’importe, comme tu le dis, c’est le processus par lequel les matériaux d’origine deviennent de plus en plus bruts. tu as raison de parler de variations. À force d’être réutilisées, manipulées et superposées les grilles sont ici, de dessin en dessin, un moyen de révéler et de faire coexister des points de vue relatifs et contradictoires.

V.B : Faire coexister des points de vue partiels et divergents était justement l’un des enjeux de l’exposition collaborative Trouble in painting qui a eu lieu au BBB Centre d’art de Toulouse en 2015 et dont tu as été à l’initiative. En travaillant à partir du plan de la salle, tu as demandé à chaque artiste d’imaginer sa propre conception de l’exposition, puis de discuter collectivement de comment superposer ces différentes expositions possibles. Peux-tu revenir sur ce processus de travail et sur les enjeux de ce projet ?

K.S : Si la série La Joliette et autres lieux conteste l’idée d’une identité artistique particulièrement forte, stable et singulière, notamment à travers la confrontation de points de vue contradictoires, Trouble in Painting tente de transférer cette mise en doute sur le terrain de l’exposition. L’idée d’une identité forte (historiquement trop souvent masculine) trouve son prolongement dans une forme d’exposition de la peinture qui isole les oeuvres les unes des autres sur un mur blanc pour qu’elles puissent déployer toute leur « puissance » et « authenticité ». Cette vision, même si elle persiste, me paraît obsolète à l’heure d’une crise qui se traduit dans le monde de l’art à la fois par le raidissement de la concurrence, mais aussi par la remise en question d’une perspective eurocentriste. Je crois qu’au lieu d’espérer être le ou la plus fort.e qui l’emporte, de nouvelles formes sont à développer. Du coup, la notion de trouble, que j’emprunte à Judith Butler et à son livre Trouble dans le genre, sert à repenser le concept d’espace et la forme de cohabitation dans une exposition collective.

Je dessine, pour Trouble in Painting, un plan à découper de l’espace du BBB que j’envoie aux artistes que j’ai invité.e.s à participer à ce projet : Joan Ayrton, Emmanuelle Castellan, Jagna Ciuchta, Ursula Döbereiner, Guillaume Durrieu, Kerstin Drechsel, Friederike Feldman et Henry Kleine. Puis je demande à chacun.e de planifier une exposition individuelle à l’aide de la maquette qu’ils et elles peuvent fabriquer à partir de ce plan. L’idée est de montrer ces neuf « expositions individuelles » simultanément. La réalisation de l’exposition est soumise à un processus collectif. Nous superposons d’abord nos neuf expositions dans une maquette lors d’un premier workshop à Berlin, puis nous poursuivons le processus d’entrelacement dans l’espace physique du BBB à Toulouse. Au fur et au mesure, nous développons pour chaque artiste une sorte de règle : les grands tableaux de Friederike se retrouvent toujours au milieu d’un mur, les tableaux d’Henry ont la plus grande distance possible entre eux, les tableaux de Guillaume se font face dans une géométrie stricte. Différents concepts de peintures murales se développent, en suivant les particularités de l’architecture. Puis, selon un mode de fonctionnement similaire à celui de Photoshop, nous considérons nos neuf « expositions individuelles » comme neuf calques et discutons ensemble de plusieurs questions : combien de calques sont déposés les uns sur les autres et dans quel ordre ? Les calques sont-ils transparents ou opaques ? Quel est celui qui arrive en surface ? Notre méthode de travail nous permet d’éviter les questions de composition et de provoquer des confrontations imprévisibles. Il en résulte une situation spatiale dans laquelle la position individuelle ne se limite plus à elle-même, mais est influencée par ce qui se trouve à côté et autour. Les travaux se troublent mutuellement.

V.B : Pour Rosalind Krauss, la grille reste un emblème de l’art moderne, de son formalisme, de son hostilité envers le récit et de sa croyance en l’autonomie de l’art : bidimensionnelle, géométrique et régulière elle était souvent le moyen d’aller à l’encontre du réel et de lui tourner le dos. Aujourd’hui, la grille n’est plus une forme géométrique qui flotte dans le ciel de l’abstraction. Les grilles sont partout, dans tous les domaines de la vie. Le modèle entrepreneurial que le néolibéralisme a étendu aux services publics fait qu’on les retrouve
aussi bien dans le domaine de l’éducation que dans celui de la santé et du soin… Nous sommes « tous grillés », comme le rappelait Barbara Cassin. Et nous faisons l’expérience au quotidien du pouvoir de formatage et de normalisation qu’ont ces outils de contrôle
et de management. Dans le domaine qui est le nôtre, celui de l’enseignement et de la recherche, on peut penser aux grilles d’évaluation et de notation qui viennent homogénéiser les gestes de l’apprentissage et de l’investigation, leur ôter leur espace d’invention et d’expérimentation. Dans ton travail, tu subvertis cet usage ; la grille sert au contraire àfaire place à l’imprévu, à troubler la norme. C’est un support pour travailler politiquement, pour développer des formes de collaboration qui écartent les positionnements autoritaires
et cherchent à troubler les identités individuelles par le collectif. C’est ce que tu as tenté de faire dans un autre projet récent, Staying with the trouble in painting, un accrochage évolutif qui s’est déroulé au Building Canebière pendant Manifesta 13, entre août 2020 et
janvier 2021. Peux-tu expliciter la dimension politique de ce projet collectif dont le titre fait clairement allusion à la pensée de Donna Haraway ? Comment son invitation à « habiter de trouble », à cultiver la pratique d’habiter un non-savoir, s’est-elle traduite dans ta pratique de la peinture et dans ton rapport à l’exposition ?

K.S : Le Building Canebière comme emplacement est essentiel. C’est un immeuble emblématique du centre-ville, construit en 1952 par René Egger, Fernand Pouillon et d’autres architectes à l’endroit des Nouvelles Galeries, détruites dans un incendie en 1938.
L’immeuble est traversé par un passage ouvert sur la Canebière, mais qui donne également accès à la rue Thubaneau et au quartier de Belsunce.

J’ai proposé à des artistes que j’ai rencontré.e.s dans des contextes très différents, et qui ont tou.te.s une pratique de peinture, de faire quelque chose dans ce passage du Building. Alice Griveau, Guillaume Durrieu, Nadia Lichtig, Hazel Ann Watling et moi-même avons
élaboré ensemble le protocole autour duquel le projet s’est organisé : une grille avec des coordonnées est dessinée sur l’immense mur du passage. Chacun.e de nous envoie la grille et le protocole aux artistes que nous décidons d’inviter. A l’aide des coordonnées,
nous leur demandons de nous indiquer l’emplacement souhaité de leur projet. Et nous leur précisons que l’ordre dans lequel nous recevrons les mails déterminera l’ordre dans lequel nous imprimerons à la photocopieuse les contributions, qui seront ensuite collées à l’endroit indiqué. Pendant les six mois de la durée du projet, nous avons reçu des affiches de toutes tailles et de toutes sortes. Leur voisinage ou superposition n’est pas planifié, il découle du protocole. Des superpositions se produisent quand les mêmes emplacements sur la grille sont demandés par plusieurs artistes.

« Staying with the trouble » est une formule qui part du constat suivant : « nous héritons de tellement d’histoires que nous avons à apprendre à vivre avec ». Cela demande, selon Haraway, de vivre dans un présent épais dans lequel passé, présent, futur sont perçus
comme des couches ou des strates qui reposent les unes sur les autres et se nourrissent les unes des autres. Dans le projet Staying with the trouble in painting, la grille sert à créer une dynamique de combinaisons, de strates inattendues et parfois contradictoires, ce qui a suscité cette référence. En plus, l’idée d’une accumulation d’histoires est évoquée par d’autres aspects : le fait que les artistes à l’initiative du projet ont des âges, des origines et des conditions de vie très différentes crée une constellation d’invité.e.s très diversifiée. Au total, plus de soixante artistes à différents moments de leurs carrières, de toutes nationalités et générations confondues, ont participé au projet. L’installation s’adressait à un public qui n’était pas ciblé, comme ça peut être le cas dans un lieu institutionnel. Celles et ceux qui passaient par hasard ont vu le projet, lequel par ailleurs a été accueilli avec enthousiasme par les résident.e.s de l’immeuble.

Le motif de la grille est récurrent dans mon travail et sa présence est sûrement liée à mes affinités avec la peinture abstraite et l’architecture. Bien que la grille soit un moyen de conceptualisation parfois mécanique et calculé, elle a la capacité d’induire une présence physique et immersive qui est une alternative à la perspective centrale, mais aussi au récit. Je pense par exemple aux légères irrégularités des grilles peintes ou dessinées à la main par l’artiste Agnes Martin. Leur fragilité a justement le pouvoir de déstabiliser la logique que l’on attribue conventionnellement à la grille.

Mais contrairement à la peinture abstraite, et parce que je considère que l’époque dans laquelle je vis ne me permet pas de tourner le dos au monde, la grille est dans mon travail le support d’un dispositif qui opère dans un contexte spécifique. Elle est dessinée comme
une surface de projection dans laquelle s’inscrivent des éléments concrets et hétérogènes. Pour certains projets, la grille est liée à un lieu ou à un terrain et devient un plan : les dessins de la série Belsunce prennent en compte toutes sortes de perspectives et s’inscrivent dans le plan du quartier ; les « neuf expositions individuelles » de Trouble in painting se superposent dans le plan du centre d’art. J’emploie la grille pour sa capacité à créer de la distance, afin d’éviter des hiérarchies et des jugements et de laisser place à la complexité, à la contradiction, au trouble.

En tant qu’artiste, peintre, je pense dans mon domaine et dans une matérialité qui lui est propre. Bien sûr, cela se produit en réaction au contexte, à la situation que tu décris et qui utilise la grille pour ordonner, juger et hiérarchiser. Il me semble évident qu’un tel modèle néolibéral de normalisation et de mise en concurrence ne pas satisfaisant face aux changements auxquels nous sommes confronté.e.s. Mon travail individuel et mes collaborations sont des tentatives d’avancer dans cette réalité « épaisse » et de casser les mécanismes auxquels nous, comme tout le monde, sommes soumis.es en tant qu’artistes.

V.B : « Habiter le trouble » pourrait peut-être définir ton rapport ambivalent au modernisme, mais il y a une autre idée chère à Donna Haraway et aux épistémologies féministes, celle de produire des travaux situés, qui trouve des échos dans ta pratique de la peinture et du dessin. En effet, tu travailles souvent sur la ville dans laquelle tu habites, et tu portes sur elle un regard qui n’est pas forcément neutre, mais qui assume sa propre histoire, ses références et ses motifs récurrents, que nous avons évoqués tout au long de l’entretien. Dans ta série Belsunce, toutes tes décisions plastiques – du choix des supports à l’accrochage, en passant par les techniques mixtes des dessins – cherchent à traduire la spécificité de ce quartier, les moeurs de sa population et les dynamiques qui le caractérisent. Mais tu ne dessines jamais les corps, les visages ou les expressions de celles et ceux qui y habitent et travaillent ; tu t’intéresses plutôt à l’étalage des marchandises, à leurs matières, textures, couleurs et à quelques détails de l’écriture urbaine. Explorer une histoire matérielle de la ville, au prisme des matériaux, objets ou marchandises, est-ce aussi l’un des partis pris de ton travail ?

K.S : Dans la série Belsunce je développe deux façons de faire en parallèle : des photos que je prends avec mon téléphone portable sont le point de départ d’une série de dessins au format A4. Leurs sujets sont les devantures des magasins, leurs enseignes, les graffitis peints sur les grilles, les vitrines reflétant l’architecture d’en face, les motifs des vêtements, des tapis et sacs empilés sur le trottoir. Ces dessins en A4 ont pour contrepoint une série d’affiches au format A0 que j’appelle plans. Cette série inclut le dessin qui trace le plan du quartier, mais aussi d’autres dessins numériques qui isolent et répètent des motifs trouvés sur les vêtements ou le papier d’emballage des boutiques. D’autres plans / affiches sont des aplats de couleurs appliqués au pinceau, à la bombe ou avec un rouleau de peintre. La série Belsunce découle d’un désir de m’éloigner des motifs architecturaux modernistes et de me rapprocher de sujets plus quotidiens, moins connotés. Il n’y a aucune représentation des personnages parce que je cherche à éviter une charge psychologique ou expressive. En revanche, ce qui importe sont les propriétés des matériaux employés. Ils sont, eux aussi, des sujets de travail autant que les sujets représentés. Le papier est fragile, il se gondole et peut se plier. Chaque outil fonctionne différemment, donne un aspect différent au support et témoigne de gestes avec des vitesses ou des pressions différentes. Les propriétés des matériaux et les sujets représentés ont donc une part égale dans la création du sens, du contenu et de la forme, mais ils imposent aussi des contraintes. Ces aspects ne sont pas séparés l’un de l’autre, ils interagissent et m’aident à prendre des décisions.

Ce que j’aime dans Belsunce, et que je cherche à traduire dans la série, c’est sa complexité et son hétérogénéité constamment en mouvement. Pour chaque dessin, j’emploie des techniques différentes parce que je considère qu’un traitement unique de la série ne rendrait pas justice aux caractéristiques du quartier. Ces caractéristiques influent sur la structure du projet aussi à d’autres niveaux. Toutes les affiches sont pliées comme des plans d’architecte, ce qui implique qu’une pile de papier, une fois dépliée, est susceptible d’occuper une surface assez importante. Cette capacité qu’a le support à se déplier et à se replier évoque quelque chose de nomade. Et les stratifications et accumulations que l’on trouve dans le quartier se reflètent également dans la manière dont les affiches et les dessins sont fréquemment accrochés, superposés les uns aux autres. L’espace d’exposition avec ses caractéristiques spécifiques s’insère dans cette interaction comme une contrainte supplémentaire. Dans l’espace relativement petit dont je disposais au Cube - Independant art room à Rabat, pour l’exposition de groupe ???????†?????? / Stadt.Räume / l’espace [de] la ville (2015), l’accrochage est condensé dans l’angle d’une pièce. Dans l’ancien magasin de la Galerie Fricke à Berlin pour l’exposition Belsunce#Beusselstrasse (2017), on peut voir l’installation de l’extérieur. Les affiches superposées et accrochées assez haut sont traitées comme des marchandises. Alors que les dessins A4 se trouvent en-dessous à une hauteur conventionnelle. Dans l’exposition Belsunce à la galerie des grands bains douches de la Plaine (2021), les affiches et les dessins A4 créent deux situations spatiales différentes. Les plans sont accrochés dans les longs couloirs de la galerie sur une peinture murale qui met l’espace en mouvement, tandis que les dessins sont présentés dans une petite pièce blanche à côté. Du coup, un espace de déambulation coexiste avec un espace qui sollicite une autre temporalité du regard. Léger par sa matérialité et hétérogène par ses représentations, le projet trouve son origine dans mon observation du quartier. Tout ce que je vois dans Belsunce est propice au développement de mon travail. Ce sont clairement la complexité du quartier, ses mutationset son instabilité qui trouvent des échos dans ma démarche plastique. C’est une sorte de
vocabulaire que je mobilise pour me situer dans le champ de la peinture.

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