Bettina SAMSON 

Contre-jour 2010-2012
Tableaux-reliefs, 3 séries de 3
Verre fusionné et gravé par sablage, 102,5 x 63 cm
Vues de l'exposition La fabrique des possibles, Frac PACA, Marseille, 2013
Coproduction / partenariat entre le Frac PACA, le Laboratoire d'Astrophysique de Marseille et Marseille-Provence 2013

La dialectique du visible et de l'invisible intervient de manière récurrente dans l'oeuvre de Bettina Samson, et s'y trouve fréquemment associée à des figures, des événements et des phénomènes issus de l'histoire des sciences, comme en témoignent encore ses pièces les plus récentes, parmi lesquelles on remarque d'abord un ensemble de neuf tableaux de verres eux-mêmes répartis en trois séries. D'emblée on peut noter la portée symbolique du matériau choisi, le verre, évoquant une longue généalogie d'inventions liées aux développements de la science optique. Pour la réalisation de ces tableaux, Bettina Samson a fait appel à un procédé consistant à graver par sablage dans l'épaisseur d'une plaque constituée de plusieurs couches de verres de différentes couleurs, noir, opalin et gris, fusionnées ensemble. La gravure dans l'épaisseur opaque du verre renvoie au geste originel de la sculpture ; du creusement plus ou moins profond à travers ces différentes strates émerge une image qui s'impose comme un objet indissociablement plastique, graphique et visuel. Ces compositions abstraites de lignes et de formes géométriques sont inspirées de sources iconographiques précises : si l'on songe immédiatement aux oeuvres sur verre réalisées entre 1925 et 1932 par le peintre allemand Joseph Albers, figure séminale de l'abstraction géométrique, on devinera plus difficilement que les motifs créés par Bettina Samson dérivent également des images qu'elle a découvertes sur l'écran d'un ordinateur du Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (CNRS – AMU / Institut Pythéas), où elle a été accueillie par l'astrophysicien Frédéric Zamkotsian pour y effectuer plusieurs séjours d'observation. Nullement figuratives, ces images étaient en fait un ensemble de signes purement fonctionnels permettant de contrôler les composants optiques d'un spectroscope de pointe, actuellement en cours de fabrication, et qui à terme devrait rendre possible l’exploration exhaustive de l’univers dans toutes ses dimensions, donc aussi, indirectement, de la matière noire.
La matière noire est une hypothèse scientifique supposant l'existence d'une catégorie inconnue de matière présente en grande quantité dans l'univers. Parce qu’elle constitue à ce jour la manière la plus efficace d’expliquer un ensemble d’observations inattendues, elle est admise et intégrée au modèle standard de la cosmologie, scénario consensuellement adopté par la communauté scientifique pour décrire les étapes successives de l'histoire de l'univers. Selon ce modèle, la matière noire et l’énergie noire représentent 96 % de l’univers. La matière noire représente un quart de l’Univers et a la particularité de n'émettre et de n'absorber aucun rayonnement qui permettrait de la détecter directement ; sa présence ne peut donc être décelée que de manière indirecte, en la déduisant de ses effets gravitationnels sur la matière visible : déformations optiques, accélérations de la vitesse radiale ou de la courbe de rotation des galaxies.

En intitulant la dernière série de ses tableaux de verre, For a future exploration of Dark Matter #1, #2, #3, Bettina Samson pointe à travers l'idée d'exploration l'écart entre la conception traditionnelle de la cosmologie, fondée sur l'observation, et la dimension constructiviste et expérimentale de la recherche en astrophysique, qui recourt à diverses manipulations pour extraire des informations à partir desquelles s'élabore un savoir sur des objets inaccessibles à la perception. On comprend alors le rapprochement avec l'oeuvre d'Albers qui concevait sa pratique d'artiste comme une forme d’exploration quasi scientifique des propriétés des couleurs et des matériaux. Le titre de la deuxième série, Last Trip to Chichen Itza and Uxmal #1, #2, #3, fait référence à deux cités maya, photographiées à partir de 1935 par ce même Josef Albers fasciné par la proximité entre les motifs géométriques qui ornent les temples de cette civilisation disparue et son propre langage plastique. Cette nouvelle référence suggère alors que les formes abstraites des oeuvres de Bettina Samson pourraient aussi être vues comme les signes d'un langage mystérieux. À l'opposé des « vues d'artistes », illustrations par lesquelles les services de communication des laboratoires « figurent » les recherches menées par les scientifiques, Bettina Samson en propose ainsi, loin de toute représentation, une sorte de transposition ou traduction directe sous forme d’objets-tableaux en verre opaque à la matérialité radicale.

Camille Videcoq
(extrait)

Contre-jour 2010-2012
Verre fusionné et gravé par sablage, 102,5 x 63 cm
Vues de l'exposition Malluma materio, Galerie Nettie Horn, Londres, 2011

Détails

Contre-jour (For a Future Exploration of Dark Matter), I, II, III
Tableaux-reliefs, verre fusionné et gravé par sablage, 102,5 x 63 cm

Contre-jour (For a Future Exploration of Dark Matter), I, II, III 2012
Tableaux-reliefs, verre fusionné et gravé par sablage, 102,5 x 63 cm

Contre-jour (Last Trip to Chichen Itza and Uxmal) I, II, III
Tableaux-reliefs, verre fusionné et gravé par sablage, 102,5 x 63 cm
3 séries de 3

Samson ’s series of glass pictures entitled For a future observation of the dark matter stems from her discovery of the graphic simulations generated by a spectroscope during her time at the laboratory of astronomy in Marseille. This machine, which is still in production, may one day detect the existence of dark matter - a non luminous and invisible matter which is hypothetically present in large quantities in the Universe. Recalling universal grid systems, these stratified glass pictures, formed through a firing process, invite us to decipher an enigmatic vocabulary leading us to consecutively explore languages from optical astronomy to geometric abstraction. Inspired by Joseph Albers’ glass pictures made in the 1920’s at the Bauhaus, Samson pays tribute to this artist in Last trip to Chichén Itzá and Uxmal and Albers Uxmal. After his move to the American continent in 1933, Albers introduced references to Mexican architecture in his photographic practice and notably to the geometric bas-reliefs of the Mayan temples which Samson refers to in these archaeological style tablets.

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