Manuel RUIZ VIDA 

Le ciel est parfois sale 2003
Huile et laque sur toile, 160 x 215 cm
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Réservoir G4 2002
Huile et laque sur toile, 120 x 200 cm
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Réservoir 2002
Huile et laque sur toile, 200 x 240 cm
Collection privée, Londres
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Peintre lillois d’origine espagnole, Manuel Ruiz Vida a été marqué lors de son séjour à Dunkerque par les odeurs acres et les bruits sourds, par les épaisses fumées blanches
aspirées par le ciel. Ce paysage aux couleurs sombres est à l’opposé de la vision idyllique et conventionnelle d’une nature foisonnante et verdoyante. Les activités de ces industries lourdes dont on redoute les effets sur l’environnement sont à l’antipode du paradis terrestre ? Là où poussaient les oyats s’érigent aujourd’hui de puissants bâtiments de fer ou de béton.
Le caractère repoussant de ce paysage ne cesse pourtant d’attirer Manuel Ruiz Vida.
Il en retient les détails : un hangar, des containers, un réservoir. Couche après couche, il cherche à apaiser ces pulsions contradictoires dans la matière, à révéler la force et la fragilité de ces architectures, à saisir les effets du temps sur la transformation des matériaux. Peu à peu le fer se ronge, s’effrite et perd l’aspect lisse originel. C’est cet instant-là, cette lente dégradation que Manuel Ruiz Vida tente non pas de figer mais d’en exprimer toute la tragédie, toute la beauté. Pour la première fois, l’artiste ose introduire dans sa palette une autre tonalité que les bleus, verts, gris qu’il sait si bien marier. La rouille prend alors les couleurs d’un rouge profond et pur qui transperce en plein cœur le réservoir. L’utilisation du rouge n’est pas anodine ; elle évoque la souffrance, la plaie ouverte d’où coule lentement et abondamment un sang épais.
Au-delà des questions existentielles du temps qui passe, d’une disparition inéluctable, l’œuvre de Manuel Ruiz Vida est un sursaut de vie, un message d’espoir. Car sous l’effet de sa spatule, de son pinceau, ce qui semblait laid devient incontestablement beau. En touchant l’essence même de la matière, il transforme ces réservoirs ternes sans aucune valeur esthétique en des formes bleu-gris révélées par les tons chauds du rouge. Plus on s’approche de l’œuvre, plus on est imprégné par la peinture elle-même, par les strates de couleur. Tout se fond, tout se confond, l’œuvre devient abstraite.

Sandrine Vézilier, 2006
Texte du catalogue de l’exposition Paysages de Flandres, de l’infiniment petit à l’infiniment grand

 
Réservoir 2002
Huile et laque sur toile, 200 x 160 cm
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Réservoir 2002
Huile, laque et pigment sur toile, 195 x 130 cm
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La peinture et son objet.

…Que dire du monde environnant qui n'ait été dit, que peindre si l'on veut échapper au vide contemporain d'une toile parfaitement blanche, noire, rouge ou rose? Au centre de cette réflexion, Manuel Ruiz Vida a trouvé son mode d'expression personnelle. A peine sorti de l'Ecole d'Art de Dunkerque en 1998, il s'oriente vers l'environnement urbain et d'inquiétantes manifestations de son surgissement en peignant d'énigmatiques et gigantesques citernes qui, par elle- mêmes, représentent des nuances de coloris sans cesse en changement: la rouille aux tonalités orangées, l'acier bleu métallique froid, la coulure d'une suture, l'ombre d'un nuage reflété sur un pan lumineux, le blanc du revêtement sur lequel s'inscrit, graphique, le tracé noir d'un poétique escalier en colimaçon... La structure dont les formes semblent si robustes se délite sur le fond du ciel, parfois davantage traité en matière que la citerne elle-même. Ce n'est pas un ciel descriptif à la Ruisdael, mais l'illustration d'un passage de couleurs inédit. Ciel plus noir que la citerne elle-même et dont le sombre éclairage donne une ambiance fantastique à ces grands Réservoirs. La citerne par ses proportions monumentales défie " l'incarcération" dans une toile aux dimensions modestes. Manuel Ruiz Vida, tel Don Quichotte, s'attaque à ces moulins à essence et non plus à eau, dans des formats de plus en plus grands, dépassant les deux mètres carrés. Certaines fois dans cet espace où le corps du spectateur se trouve englobé, deux réservoirs accolés indiquent des distances, des rapports que l'on arrive plus à identifier, d'autant plus que se lit aussi, sous l'un ou l'autre, une trace, dessin à demi effacé d'un troisième réservoir. C'est dans la suppression du tracé, dans son absence de définition volontaire que se trouve précisément la preuve, pour Manuel Ruiz Vida, que l'on est dans la peinture qui crée l'objet, le fond et le déforme: " Un vertige se produit. La peinture noie, efface sa propre matière, l'objet qu'elle a créé, vit de sa perte, de sa disparition…"

Laurence Boitel
Extraits du texte pour l'exposition à la galerie de l'Atelier 2, Villeneuve d'Ascq, 2003

 
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