Till ROESKENS 

Extrait du texte Plan de situation

(…) En 2004, des ateliers menés dans différents contextes sociaux m’ayant valu l’invitation de travailler dans un Foyer Sonacotra, j’ai demandé à un certain nombre de résidents – jeunes et vieux, français et immigrés, travailleurs et Rmistes – de me parler de leur vie ; et j’ai pris des photos, que ce soit d’eux, d’un objet qu’ils me montraient en lien avec leur histoire, d’une photo de famille sur leur mur, que ce soit des salles communes différemment investies à chaque étage, des vues depuis leurs fenêtres, que ce soit des lieux dans la ville dont ils me parlaient… voilà la matière première de plan de situation 1:1000 - case départ : debout à côté de l’écran, télécommande à la main, je parle à la première personne du singulier, prêtant ma voix à celle des personnes rencontrées. L’une après l’autre. Entre chaque récit je me lave le visage. Travail difficile à nommer – ni conférence ni performance ni théâtre ni – mais qui me semble dessiner un tournant nouveau, autant par son ampleur (une heure et demie de textes récités par cœur) que par la charge émotionnelle et politique de ce qui s’énonce dans ces vies vécues à l’extrême pointe de la précarité actuelle. Également par les quelques deux cent diapos sélectionnées, où l’indifférence du point de vue, l’esthétique de la banalité, si longtemps revendiquées, se sont effacées devant la nécessité d’une prise de position, au sens bien physique du terme. Et par le fait que ces diapos ont demandé alors un véritable travail de montage, le tout constituant une sorte de long métrage en images fixes.
Le Foyer Sonacotra Kibitzenau, barre grise allongée aux grandes fenêtres toutes pareilles, se trouve pris en étau entre le canal du Ziegelwasser et le talus du chemin de fer Strasbourg-Kehl, exactement sur la limite administrative entre le centre ville et les cités, près du terrain des gens de voyage – et surtout dans une zone bouleversée par les travaux publics liés au nouveau tram et au GPV, dont l’intention affichée est de combler un tant soit peu le fossé entre la ville et les banlieues. Pour visualiser toutes ces lignes de force, je m’étais procuré un plan de situation au service d’information géographique. Et de ce document magnifique m’est venu le désir d’esquisser un parallèle entre la situation du lieu et celle des personnes – dont beaucoup formulaient le constat d’avoir eu une situation, une identité, de les avoir perdues et de se retrouver à la case départ. D’où le titre un peu complexe.
Depuis, le terme plan de situation s’est mis à galoper dans ma tête, avec tout ce qu’il m’évoque du désir de s’orienter, de la précision d’un regard se focalisant sur un petit fragment de la surface terrestre, d’une attention particulière à la délimitation des territoires par les jeux de pouvoir, les parcelles, les frontières… ce titre s’est alors imposé pour toute une série de projets en train de naître, consistant à chaque fois à explorer la topographie et l'histoire d’un lieu à travers la parole de ceux qui y vivent. Comment te dire le bonheur d’entrevoir un chemin devant moi qui me semble sans fin ? Il me semble que je pourrais partir de n'importe quel point de l’espace : de proche en proche je finirai toujours par découvrir un monde.

Pour en savoir plus sur la Sonacotra, voir le magnifique travail de Martine Derain qui se trouve
ici

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