Rachel POIGNANT 

Vue de l'exposition Two Mountains, Musée des Beaux Arts de Chambéry, 2022
Commissaires d’exposition : Caroline Bongard, directrice des Musées de Chambéry et Jean Francois Chevrier, historien de l’art et critique d’art et Elia Pijollet
Avec Julien Guinand
Photographie Blaise Adilon

Distants de près de cinq cents kilomètres, les deux massifs montagneux de Kumano et d’Ashio, au Japon, ont en commun d’avoir été lourdement altérés par les activités humaines, depuis les débuts de l’industrialisation. La pollution et la monoculture ont eu des effets dévastateurs dans un pays exposé aux catastrophes naturelles (séismes, typhons) causant éboulements et inondations. Quand il est arrivé au Japon, attiré surtout par la culture du zen, Julien Guinand n’avait qu’une vague idée de cette réalité historique. Il a conduit son propos en s’intéressant d’abord aux effets les plus visibles, pour accéder peu à peu aux processus sous-jacents.
Dans l’exposition, le silence des moulages de Rachel Poignant traverse le récit de Julien Guinand. À la (dé)raison productiviste, ils opposent le travail exploratoire du matériau, sans projet préconçu. Suscitée d’abord par un jeu d’analogies, cette rencontre nous rappelle que, dans le paysage ou dans l’atelier, toute forme est issue d’un processus de formation. Elle rend plus aiguë la question des relations entre échelle géographique et activité individuelle, entre projections collectives et agencements proches.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Sans titre 2016
Pièce de gauche : Résine acrylique, 60x60x1 cm
Pièce de droite : Résine acrylique, 60x60x1 cm
Vues de l'exposition Two Mountains, Musée des Beaux Arts de Chambéry, 2022
Photographies Blaise Adilon
 
 
Comment advient une forme ? Cette question est au cœur du travail de Rachel Poignant. Depuis ses toutes premières sculptures, il y a plus de trente ans, l’artiste a développé des processus et des méthodes qui lui permettent de déléguer son pouvoir d’imagination aux matériaux qu’elle emploie. En s’intéressant au moule et au moulage, qui sont au cœur de sa pratique, elle est remontée des formes à la formation. « Dès le début du travail de moulage, raconte-t-elle, il s’agissait de ne pas avoir à décider d’une forme. Faire une forme est prétentieux. J’accorde plus d’intérêt au parcours qui part d’un geste. »

« Mon intérêt s’est porté très tôt sur les processus de mise en forme. Un des premiers procédés que j’ai expérimentés est le moulage de moulages. Il consistait à mouler des objets indifférenciés (non symboliques, non affectifs…) mais issus d’une production industrielle par moulage, puis à re-mouler les moulages indéfiniment, sans limite pré-établie. L’important c’était le geste, mouler ; je ne voyais pas l’intérêt de construire une forme, cela n’avait pas de sens pour moi d’ajouter une nouvelle forme. En revanche, il y avait le désir profond d’arriver à de la forme, à une forme.
À quel moment commence la sculpture ? Quand, et pourquoi, interrompre un processus potentiellement infini ? Jusqu’où différer la forme ? Les questionnements s’accumulaient au fil du processus.
J’engageai une série de chaînes opératoires à partir d’objets en plastique de formes relativement simples, des objets – moule à gâteaux, cuvette, petite chaise, baignoire d’enfant… – qui grossissaient ou rapetissaient, se déformaient par moulages successifs. Cette histoire a duré deux ans, générant un travail en arborescence et des séries de sculptures gigognes.
Cette période de travail intense m’a permis de trouver ma position comme sculptrice : en amont de la production, fabriquer/suivre/observer. Me déclarant sans projet, je peux être au plus près de la chose en train de se faire. 

Les objets qu’elle crée sont autant des sculptures que les traces d’une activité. Mais l’activité ne se présente pas pour autant en tant que telle, pour elle-même. Un choix de matériaux et des procédures ont fini par constituer une méthode. Une collection et un corpus, aux limites floues, se sont constitués, par dépôts successifs. Des séries et des singularités se sont mises en place. Toutefois, l’artiste semble répondre à une étrange compulsion. Comme s’il lui fallait constamment retarder l’arrivée de la forme, en donnant toute leur chance à des formes multiples.

« La multiplication des étapes de travail est essentielle dans ma recherche, à plusieurs titres. Elle me permet une observation lente de ce qui est en train de se passer et ouvre de nouvelles pistes. »

« L’écart entre deux pièces semble parfois très mince, mais certaines sont éloignées de plusieurs mois ou années dans leur fabrication. Mon travail est de l’ordre d’un glissement, d’un déplacement très lent, d’une coulée à l’autre. J’ai une dizaine de moules, pas plus, qui me servent pour toutes les pièces, des plus simples aux plus élaborées. Les moules ont été fabriqués à partir d’empreintes. Aucune surface n’est plate, elles contiennent toutes des effets de vibrations, parfois des quadrillages, parfois des dénivelés en surface. »

Les moulages présentés dans l’exposition « Two Mountains » appartiennent aux ensembles de pièces en résine acrylique et/ou plâtre réalisés depuis 2013.
« En 2009, j’ai remplacé le plâtre par la résine acrylique, plus pérenne. Le processus de mise en œuvre de la résine acrylique passe par des phases de matrice, de repentir, de coulage, de moulage, de tests... pour finir par générer des pièces. La couleur dans la masse est venue enrichir les préoccupations liées à l’espace, à la géométrie et à la perception. »
 
Retour