Laurent PERBOS 

L’économie Laurent Perbos
«Je veux que mon portrait sorte d’une boîte de fromages»

Détenteur de plusieurs records du monde – dont celui du nombre de bonnets mis sur tête (51) -, concepteur de cibles de fléchettes gagnantes, de tables de ping-pong modifiées et de ballons de football surréalistes, Laurent Perbos, plasticien volontiers ironique, se joue du sport et de ses défis. Et cultive son art avec la rigueur d’un athlète de haut niveau. – par Valérie Paillé / photos: courtesy of Cortex Athletico

Peux-tu nous parler de tes records du monde? Je détiens plusieurs records du monde. Par ce biais, je tente de montrer que chaque individu est exceptionnel, il suffit juste de savoir en quoi. De façon obsessionnelle, je répète, amplifie un acte ordinaire, aussi simple que celui de mettre un chapeau par exemple, afin que le résultat devienne à son tour contraire à l’usage, hors du commun, insolite. Je transgresse l’acte de valeur, l’action difficile et digne d’admiration, l’exploit, en métamorphosant l’acte dit «banal». Le record n’est autre que la matérialisation d’un acte ordinaire exagéré. L’histoire des records du monde que je développe dans mon travail est une métaphore de l’œuvre d’art. Certaines caractéristiques du record sont en tous points similaires à celles de l’œuvre d’art: unique, exclusif, rare, insolite… Mes pièces sont quand même plus des œuvres que des records, la prouesse n’est qu’un mobile pour produire de l’art. Donc pour produire il faut que je batte les records précédents, c’est un peu le but du jeu.

Que vient faire le football dans l’histoire de ton art? Ce qui est intéressant dans le football, c’est que beaucoup de gens s’y intéressent. Le football, c’est de la fausse démocratie. C’est un dialogue, qui tourne parfois à l’engueulade, devant des milliers de personnes impuissantes. L’art offre toutes les libertés. Notre environnement devient un immense terrain de jeu où l’on peut intervenir sur tout et à tout moment. Le fait d’être artiste me donne tous les droits. Il est plus facile pour un artiste d’être Maradona que pour un footballeur d’être peintre. Dans ma pratique, j’opère une récupération des jeux ou des jouets déjà existants comme les ballons de football, dont je détourne les codes. Le spectateur se voit proposer des jeux, a priori bien définis, qui, à un moment donné, s’éloignent de leurs buts, transgressent leurs règles et proposent une autre réflexion sur les notions d’échec, de compétitivité, de divertissement ou de travail. Le ballon est la pièce centrale du jeu: un élément d’échange en soi qui permet à tous les spectateurs de participer à l’œuvre, un forum où chacun à la possibilité de s’exprimer.

A quoi tu joues, alors, avec tes ballons de foot? Contrairement à une oeuvre originale, la forme familière du ballon de football évite au spectateur un temps de décryptage de ce qu’il perçoit. Lorsque l’on transforme une caractéristique comme la taille ou le poids du ballon de football, on obtient un objet commun «corrompu», «troublé», «trahi» qui projette directement le spectateur dans une situation surréaliste. La métamorphose de signes connus qui se court-circuitent construit un langage particulier, fondé sur un jeu d’images: la poésie. Au delà des aspects formels, je tente de faire des œuvres poétiques.

Comment ont-ils été conçus? La série des ballons est née en Hongrie, plus précisément à Budapest. J’y étais en résidence pour plusieurs mois. Dans l’atelier d’un artiste hongrois je suis tombé sur un ballon de football fabriqué en toile, celle des tableaux. Ce ballon était remarquablement bien réalisé, il avait la facture d’un produit industrialisé. Je me suis renseigné et j’ai appris qu’il avait été conçu par l’entreprise qui fabrique les ballons officiels du championnat hongrois. A partir de ce moment les idées ont explosé. Un petit pour commencer: le «Ballon2» et dans la foulée «le plus long ballon du monde». Ce dernier a été vendu en 2004 au Domaine de Chamarande lors de l’exposition «Sportivement vôtre». Il faut aujourd’hui que je relève ce nouveau défi et que je batte ce record. Une nouvelle pièce en résultera et sera le nouveau ballon le plus long du monde.

Que t’inspirait le football quand tu étais enfant? Au delà du plaisir de jouer, de se retrouver entre amis et de partager des moments d’intense bonheur, le football était le moyen d’atteindre ce but ultime: se retrouver, un jour, en photo, sur un petit morceau d’autocollant d’environ 8 x 5 cm, à l’intérieur d’une fameuse boîte de fromage, pour finir, enfin, collé sur la porte du frigo. Ces vignettes ne représentaient pour moi que d’illustres inconnus, mais lorsque je me suis aperçu que ces inconnus étaient sacralisés, à jamais, sur le frigo de la cuisine, ma vie prenait un tournant, j’avais un but: je veux que mon portrait sorte d’une boîte de fromages. La version contemporaine du classique « autoportrait ». De là est née «la série des sportifs» (11 vignettes autocollantes) où je me suis substitué à différents sportifs en reprenant les codes des vignettes Panini ou de celles que l’on trouve dans les boîtes de fromage La Vache Qui Rit. Comme si j’étais Eric Cantona.

Eric Cantona est un joueur souvent cité en référence par les artistes… Au delà du talentueux footballeur, il reste, dans ma mémoire, cette grande gueule, qui, lors d’une émission télévisée à quand même dit trois fois de suite à un journaliste invité sur le plateau: «Je vous pisse au cul, Monsieur, je vous pisse au cul». – propos recueillis par VP



EXERGUE :

«Il est plus facile pour un artiste d’être Maradona que pour un footballeur d’être peintre»
L. Perbos


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ENCADRE

La Beauté du Geste

«La Quinzaine de l’entorse », « Les mondes du ballon rond », « Sportivement vôtre »… On ne compte plus les expositions d’art contemporain inspirées par le sport. Alerté par « l’extrême porosité de ces deux réalités (l’art et le sport) et leur interpénétration grandissante au cours de ces quinze dernières années », le critique d’art Jean-Marc Huitorel leur consacre un ouvrage de référence. «Le sport a cette capacité à s’ouvrir sur d’autres réseaux d’expérience, et en tout premier lieu celle de l’art ». Pas moins d’une centaine d’artistes, dont les œuvres parsèment le livre, sont là pour en témoigner. Truchements, détournements, infiltrations, petits ponts, grands ponts, le sport leur inspire toutes sortes de figures de style, passées à la loupe par Huitorel. Racines, images, analogies, performances, mythes et idéologies y sont savamment tracés, comme pour mieux marquer un tournant dans le rapport des deux univers de l’art et du sport. Devenu un primat de la réalité sociale, dans les pratiques comme dans la représentation, le sport, jusqu’alors aspiré par l’art contemporain, l’invite à sa fête. Avec trente millions d’euros alloués pour une exposition consacrée exclusivement au football (lire ci-après), la coupe du monde 2006 s’offre, pour la première fois de son histoire, un événement artistique d’une envergure sans précédent. Comme pour asseoir sa position sociale (et/ou blanchir son argent?) le football s’ancre dans un nouveau champ de représentation. «Le sport et l’art font partie du même monde, mais à un moment où l’art subit la dictature de l’entertainment, c’est sa capacité de résistance qui est testée.» - VP

Lire : La Beauté du Geste, de J-M Huitorel, Editions du Regard, 40 euros.

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